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Actualités - CHRONOLOGIE

LITTÉRATURE - Naguib Mahfouz, le maître du roman arabe moderne, n’est plus Les combats de l’homme du Nil

Une figure de proue de la littérature arabe contemporaine et un homme aux combats multiples vient de quitter les bords du Nil. Naguib Mahfouz, premier écrivain arabe (et le seul jusqu’à aujourd’hui) à être lauréat du prix Nobel de littérature en 1988, a rendu l’âme hier, à l’hôpital de la Police au Caire, suite à une hémorragie après une insuffisance rénale et une pneumonie. Blessé à l’arme blanche en 1994 par deux jeunes fanatiques islamistes, le patriarche de la république des lettres égyptiennes ne pouvait plus écrire, mais dictait ses textes. Il laisse derrière lui plus de cinquante romans, nouvelles et pièces de théâtre, traduits dans plusieurs langues, appréciés de la critique, plébiscités par un nombre immense de lecteurs et dont certains de ces opus ont été portés avec succès à l’écran. Une œuvre riche, gigantesque et prolifique, qui va des premiers temps pharaoniques pour aborder par la suite les complexes problèmes sociopolitiques d’une Égypte confrontée aux vents de la misère, des tourmentes, des atavismes indéracinables et des contradictions. Une œuvre dotée d’un dynamisme incroyable, qui fouille, en toute lucidité, tous les recoins de l’histoire et ne se prive pas de clamer, haut et fort, le droit à la paix, à la justice et à la vérité. Écrire n’est jamais innocent. On ne manipule pas impunément les mots. Mots de liberté qui vont coûter très chers au maître du roman arabe. Un maître qui disait en toute sagesse : « Je suis du côté de la connaissance, seule voie de salut dans cet océan houleux d’ignorance dans lequel nous sommes appelés à vivre. » Né le 11 décembre 1911 dans une famille de petite bourgeoise cairote, Naguib Mahfouz a très vite manifesté un goût prononcé pour les idées, les mots, la fiction romanesque et l’état de vie de ses concitoyens. Détenteur d’une licence en philosophie, il entre dans la fonction publique tout en noircissant des cahiers. À dix-sept ans, il abordait sérieusement sa vocation d’écrivain. Féru de Tolstoï, Dickens, Zola et Camus, Naguib Mahfouz révélera aux lecteurs arabes ses découvertes des romans étrangers à travers une narration romanesque originale et, en ce temps-là, un peu inédite dans le monde arabe. Il situe son premier roman, en 1939, dans les labyrinthes de l’Égypte pharaonique, se ravise et plonge, avec une veine réaliste, dans l’histoire immédiate. Une histoire où rif et capitale sont la scène des Rastignac des bords du Nil. Paraissent successivement Le passage des miracles et Vienne la nuit. S/T Une voix qui porte et qu’on écoute La notoriété tarde un peu à venir, mais arrive vers la maturité, à l’âge de quarante-cinq ans. C’est la monumentale Trilogie (Impasse des deux palais, Le Palais des désirs et Le Jardin du passé) avec ses 1500 pages qui forcent les portes du grand public. Retentissant sésame pour une fresque historique qui va de la révolution de 1919 aux dernières années de la monarchie, avec des personnages hauts en couleur, en chassé-croisé de situations éminemment romanesques… Mais tenaillé par la politique, qui a toujours un rôle prépondérant dans son œuvre, Naguib Mahfouz signe son célèbre Awlad Haretna (Les fils de la médina) et s’attire les foudres des ulémas. Fiction allégorique avec critique des dérives autoritaires du régime de Nasser, cette réflexion pessimiste et désenchantée sur le pouvoir irrite plus d’un. Faisant fi de tous les défis qu’il lance, Naguib Mahfouz n’a foi qu’en son inspiration, sa plume et sa vertu dénonciatrice. Ses écrits-fleuves, admirables chants de la tolérance et de la modération, imperturbablement, continuent à noyer les devantures des librairies et le monde arabe. C’est une voix qui porte et qu’on écoute. Une voix aux aguets de ce qui se prépare pour l’avenir. Une voix qui n’ignore ni la misère, ni les injustices, ni les gabegies des discours politiques. Se suivent, bien proches du bouillonnement des jeunes en colère de 1967, des œuvres explosives telles : Récits de notre quartier et La chanson des gueux. Entre-temps, le fougueux écrivain, plus jeune d’esprit que jamais, soutient la paix égypto-israélienne tout en déclarant sa solidarité avec les Palestiniens. D’ailleurs, c’est avec eux, sa femme et ses deux filles, qu’il partagera son chèque du prix Nobel. Mais c’était sans compter les heurts avec les durs des fondamentalistes qui iront jusqu’à l’agresser à l’arme blanche pour sa prise de position. Depuis 1994, Naguib Mahfouz est un homme physiquement diminué et affaibli, mais qui n’a jamais renoncé, presque sourd et aveugle, à être présent sur la scène littéraire. Louable courage d’un homme à la stature « hugolienne », à la volonté de fer, digne héritier de Taha Hussein, Mahmoud Hussein Haykal et Tawfic al-Hakim. Nul mieux que lui n’a écrit et décrit la lumière, la poussière, les odeurs, les parfums, les machinations, les vices, les tractations, les intrigues, la fourberie, la sincérité, l’héroïsme, l’ingénuité, la bonté, la grandeur et la décadence de l’Égypte profonde dans ses deltas tumultueux et ses bruyants chavirements. Avec une place toute particulière et privilégiée pour Le Caire, qui a fini par ronger tout son cœur, dans un amour parfaitement et totalement partagé… C’est vrai que le poète est parti, mais le monde n’a pas changé pour autant. Si l’enfant de Gamaliya a rêvé grand, l’univers est hélas bien petit… « Mon âge me limite, mais il me reste l’immensité des rêves », disait dernièrement Naguib Mahfouz avec sa foi inébranlable en la littérature. Sartre s’interrogeait sur ce que la littérature peut. En effet, elle peut beaucoup. Pour bâtir, et non seulement rêver, allons retrouver l’immensité des pages que le plus célèbre des intellectuels de l’Égypte a noircies. Et là le monde est à refaire avec des mots qui ont aujourd’hui valeur de testament. Edgar DAVIDIAN

Une figure de proue de la littérature arabe contemporaine et un homme aux combats multiples vient de quitter les bords du Nil. Naguib Mahfouz, premier écrivain arabe (et le seul jusqu’à aujourd’hui) à être lauréat du prix Nobel de littérature en 1988, a rendu l’âme hier, à l’hôpital de la Police au Caire, suite à une hémorragie après une insuffisance rénale et une...