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Actualités - OPINION

Commentaire Le 11 septembre et le nouvel autoritarisme

Par Ralf DAHRENDORF* Cinq ans après les attentats contre les Twin Towers de New York et le Pentagone à Washington, le 11 septembre n’est plus une date comme une autre. Elle est entrée dans l’histoire comme quelque chose de nouveau, peut-être le début d’une nouvelle ère, en tout cas un virage. Les attentats terroristes à Madrid, à Londres et ailleurs resteront dans les mémoires, mais c’est le 11 septembre qui restera comme la date symbole, à l’image d’août 1914. Mais est-ce vraiment une guerre qui a commencé ce jour-là ? Ce concept américain ne plaît pas à tout le monde. Au plus haut du terrorisme de l’IRA au Royaume-Uni, les gouvernements britanniques successifs ont tout fait pour ne pas concéder à l’IRA que c’était une guerre qui était en cours. Une « guerre » aurait signifié que les terroristes étaient des ennemis légitimes, qu’ils bénéficiaient d’une sorte d’égalité de statut dans le cadre d’un conflit sanglant comportant des règles d’engagement reconnues. Ce n’est ni une description exacte ni une terminologie appropriée en ce qui concerne des actes terroristes que l’on peut qualifier plus justement de criminels. En les qualifiant d’actes de guerre et leurs auteurs d’opposants (en général el-Qaëda et son chef, Oussama Ben Laden), le gouvernement américain justifie des restrictions dans le domaine des libertés qui auraient été inacceptables avant le 11 septembre dans n’importe quel pays libre. La plupart de ces réformes figurent dans ce que l’on appelle le Patriot Act. Même si certains changements sont simplement de nature réglementaire, le Patriot Act érode les grands piliers de la protection des libertés, comme l’habeas corpus ou le droit de recours à un tribunal indépendant lorsque l’État prive une personne de sa liberté. Depuis le début, la prison de Guantanamo à Cuba est le symbole de quelque chose d’entièrement nouveau : l’arrestation sans jugement de « combattants illégaux » qui ne bénéficient pas de la protection des droits de l’homme. Le monde se demande maintenant combien y a-t-il encore de ces sous-hommes et où ils sont. Pour le reste, une sorte d’état d’urgence a été décrété, il autorise l’ingérence de l’État dans le domaine des libertés individuelles essentielles. Pour beaucoup de voyageurs, le contrôle aux frontières est devenu une épreuve et une quantité de gens non négligeable fait l’objet de persécutions policières. Un climat de peur rend la vie plus difficile pour quiconque a une apparence ou un comportement suspect, notamment parmi les musulmans. Au moment de leur adoption, ces restrictions des libertés n’ont guère rencontré d’opposition. Bien au contraire, ce sont leurs critiques et non leurs partisans qui se sont retrouvés en situation difficile. En Grande-Bretagne, où le Premier ministre s’est rangé derrière la politique américaine, le gouvernement a adopté des mesures similaires tout en avançant une nouvelle théorie. Blair a été le premier à dire que la sécurité est la première des libertés. Autrement dit, la liberté n’est pas le droit de toute personne à définir sa propre vie, mais c’est celui de l’État de restreindre les libertés individuelles au nom d’une sécurité qu’il est le seul à définir. C’est le début d’un nouvel autoritarisme. Le problème existe dans tous les pays sous la menace du terrorisme, bien que souvent il ne soit pas aussi aigu. Dans beaucoup de pays d’Europe continentale, le 11 septembre reste une date américaine. Il y a même un débat – et quelques preuves à l’appui – sur la question de savoir si l’engagement dans la « guerre contre le terrorisme » a vraiment augmenté la menace terroriste. Les Allemands sont les premiers à utiliser cet argument pour s’impliquer le moins possible. Cette position n’a cependant pas empêché que se répande quelque chose que l’on définit même dans d’autres langues par un mot allemand : Angst. Une inquiétude diffuse se répand. Les gens sont facilement mal à l’aise et inquiets, spécialement en voyage. Tout accident de train ou d’avion soulève en premier lieu des suspicions d’attentats. Le 11 septembre a donc été, directement ou indirectement, un grand choc psychologique et une secousse qui a ébranlé nos systèmes politiques. Alors que la lutte contre le terrorisme est menée au nom de la démocratie, du fait des modifications de la législation et de l’inquiétude de la population, elle a affaibli la démocratie. L’un des aspects préoccupants des attentats du 11 septembre est que l’on ne voit pas très bien quel est le but de leurs auteurs, au-delà du ressentiment qu’ils peuvent avoir à l’égard de l’Occident d’une manière générale. Mais les principales caractéristiques de l’Occident, à savoir la démocratie et le respect de la loi, ont pris un coup bien plus dur de la part de ses propres défenseurs que de la part de ses ennemis. Dans les démocraties affectées par l’onde de choc du 11 septembre, il y a deux choses capitales à faire pour restaurer la confiance dans la liberté. La première est de veiller à ce que les nouvelles législations adoptées pour faire face au défi du terrorisme soient strictement temporaires. Certains des textes qui restreignent maintenant les libertés publiques et le recours à l’habeas corpus comportent des clauses qui limitent leur application dans le temps, ils devront donc être réexaminés régulièrement par les Parlements. Deuxièmement, et c’est encore plus important, nos dirigeants doivent chercher à apaiser l’inquiétude de la population, plutôt qu’à exploiter. Les terroristes contre lesquels nous sommes actuellement en « guerre » ne peuvent l’emporter, car leur sombre ambition ne pourra jamais disposer du soutien populaire. C’est une raison de plus pour que les démocrates défendent sans concession nos valeurs, et ce en les respectant dans leurs actes avant tout autre chose. (*) Ralf Dahrendorf, auteur de nombreux livres, est membre de la Chambre des lords britannique et ancien commissaire européen pour l’Allemagne. Il a présidé la London School of Economics et dirigé St. Antony’s College à Oxford. © Project Syndicate/Institute for Human Sciences, 2006. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.
Par Ralf DAHRENDORF*

Cinq ans après les attentats contre les Twin Towers de New York et le Pentagone à Washington, le 11 septembre n’est plus une date comme une autre. Elle est entrée dans l’histoire comme quelque chose de nouveau, peut-être le début d’une nouvelle ère, en tout cas un virage. Les attentats terroristes à Madrid, à Londres et ailleurs resteront dans les mémoires,...