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Actualités - OPINION

Fouad Siniora chantera de nouveau

Novembre 2005. La saison n’a pas été excellente. Les festivals de l’été ont tourné au ralenti. En février, on assassine Rafic Hariri. En mars, tout le Liban est sur la place des Martyrs devenue place de la Liberté. Les Libanais, impressionnés par la force que leur donne leur unité, chassent en avril le dernier soldat syrien de leur pays. En juin, on assassine Samir Kassir. On pose des bombes par-ci, par-là, on les sème au petit bonheur dans les quartiers. On est en novembre 2005. On n’a pas encore assassiné Gebran Tuéni. Les trois grands festivals du Liban (Beiteddine, Baalbek et Byblos), qui se livrent généralement une concurrence féroce, unissent leurs efforts et dans un élan de solidarité exceptionnelle, réussissent à inviter à Beyrouth un géant de la pop anglaise. Phil Collins, pour sa tournée d’adieux, dans un Beyrouth qui vient de retrouver sa liberté… tout un symbole. Le Liban finit de se relever. il se lève carrément. C’était le 5 novembre 2005, grâce à leur union, les Libanais ont réussi à chasser l’armée syrienne et à faire venir Phil Collins à Beyrouth. 800 personnes, réunies au BIEL, attendent dans une excitation palpable l’arrivée de la star anglaise. Phil Collins a du retard. La salle s’impatiente. Le voilà ! Les applaudissements fusent, le public se lève pour accueillir Fouad Siniora. Le peuple est derrière lui. Pendant tout le mémorable concert, il chantera. Il connaît les paroles de toutes les chansons de Phil Collins. Pendant les mois qui suivent, les Libanais découvrent en Fouad Siniora un homme d’État de talent. Un homme qui chante avec Phil Collins le Liban relevé, le bonheur arabe, le message… le renouveau. Un homme qui chante et qui, quelques mois plus tard, pleurera. Effectivement, huit mois plus tard, la p)lace de la Liberté redevient place des Martyrs, et pire encore : place des Canons. Huit mois plus tard, après avoir chanté au concert de Phil Collins, Fouad Siniora pleure à la réunion des ministres arabes des Affaires étrangères. Les larmes de Siniora font mal. Elles nous font mal parce qu’elles font écho à nos larmes, celles qu’on verse sur l’espoir brisé. Celles que tous les matins je retiens, en lisant la presse, celles que parfois – souvent – comme lui, je ne retiens plus. La guerre a un mois, elle a fait plus de 1 000 morts, dont beaucoup d’enfants. Quelle connerie ! Le plus terrible, c’est la résignation qui nous gagne. Et quand la résignation pointe, c’est qu’ils sont en train de gagner la guerre. « Eux », c’est ceux qui la font. Une guerre est menée par ceux qui la font contre ceux qui ne la font pas. Quand la résignation s’installe chez ceux qui ne la font pas, ceux qui la font prennent l’avantage. Tout ce que je souhaite, c’est qu’elle ne dure pas jusqu’à l’hiver. C’est terrible la guerre en hiver. Je m’en souviens avec douleur. On confond le tonnerre des orages avec le bruit des bombes. Je perds espoir. J’ai même pensé faire mon deuil. Mon deuil du Liban, comme d’un être cher qu’on a perdu et dont – la vie étant toujours la plus forte – on finit toujours par se remettre. Je sais que je n’en avais pas le droit, mais j’ai quand même fait part de ces réflexions à mon amie sur MSN. Elle m’a dit : « Pas encore, please Camille, pas encore. » Oui, Marina, tu as raison, pas encore. Jamais même. Merci ! À vous aussi, Monsieur le Premier ministre, merci ! Merci d’être là, merci d’être à la hauteur, merci de résister, merci pour votre humanité, merci d’avoir chanté au concert de Phil Collins, merci d’avoir pleuré. Merci de tellement bien représenter ce Liban qui chante et pleure à la fois. Merci d’être un amoureux de Beyrouth comme votre ami qu’on a assassiné, comme votre camarade de toujours qu’on assassine et réassassine encore. Merci d’être un amoureux de Beyrouth comme Samir qu’on a assassiné, comme Samir qu’on assassine et réassassine encore. Beyrouth… il y a quelques années, je jetais dans un coin de mon vieil ordinateur ces quelques lignes à travers lesquelles je m’adressais à elle : Beyrouth, jaune, grise, rose, bleue, orangée, ton urbanité particulière aura toujours ce doux parfum d’un Orient timide et pourtant criard. Les pieds dans l’eau, la tête dans les étoiles, ton corps est meurtri par une histoire qu’on peut lire sur un mur ocre, au coin d’une rue, dans une odeur de jasmin, au hasard d’une maison déchirée, derrière une grille abritant un jardin touffu, sur un visage familier ou dans l’éternel clapotis des vagues qui viennent terminer leur course sur tes falaises calcaires. Le détail d’un sentiment apporté par le vent d’ouest, l’imperceptible variation de la couleur de tes murs qui annonce le début de l’après-midi, la prière du muezzin qui altère étrangement ta matière et des centaines d’autres minutes volées pourraient nous faire oublier l’inoubliable. Beyrouth la jaune, tu as connu l’homme, ses haines, ses amours, ses passions. Tu as vu tes fils se battre dans tes rues, se déchirer, te déchirer. Tu les as vus s’acharner cruellement, comme des enfants sur un jouet. Tu t’es nourrie de leur folie, de leur sang. Tu les as vus grandir, tu les as vus mourir, tu les as vus souffrir et pleurer d’avoir perdu ce qu’ils avaient de plus cher. Aujourd’hui, comme une fille de joie qui a vécu, tu es riche d’expériences et de sentiments contradictoires. Tu es pleine de souvenirs et regorge d’histoires à nous raconter. Mais tu es fatiguée. Tu te relèves pourtant. Le sein lourd, la ride au front, le dos courbé. Que tu es belle ! Si vous la croisez, l’œil triste de celui qui sait, le genou écorché du vieux que l’on a frappé, rendez-lui ce sourire étrange, embrassez-la si vous en avez le courage, aimez-la si vous le pouvez ou vous la haïrez. Mais jamais, jamais pour elle ne ressentez la moindre pitié car elle a la fierté de ceux qui savent, de ceux qui sont debout. Tu te relèves, Beyrouth, tu te relèves, et voilà qu’on te frappe à nouveau. Pourquoi ? Beyrouth, tu te relèveras encore. Et j’ose croire que cet automne sera l’automne de l’espoir. J’ose croire que cet automne, le printemps refleurira, et qu’avec Phil Collins ou un autre, ou beaucoup d’autres qui reviendront chanter à Beyrouth, M. Siniora chantera de nouveau. Camille AMMOUN Abou Dhabi
Novembre 2005. La saison n’a pas été excellente. Les festivals de l’été ont tourné au ralenti. En février, on assassine Rafic Hariri. En mars, tout le Liban est sur la place des Martyrs devenue place de la Liberté. Les Libanais, impressionnés par la force que leur donne leur unité, chassent en avril le dernier soldat syrien de leur pays. En juin, on assassine Samir Kassir....