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Actualités - OPINION

Pardon pour ces bruits de guerre...

Il était quelques jours, je me réveillais, tôt le matin, pensant aux routes à emprunter pour éviter les embouteillages. Depuis quelques jours, je me réveille, beaucoup plus tard, traçant mon chemin de façon à éviter les ponts, les poids lourds, ou toutes autres nouvelles sources de danger. Cela n’est que le début du changement qui a bouleversé notre vie de tous les jours, pour les plus chanceux qui se réveillent toujours, car nombreux sont ceux qui ont trouvé le sommeil éternel ou souffrent d’insomnie. En dépit d’une année 2005 mouvementée, parsemée de meurtres explosifs, de manifestations furieuses, de changements politiques exaltants – à première vue –, j’étais de ceux qui croyaient que le Liban tournait le dos à son passé, quittait son ancienne peau de corruption, d’économie lente et pathétique. Aux abords de 2006, cet espoir diminuait, mais en me coupant des nouvelles, de tout accès à la politique et en me noyant dans un optimisme aveugle, j’y croyais toujours. L’hiver me permit de constater, à travers les pistes de ski, les pubs de Gemmayzé et de Monnot, que le Liban avait su garder, en dépit de tout, un certain charme touristique. L’été, qui débuta tôt et fort, confirma cette constatation : l’argent, constatait-on, coulait à flots, que ce soit à la plage, à la montagne, en ville, en banlieue, partout où les Libanais trouvaient à dépenser sans penser. La journée typique d’un Libanais moyen comportait au moins trois déplacements géographiques : de la ville, à la mer, à la montagne pour revenir et finir en ville. Aujourd’hui, rares sont ceux qui s’aventurent au-delà des rues qu’ils doivent emprunter, vers leur lieu de travail qui, désormais, est devenu précaire, vers un supermarché aux rayons vidés, vers un lieu de culte qui semble être le dernier sanctuaire sûr, le seul refuge, le dernier espoir, la dernière oreille tendue. Cette semaine, peu de gens pensent sortir et, de toute façon, vers où ? Les rues de Gemmayzé, de Monnot, de Hamra, le vieux souk de Jbeil, tout le littoral n’ouvre plus ses portes ; les cafés, restaurants, pubs, snacks, commerces de toutes sortes n’ont pas échappé à un sort fatal dont les retombées se feront certainement sentir dans les quelques jours à venir comme cela s’est passé voila un an déjà, quand le Liban redevint un pays fantôme, sous la constante menace d’engins explosifs. Les gens n’arrivent pas à trouver le sommeil, mais aussi, bien que cela paraisse futile, ils ne vont plus à la plage, le symbole par excellence de l’été au Liban où rare est celui qui n’en profite pas. Et dire qu’il y a quelques jours, nous étions Ibiza, nous étions Cannes, nous étions Saint-Tropez… La vie qui coulait dans le sang des Libanais, qui resplendissait à travers leurs yeux, a laissé place à une lassitude, à un sentiment d’impuissance, d’incompréhension, à une rancune on ne sait plus envers qui, envers un groupe militaire qui prend le pays en otage, envers une puissance militaire qui a juré de détruire jusqu’à la volonté d’un peuple qui ne veut que ce qu’il a, la vie, ou encore envers une communauté internationale qui s’est déjà lavée les mains de cette affaire, probablement à cause du peu d’importance sur le double plan économique et géographique que représente ce petit bijou d’Orient qu’on a vite fait de vider de ses ressortissants. Il y a quelques mois, accompagné d’un groupe d’amis, je fis une journée d’exploration du Liban-Nord : c’est en parcourant son pays, sans destination définie, que l’on apprend à le découvrir, à l’apprécier, à l’aimer. Cet été, j’avais l’intention de me plonger dans le Liban-Sud, de visiter des régions qui m’étaient inconnues, telles que la plage de Nakoura, les petits villages le long de la bordure libano-israélienne, Tyr et tant d’autres localités de la région. Depuis le 12 juillet, je me demande s’il restera une âme vivante en ces lieux, s’il y restera un immeuble, un champ, un villageois, voire même une route pour y arriver. Apparemment pas. La destruction systématique de tout un pays est en train d’être orchestrée par Israël, déclenchée par quelques têtes brûlées, télécommandées par nos « frères » arabes et perses, acceptée internationalement et subie par un peuple qui n’a pas les moyens de se défendre, ou même de survivre à cette tragédie. En écoutant mon entourage, je perçois une terreur claire dans le ton des Libanais, réveillée par les souvenirs d’une autre guerre, il y a trente ans, semblable en quelque sorte à celle d’aujourd’hui : à cette époque, on envisageait une guerre de trente jours… Serait-ce une règle applicable dans ce cas ? Hier, notre patron, de nationalité chypriote, nous proposa, en cas de détérioration dramatique de la situation, d’emmener le personnel à Chypre. Cela signifierait pour moi d’abandonner ma famille, mes parents, la compagnie familiale pour laquelle mon père a œuvré pendant plus de onze ans, mes amis et mon pays ! Je considérais cela comme inacceptable, mais mes parents, qui ne peuvent oublier la guerre, ses atrocités au niveau du coût humain, les conditions de vie déplorables, ont vu dans cette proposition comme une opportunité à ne pas manquer. Ne pas rater cette occasion, à quel prix ? Rater le peu que nous avons, rater la possibilité de réconforter ses amis, sa famille, son entourage, rater l’occasion de rester, bâtir, contribuer au redémarrage de ce pays qui tente, depuis voici seize ans, de se relever. Un pays qui était, dans cette entreprise, à mi-chemin et que voilà maintenant à plat. Hezbollah kidnappe, Israël détruit et tue, le peuple souffre et meurt, le pays tombe en ruine, les Arabes dénoncent et le monde se demande si jamais on ne pourrait pas faire moins de bruit… Pardonnez-nous le bruit d’un peuple qui rend son dernier soupir avant de mourir, et celui d’un pays dont les ponts détruits s’écroulent en faisant ce fracas qui semble tant vous déranger. Khater ABI AAD
Il était quelques jours, je me réveillais, tôt le matin, pensant aux routes à emprunter pour éviter les embouteillages. Depuis quelques jours, je me réveille, beaucoup plus tard, traçant mon chemin de façon à éviter les ponts, les poids lourds, ou toutes autres nouvelles sources de danger. Cela n’est que le début du changement qui a bouleversé notre vie de tous les jours, pour les...