Après plus de quatre ans de crise économique et financière, la question de la répartition des pertes du secteur financier (BDL et banques commerciales), qui a constitué l’un des principaux obstacles à l’adoption d’un plan global de résolution de la crise, s'invite de nouveau au Parlement. Parmi les propositions de loi qui sont inscrites à l'ordre du jour des commissions parlementaires mixtes mardi, trois, présentées respectivement par les Forces libanaises (FL), le Mouvement Amal et le Courant patriotique libre (CPL), portent en effet sur la gestion des actifs de l'État, considérés dans les trois cas comme un moyen de générer des revenus dans l’optique d’une reconstitution des dépôts.
L'analyse de ces textes ne devrait pas être terminée avant quelques semaines ou mois et, selon des sources proches du président du Parlement Nabih Berry, l'objectif ultime de ce dernier est de fusionner les trois projets. Car bien que ces propositions de loi diffèrent sur plusieurs points, elles s'accordent sur le fait de rendre l'État responsable d'une grande partie des pertes du système financier. Et malgré certaines clauses concernant la responsabilité des banques, ces approches ne diffèrent donc pas fondamentalement de ce que l'Association des banques avait déjà proposé en 2020, lorsqu’elle avait tenté de lier la privatisation de ces actifs (ou, comme elle le dit désormais, d’une administration privée et indépendante de ces actifs) à la restitution des dépôts. L’examen de ces textes fait d’ailleurs suite à une décision controversée du Conseil d’État en février dernier, lorsque celui-ci a invalidé une mesure du plan gouvernemental de l’époque, qui prévoyait une suppression des engagements en devises de la banque centrale (BDL) à l’égard des banques, considérant ainsi l’État comme responsable des dettes et du déficit de la BDL.
Le texte des FL propose la création d'un organisme indépendant pour gérer les actifs de l'État, en stipulant que les revenus de cet organisme iront au Trésor général et au fonds de restitution des dépôts. La création de ce dernier étant prévue dans un projet de loi en attente d'adoption au Parlement depuis 2022, car les revenus alloués ne sont pas clairement définis, selon la majorité des députés, le texte vise notamment à combler cette lacune, selon ses auteurs. Le texte présenté par Amal, et essentiellement préparé par le chef du Conseil d'État, Fadi Élias, reprend la fameuse formule de Nabih Berry selon laquelle « les dépôts sont sacrés » et représentent des obligations de l'État et de la BDL, car ces deux parties ont emprunté des fonds qui sont avant tout des dépôts de clients. Le projet propose diverses idées pour gérer les actifs de l'État et allouer une partie de ses revenus aux déposants. Cela inclut les revenus attendus du pétrole et du gaz, ainsi que les propriétés publiques maritimes, immobilières et autres actifs de l'État. Quant au projet de loi du CPL, il stipule que les déposants devraient recevoir 30 % des revenus d'un fonds fiduciaire pour la gestion des actifs de l'État ou des processus de privatisation.
Quelle soutenabilité ?
Sans rentrer dans l’analyse détaillée de chacune de ces propositions de loi, leur philosophie et objectif commun soulèvent un certain nombre d’observations. D’abord, le fait que le Parlement reprend l'initiative sur ce sujet peut sembler paradoxal alors que ces mêmes députés n’ont jusqu’à présent pas réussi à adopter, voire étudier, l’essentiel des grandes réformes exigées par la situation et les partenaires internationaux – du projet de loi sur le contrôle des capitaux à la restructuration bancaire. Pourquoi le fait-il ? Il est indéniable que les courants politiques, par ailleurs farouchement opposés sur de nombreux sujets, ont un intérêt majeur à s'accorder sur une formule concernant les droits des déposants, surtout avec les élections législatives prévues dans moins de deux ans…
Le problème est qu’ils le font sur une base qui contredit la hiérarchie de responsabilité convenue entre le gouvernement et le Fonds monétaire international – qui place les banques à son sommet –, et met par ailleurs en garde contre une utilisation accrue des actifs de l'État pour amortir les pertes. Dans une telle hypothèse, le FMI considère qu'il y a un risque pour la soutenabilité de la dette publique. Cette soutenabilité suppose que l'État doit rester capable de rembourser ses dettes à long terme en utilisant les recettes de ses actifs, après avoir restructuré ses obligations en eurobonds et contracté de nouvelles dettes, tout en tenant compte d'autres priorités telles que les dépenses sociales (salaires, santé, éducation), la modernisation des infrastructures et la relance de l’activité. Si des charges supplémentaires sont imposées à l'État, notamment le remboursement des dépôts, la soutenabilité de la dette publique deviendra incertaine et les institutions financières internationales hésiteront à accorder de nouveaux prêts au Liban.
D’autant que, comme l’ont déjà souligné de nombreux observateurs, le Liban redoute que des détenteurs d'eurobonds n'intentent des poursuites internationales dans les mois à venir. Si le principe selon lequel l'État est responsable du remboursement des dépôts à partir de ses actifs est reconnu par les législateurs, ces poursuites seront renforcées par des arguments supplémentaires contre le Liban, d'autant plus que les détenteurs d'eurobonds ont une priorité de remboursement avant les autres créanciers. Et dans cette perspective, les réserves d’or de la BDL pourraient même être menacées. La reconnaissance de cette nouvelle dette en devises par les députés est d’autant plus étrange que les budgets approuvés par le Parlement ne font apparaître aucune dette correspondant aux dépôts, mais ne montrent que des prêts en dollars, essentiellement sous la forme d’Eurobonds…
Conséquences fiscales
Par ailleurs, la recherche de la maximisation des revenus des actifs de l'État, telle qu'énoncée dans les trois projets, entraînera inévitablement une augmentation des taxes et des redevances, notamment sur les services publics inclus dans ces projets. Et on peut s'attendre à des protestations parmi les non-déposants, car tous les contribuables ne sont pas forcément des déposants – d’autant que ces derniers sont très concentrés (environ 15 % d’entre eux détiennent plus de 80 % des dépôts, selon les derniers chiffres de la Commission de contrôle des banques).
Enfin il convient de noter que ces trois propositions s’accordent sur le fait que confier la gestion de services publics actuellement déficitaires ou improductifs à une entité indépendante suffirait à régler leurs problèmes de rentabilité. Or les nombreux exemples passés, à commencer par celui de l’électricité, suffisent à montrer que cela n’est pas le cas.
Quant aux problèmes de gouvernance, faut-il rappeler qu’il existe des dizaines d'institutions publiques nominalement indépendantes, mais qui restent soumises à des quotas partisans, politiques et confessionnels ?
Mais l’ensemble de ces arguments ne devrait pas forcément dissuader les promoteurs de ces textes. Car plutôt que de se mettre d’accord sur un récit unique et consensuel de la crise, ce qu’ils veulent avant tout, c’est éviter de rendre des comptes sur ses causes et leurs responsabilités.
La modernisation de l’administration de l’état est la clef de voûte de la solution. Digitalisation des transactions=baisse de la corruption et baisse des coûts = 5 milliards de plus par an pour l’ETAT. Qui n’en veut pas ?
10 h 40, le 12 juin 2024