Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Réflexions autour de l’article de Percy Kemp

Vous avez publié, dans votre édition du 28 juillet 2006, un courrier de M. Percy Kemp intitulé « Soyons amis de nos concitoyens », qui m’inspire les quelques réflexions suivantes. Les lecteurs pourraient lire l’article de M. Kemp comme un appui sans faille à l’action du Hezbollah. Ceux qui connaissent l’auteur savent pourtant que celui-ci est loin, très loin, de partager l’idéologie politique et religieuse du parti de Dieu. Son article mérite donc une lecture plus attentive, à froid et sans préjugés, même s’il est très difficile, dans les circonstances actuelles, de prendre du recul. Cet exercice m’a conduit, pour ma part, à approuver quelques idées-forces de l’article et à me distancier de certaines autres. Il convient de saluer, au préalable, le courage de l’auteur. Car il faut du courage pour s’inscrire en faux contre les idées du moment et du milieu, idées partagées par des lecteurs dont les sensibilités politiques sont, dans l’ensemble, connues. Il faut aussi apprécier, dans l’opinion de Percy Kemp, le souci de rechercher une solution libanaise aux problèmes libanais. De ce point de vue, l’auteur apparaît comme un nationaliste libanais pur et dur : être « les amis de nos concitoyens », et non des Syriens, des Iraniens, des Américains ou des Français, dans la fierté de notre appartenance au seul Liban. Nous avons, de fait, suffisamment souffert des nationalismes supranationaux – arabe, musulman et d’autres encore – pour ne pas réaliser que seul le nationalisme libanais doit être construit et renforcé. C’est dire qu’il faut tirer, avec réalisme, les leçons des erreurs du passé. Pour en avoir lourdement payé le prix en 1990 – le général Aoun s’étant lancé dans une guerre de libération perdante, qui a finalement fait le jeu de la Syrie – nous savons qu’en politique, les grands principes ne servent à rien si l’on ne tient pas compte des résultats de nos actions. Ainsi, que nous déplorions l’armement ou l’existence même du Hezbollah, là n’est pas la question. Le Hezbollah est une réalité que nous ne pouvons ignorer ; l’insulter ou l’isoler ne servira qu’à le radicaliser davantage. En ces temps de guerre, l’une des clés de la solution du conflit semble résider dans l’envoi d’une force internationale au Liban. Percy Kemp manifeste son opposition farouche à l’envoi de telles troupes. J’avoue partager ses craintes, au regard des expériences passées. La greffe d’un nouveau corps étranger sur notre territoire – surtout s’il s’agit des troupes de l’OTAN, force militaire qui sera perçue par certains comme une nouvelle occupation – ne risque-t-elle pas d’exacerber davantage les sensibilités et les rancœurs et de s’achever, comme les précédentes, en un bain de sang ? À cet égard, la proposition de Timor Goksel, ancien porte-parole de la Finul, qui consiste à élargir considérablement les pouvoirs de la Finul (v. L’Orient-Le Jour du 29 juillet 2006), apparaît plus appropriée. Il serait également logique, dans cette perspective, que les troupes soient déployées des deux côtés de la frontière. En tout état de cause, une telle force peut-elle garantir la paix ? Le bon sens oblige à reconnaître que la solution de nos problèmes ne peut être militaire, mais politique. Si l’arrêt des hostilités est accepté par les belligérants, nous n’avons pas besoin d’une force internationale, le déploiement de l’armée libanaise au Sud est suffisant. Si les protagonistes ont en revanche des intentions belliqueuses, aucune force internationale ne pourra empêcher le regain des tensions et des violences. Mû par le souci d’une solution libanaise, Percy Kemp soutient que seule l’armée libanaise doit être déployée à la frontière. Il propose que nos députés « se réunissent sur-le-champ afin d’élire un nouveau président (…), un président à qui mandat serait donné par tous afin de former un gouvernement d’union nationale, déployer l’armée aux frontières et appliquer les clauses de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU dans le cadre du retrait de toutes les forces étrangères de chaque parcelle du territoire national, aussi infime soit-elle, et du retour dans leur patrie des Libanais détenus tant en Israël qu’en Syrie ». On ne peut qu’approuver ce programme. Encore faut-il que le Hezbollah y adhère. C’est peut-être pour favoriser ce résultat que l’auteur propose comme futur président « un homme issu de l’armée qui, ayant permis à la révolution du Cèdre de se dérouler sans violence tout en accordant ses droits à la Résistance, aurait réussi à gagner tant la confiance des forces du 14 Mars que celle du Hezbollah ». On aura reconnu sans difficulté le commandant en chef de l’armée, le général Michel Sleimane. On peut comprendre ce choix par la nécessité de recourir, dans l’état d’urgence, à un homme à poigne, capable de se faire respecter et obéir de ses troupes, et qui a réussi la gageure d’être apprécié par les deux principaux blocs en présence. Reste à savoir si les Libanais sont disposés à rééditer l’expérience de l’élection, à la magistrature suprême, d’un militaire en fonction… Si je suis sensible aux craintes de Percy Kemp quant à l’envoi éventuel d’une force internationale, il me semble en revanche que l’auteur met quelque peu dans le même sac toutes les forces étrangères ayant foulé le sol de notre pays. Il va de soi que l’on ne peut comparer, par exemple, le mandat français à la force arabe de dissuasion, qui a conduit à l’occupation syrienne… et je ne crois pas que les martyrs du 6 mai 1916 sont tombés « pour que vivent Paris et la francophonie ». J’avoue enfin être déroutée par l’idée selon laquelle la lutte menée aujourd’hui contre Israël continue, sous d’autres formes, la bataille de l’indépendance engagée par la révolution du Cèdre. Cette idée ne fait-elle pas abstraction de la dimension iranienne du parti de Dieu, lequel s’intègre au projet géopolitique porté par l’Iran ? En tout état de cause, pour que le mouvement du 14 Mars puisse considérer que le Hezbollah livre aujourd’hui une guerre de libération, encore faut-il que le Hezbollah reconnaisse que la révolution du Cèdre était un combat libérateur. Les premiers pas devraient alors être faits des deux côtés. Percy Kemp perçoit même un éventuel échec du Hezbollah comme un échec de la révolution du Cèdre. Ce qui compte en réalité, ce n’est pas tant la défaite ou la victoire du Hezbollah ; c’est que, dans l’un ou l’autre cas, les Libanais puissent éviter la discorde confessionnelle qui pointe le nez, que les responsables – et surtout les médias – soient suffisamment vigilants pour ne pas plonger le pays dans les affres de la guerre civile. Car il ne s’agit pas simplement, contrairement à ce que l’on dit, d’une guerre des autres sur notre territoire ; il s’agit aussi d’une guerre des Libanais entre eux. À revoir le passé de certains responsables et au vu des rumeurs de réarmement de tel ou tel courant politique, on peut éprouver des craintes à cet égard. Misons toutefois sur la sagesse des autres pour engager le pays sur des chemins plus paisibles. Marie-Claude NAJM Professeur à la faculté de droit et de sciences politiques (USJ)
Vous avez publié, dans votre édition du 28 juillet 2006, un courrier de M. Percy Kemp intitulé « Soyons amis de nos concitoyens », qui m’inspire les quelques réflexions suivantes.
Les lecteurs pourraient lire l’article de M. Kemp comme un appui sans faille à l’action du Hezbollah. Ceux qui connaissent l’auteur savent pourtant que celui-ci est loin, très loin, de...