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Le Liban entre Massada et Karbalaa

La guerre, qui a éclaté le 12 juillet 2006 sur le territoire libanais, poursuivie entre Israël et le Hezbollah est, dans l’un de ses aspects, un conflit entre le peuple juif et la communauté chiite. Toute guerre, bataille, phénomène social ou comportement humain peut être analysé, afin de comprendre ses causes, ses caractéristiques et ses résultats, en portant un regard « prismatique » qui révélera ses aspects politiques, sociaux, géographiques, démographiques, économiques ou historiques. Il s’agit ici d’avoir une approche psycho-historique qui montre l’étendue des effets psychologiques que peuvent engendrer les tragédies et les misères subies par des communautés sur l’évolution de leur histoire et sur leurs relations avec d’autres communautés, notamment lorsque ces tragédies revêtent un caractère religieux sacré, tout en conservant quelques spécificités mythiques et légendaires. * * * Le peuple juif a accumulé dans son inconscient collectif une multitude de tragédies et d’expériences tout au long de son histoire qui commence avec l’immigration d’Abraham de la cité d’Ur, en Mésopotamie, en passant par l’exode des juifs d’Égypte sous le commandement de Moïse jusqu’à l’instauration du royaume d’Israël sous le règne de David, et son apogée sous le règne de son fils, Salomon dit le Sage, arrivant à la destruction du Temple de Salomon par le roi Nabuchodonosor et la captivité du peuple juif à Babylone, aboutissant à la rébellion contre l’occupant romain, à la destruction totale pour la seconde fois du Temple ainsi qu’à la dispersion du peuple juif aux quatre coins du monde durant 2000 ans jusqu’à ce que ce peuple, après l’Holocauste sous l’Allemagne nazie, reconstruise son État sur la terre de Palestine après avoir chassé tout un peuple de sa patrie pour prendre sa place. Dans l’histoire et la littérature juives, la bataille de Massada représente un événement saillant qui a contribué essentiellement à la constitution de la psychologie du peuple juif. Le général romain Titus – devenu empereur plus tard – ayant anéanti les révolutions juives dans la province palestinienne, en l’an 70 après J-C, détruit le Temple de Salomon et dispersé le peuple juif à travers le monde, une partie des juifs – les Zélotes – ont recommencé à fomenter des troubles contre l’Empire romain qui gouvernait le monde connu à l’époque, faisant de la mer Méditerranée un lac romain. Les Romains décidèrent d’encercler la citadelle de Massada, située sur la rive occidentale de la mer Morte, le dernier rempart d’agitation où les juifs s’étaient barricadés. Après avoir résisté avec acharnement au siège romain sous le commandement du gouverneur Flavius Silva, les juifs de Massada, constatant la défaite inévitable, prirent la décision fatale d’un suicide collectif plutôt que de capituler devant l’ennemi et de devenir des esclaves. Quand les Romains entrèrent dans Massada, ils ne trouvèrent de vivants dans la forteresse que cinq enfants et deux femmes. Ce sont elles qui raconteront les dernières heures historiques de Massada. Cette tragédie a imprégné la conscience juive à travers l’histoire et a engendré chez ce peuple les caractéristiques du complexe de persécution, la tendance à culpabiliser autrui et la passion pour l’extrémisme absolu jusqu’à l’embrassement de la mort par le suicide. Ceci a amené des spécialistes dans la psychologie des peuples à diagnostiquer chez le peuple juif le « complexe de Massada ». * * * L’histoire de la communauté chiite est remplie de drames et de malheurs depuis l’assassinat d’Ali ben Abi Taleb, le cousin du Prophète et l’époux de sa fille Fatma, en passant par le meurtre de Hassan et de Hussein, les fils d’Ali et de Fatma, jusqu’à la persécution des chiites qui s’ensuivra durant des siècles, amenant une partie de cette communauté à trouver un foyer et un refuge à Jabal Amel, au Liban-Sud, où s’est épanouie la pensée chiite à travers les Hozats (écoles religieuses) qui a eu une grande influence sur le Fokh (doctrine) musulman. À la base même de la constitution de cette communauté chiite à travers l’histoire, il y a la bataille de Karbalaa, un événement tragique qui a vu se produire le meurtre de Hussein, qui avait décidé de répondre aux appels de ses adeptes irakiens et s’était dirigé vers Koufa en compagnie d’un petit groupe composé de ses plus fidèles partisans, de ses proches parents et des membres de sa famille. À Karbalaa, les cavaliers d’Abdallah ben Ziad, wali (gouverneur) d’Irak, assaillent Hussein, qui refuse de se rendre et est attaqué par 4 000 guerriers commandés par Omar ben Saad ben Abi Wakass, dans un combat où ses hommes sont massacrés et lui-même meurt décapité. La tête du petit-fils du Prophète fut envoyée au calife Yazid, à Damas, qui la rendit à la sœur et au fils de Hussein, qui l’inhumèrent à Karbalaa. Depuis, le jour où Hussein fut tué, qui correspond au 10 de Mouharram de l’an 61 Hégire (10 octobre 680 après J-C), est commémoré comme jour de deuil et de lamentation chez les musulmans chiites. Karbalaa devient pour eux le lieu le plus sacré au monde. C’est à Karbalaa que le chiisme est né dans le souvenir du meurtre de Hussein. Ce drame a marqué la personnalité chiite à travers l’histoire consolidant aussi chez les partisans de cette communauté le complexe de persécution et enflammant dans leurs âmes la passion du martyre et le goût de l’après-mort promis par la religion. C’est là que les chercheurs dans la psychologie des peuples voit un « complexe de Karbalaa » chez la communauté chiite. * * * C’est sur cet arrière-plan psycho-historique que la guerre du Liban se déroule aujourd’hui entre, d’un côté, Israël et son « complexe de Massada » qui le séduit par la beauté du suicide et, de l’autre, le Hezbollah et son « complexe de Karbalaa » qui le fascine par l’attrait du martyre dans le jihad. Mounir RIZK
La guerre, qui a éclaté le 12 juillet 2006 sur le territoire libanais, poursuivie entre Israël et le Hezbollah est, dans l’un de ses aspects, un conflit entre le peuple juif et la communauté chiite.
Toute guerre, bataille, phénomène social ou comportement humain peut être analysé, afin de comprendre ses causes, ses caractéristiques et ses résultats, en portant un regard «...