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Actualités - OPINION

Loi électorale : une indifférence publique injustifiée

Montaigne, dans un passage célèbre qu’on cite dès la classe de troisième, a dit qu’il faut « préférer une tête bien faite que bien pleine ». Lors de la révolution du Cèdre, l’une des urgences du pays était de se défaire d’une loi électorale que les tuteurs avaient conçue pour se garantir une confortable majorité de députés dociles à leurs ordres. Il nous fallait d’abord trouver une personnalité de premier plan pour recruter et présider une commission chargée d’élaborer le texte d’une nouvelle de loi. Le choix d’une personnalité de la taille de Fouad Boutros a été accueilli avec une satisfaction générale, car il avait à la fois « une tête bien faite et bien pleine », de quoi plaire à monsieur de Montaigne. Cela se passait il y a plus d’une année. Dès lors, nous entendions parler de la Commission Boutros, dont les travaux avançaient laborieusement et se heurtaient à des difficultés qui alimentaient les chroniques de la presse. Et c’est ainsi qu’au bout de plusieurs mois, nous avons vu sortir un projet, dont nous ne voulons relever ici que deux points défectueux, mais essentiels : 1- Le découpage des circonscriptions électorales. La petite circonscription appelée caza est admise comme la plus équitable. En effet, l’électeur ne vote que pour quelques noms, des candidats qu’il connaît personnellement et dont il apprécie les qualités. Tandis que, dans une grande circonscription – de 10, 15 ou 18 députés –, l’électeur est sollicité par « le zaïm », la tête de liste, une liste qu’il est invité à jeter dans l’urne sans discussion. Tout le monde connaît l’expérience de ce système, qui nous a donné plus d’une Chambre de composition médiocre. Le caza est conforme à l’opinion de la majorité des personnalités responsables dans le pays. À commencer par le patriarche et tout l’épiscopat. Du temps où le chef de l’État se rendait à Bkerky pour les grandes solennités, il faisait au prélat des promesses non équivoques à ce sujet. Promesses jamais tenues. Mais le patriarche insistait et réinsistait pour le caza, dans toutes ses déclarations, notamment durant son voyage pastoral au Nouveau Monde. La position d’autres responsables ne différait pas de celle-ci : dans sa récente déclaration de plusieurs colonnes de presse, M. Walid Joumblatt a conclu son discours en déclarant, en guise de péroraison : « Il nous faut le caza, le caza, le caza. » Ce n’est donc pas une question confessionnelle, mais une affaire nationale. 2- La représentation proportionnelle. Le projet a adopté, dans certains cas, le système de la représentation proportionnelle. Pourquoi ces messieurs de la commission n’ont-ils pas lu l’étude magistrale du professeur Antoine Kheir (voir an-Nahar du 17/4/05), devenu, depuis, le premier magistrat de l’État, démontrant que ce système est inapte au Liban ? Voici les caractéristiques principales que monsieur Kheir signale : – ce système suppose, en premier lieu, l’existence de partis politiques bien structurés, avec une étiquette précise, avant l’engagement dans la campagne électorale ; – il impose à l’électeur de n’inscrire sur son bulletin de vote que le nom du parti auquel il accorde ses suffrages, à l’exclusion d’un nom personnel. C’est le parti qui nomme ses représentants ; – il interdit de voter pour une communauté confessionnelle donnée ; donc, il rend impossible la répartition des sièges entre les communautés selon le système en vigueur au Liban ; – il suppose chez l’électeur une tradition et une culture réellement démocratiques le rendant apte à appréhender et assimiler les exigences de ce système. Et le professeur Kheir de conclure avec finesse (car il était question de promulguer très rapidement une loi électorale) : « Prendre de surprise l’électeur avec la mise en application de ce système quelques semaines seulement avant l’échéance ne peut représenter un progrès. » Nous pouvons ajouter : même avec un grand laps de temps, un système avéré inapte ne peut devenir un système acceptable. Aujourd’hui, les luttes politiques internes, manifestement suscitées de l’extérieur, détournent l’opinion de l’intérêt primordial de ce sujet qu’est la loi électorale. Cependant, il importe que la question soit placée au premier plan, surtout que, de tous les côtés, on réclame l’urgence d’une telle loi, sans se donner la peine de discuter du projet existant. Comment peut-on demander de procéder à des élections lorsque le projet n’est pas encore au point ? Albert SARA
Montaigne, dans un passage célèbre qu’on cite dès la classe de troisième, a dit qu’il faut « préférer une tête bien faite que bien pleine ».
Lors de la révolution du Cèdre, l’une des urgences du pays était de se défaire d’une loi électorale que les tuteurs avaient conçue pour se garantir une confortable majorité de députés dociles à leurs ordres. Il nous...