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Actualités - REPORTAGE

Reportage - Islamabad ne dispose pas de loi interdisant le trafic d’organes Les villageois du Pakistan vendent leurs reins pour échapper à la misère

Amjad Ali s’est vu promettre il y a dix mois un emploi et de l’argent en échange de l’un de ses reins. Aujourd’hui, il n’a toujours ni l’un ni l’autre, et il lui manque un organe. Affalé sur un lit en bois dans la cour de sa petite maison, ce villageois pakistanais du désert du Cholistan, dans l’est du pays, se sent faible et ne cache pas son inconfort. « Ils m’ont promis un travail et m’ont emmené à Rawalpindi. Ils m’ont drogué, j’ai été inconscient pendant des jours, et ils m’ont retiré mon rein », raconte Amjad, la voix chargée d’amertume. À ses côtés, son père pleure en silence. Contrairement à d’autres pays, et notamment à l’Inde voisine, le Pakistan ne dispose pas de loi interdisant la vente d’organes. En conséquence, des clients fortunés pakistanais, mais aussi saoudiens, britanniques et canadiens viennent dans les hôpitaux privés de Lahore et de Rawalpindi pour des greffes de rein. Des opérations mettent souvent en danger les donneurs. S’il semble abattu, Ali a suffisamment d’énergie pour vouloir demander des comptes aux agents qui l’ont convaincu de perdre un rein. Le père de Ali a contracté des emprunts, vendu ses chèvres et sa vaisselle, ainsi que des briques de sa maison pour payer les frais d’avocat de son fils. La police a arrêté trois personnes pour le vol de son rein, mais les suspects disposent de documents qui les disculpent. « Ils ont un document affirmant qu’Amjad leur a vendu son rein pour 75 000 roupies (1 250 dollars) », a expliqué Rana Azam Khan, haut responsable de la police du secteur de Yazman. « Nous savons que les pauvres, à Yazman, vendent leurs reins contre de l’argent. Mais personne ne se plaint et aucune loi ne nous permet d’attaquer les intermédiaires ou les hôpitaux », souligne-t-il, l’air dépité. « Nous prenons ce problème très au sérieux. Une loi à ce sujet est entre les mains de l’Assemblée nationale », assure cependant le ministre de la Santé Shahnaz Sheikh. Mais de précédentes tentatives d’encadrement législatif ont échoué. Pour le Dr Adeeb Rizvi, chirurgien dans un hôpital de Karachi (Sud) spécialisé dans l’urologie et les greffes, le manque de soins apportés aux donneurs est l’aspect le plus insupportable du trafic de reins. « Le problème, c’est que ces gens ne reçoivent pas les soins médicaux post-opératoires appropriés et que leur santé se dégrade rapidement, ce qui affecte leur vie », explique-t-il. À Madina, village entouré d’orangeraies proche de la ville de Sargodha, dans le centre du Punjab, trois amis – Mohammad Khalid, Liaquat Ali et Mohammad Tariq – portent d’immenses cicatrices quasi identiques sur les flancs. Tous les trois ont vendu un rein pour échapper au fardeau de la dette, sans que cela n’améliore leur situation. Ils gagnent 100 roupies, soit moins de deux dollars par jour, en emballant des oranges pour un propriétaire local. Les yeux vitreux et le visage émacié de Khalid témoignent de l’inquiétude et de la douleur qui le rongent. « Je devais 55 000 roupies (plus de 900 dollars) au propriétaire de l’usine. J’ai consacré l’argent à des soins pour mon enfant. J’ai six enfants et j’ai accumulé encore plus de dettes car je ne travaille plus autant qu’avant », explique Khalid, ajoutant qu’il déconseille à tous de suivre son exemple.

Amjad Ali s’est vu promettre il y a dix mois un emploi et de l’argent en échange de l’un de ses reins. Aujourd’hui, il n’a toujours ni l’un ni l’autre, et il lui manque un organe.
Affalé sur un lit en bois dans la cour de sa petite maison, ce villageois pakistanais du désert du Cholistan, dans l’est du pays, se sent faible et ne cache pas son inconfort. « Ils m’ont promis...