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Actualités - OPINION

Impression Botanique

Chaque année, à peine février touche-t-il à sa fin que les amandiers sont en fleurs. La campagne est encore un paysage de Corot, avec ses branches noires qui lézardent le ciel, avec sa terre boueuse et ce parfum humide de feuilles mortes dont se revêt la brume, ultime coquetterie de l’hiver. Mais les amandiers forment déjà leurs bourgeons. Une première bourrasque les emporte. Qu’importe. La sève ne se retient pas. D’autres poindront, giflés par le vent du Nord, et d’autres encore, par le vent d’Ouest, jusqu’au dernier poudroiement rose et blanc au cœur duquel s’arrondira enfin le fruit, tendre secret de velours vert. J’ai longtemps cru qu’une conversation ineffable entre le ciel et la terre ordonnait le protocole des saisons. Qu’au moment où il était dit à l’un : arrête-toi de pleuvoir, à l’autre il était dit : envoie les fleurs. Avec les amandiers, ça n’a jamais marché. Nostalgique de l’hiver en cet été assassin, l’amandier m’est un repère. Ainsi sommes-nous condamnés à remettre sur le métier notre ouvrage. Nous enfantons pour la mort. Nous écrivons sans trouver le mot « fin ». Nous esquissons des toiles qui ne reçoivent jamais de couleurs. Nous bâtissons des villes qui s’écroulent au premier vent mauvais. Et nous recommençons, Dieu nous en est témoin. De quelle nature sommes-nous donc faits, de quelle matière infiniment malléable, de quelle glaise inhumaine ? Jusqu’où peut aller la patience, l’endurance, la résilience, jusqu’où peut aller la raison, c’est par ici messieurs-dames approchez, le spectacle est gratuit, totalement. Regardez-le se débattre, ce petit pays dont on prétend qu’il est sans avenir, alors que s’y joue aujourd’hui l’avenir du monde. Ne dites plus « pays du Cèdre ». Laissez ce symbole aux temps bibliques où l’on rasait les forêts pour bâtir des temples. Où l’on saccageait la terre pour plaire aux cieux. Solitaire, imperturbable, increvable, immuable, le cèdre ne nous ressemble pas. Le cèdre, c’est pour la frime. Notre forêt à nous est de toutes les essences, et c’est pliés en deux que nous souffrons, mais l’envie de vivre nous redresse. Dans notre fragilité réside notre seule force. Et dans notre obstination. La guerre ne sera pas encore finie, comme pour les amandiers l’hiver, que vous nous verrez déjà retrousser les manches. Le malheur est une discipline pour l’esprit, une chance pour l’intelligence, répétait souvent Michel Chiha. Alors que Mrs Rice joue sa partie de Risk en trichant sur la géographie, et quel que soit ce nouveau Moyen-Orient à l’emporte-pièce qu’elle promet à la mappemonde, que quelqu’un lui suggère quelle race de mutants est en train de naître sur ce vieux-nouveau territoire. Une tempête d’amandiers en floraison précoce, prêts à céder les premiers bourgeons et tous les autres, pourvu qu’un jour une chance soit donnée au fruit, à son secret de velours vert… Fifi ABOU DIB

Chaque année, à peine février touche-t-il à sa fin que les amandiers sont en fleurs. La campagne est encore un paysage de Corot, avec ses branches noires qui lézardent le ciel, avec sa terre boueuse et ce parfum humide de feuilles mortes dont se revêt la brume, ultime coquetterie de l’hiver. Mais les amandiers forment déjà leurs bourgeons. Une première bourrasque les...