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Actualités - OPINION

Liban, place des Vivants

Les Champs-Élysées. En ce 14 juillet, cette avenue que nous aimons croire la plus belle du monde s’étire fastueusement sur les écrans de télévision : elle est le théâtre d’un défilé pacifique – paradoxe, puisqu’il est militaire ! – avec pour thème cette année « La passion pour la France ». En même temps que je regarde d’un œil distrait, j’écoute attentivement France Info comme je le fais depuis déjà 48 heures : tous les quarts d’heure, j’ai ainsi les informations sur le Liban. Les Champs-Élysées. En des temps anciens, pour les Grecs, ils étaient le Séjour des morts, des âmes vertueuses. Et mon esprit de vadrouiller entre les deux, faisant de cette avenue un trait d’union entre la mythologie grecque et la réalité libanaise du jour. Je pète de trouille ! À cause de cette violence bien sûr ; à cause de ceux qui n’ont qu’un souhait : qu’elle continue en un bain de sang ; à cause du gouvernement libanais qui n’en peut mais ; à cause du président américain qui dit de manière à peine voilée « allez-y » ; à cause de Romano Prodi, chef du gouvernement italien, déclarant, à l’instar d’autoproclamés spécialistes du Moyen-Orient : « On est revenu vingt ans en arrière ». C’est d’ailleurs cela le plus dramatique : les responsables du monde qui devraient nous montrer la voie et nous convaincre qu’il faut agir, déploient seulement leur ignorance et leur impuissance, leur velléité et leur couardise. Et les mots, un peu plus tard, du président Chirac ne seront guère réconfortants : il a prononcé les mots malheureux de « détruire le Liban ». Lapsus ? Message diplomatique ? Subliminal ? Je ne sais. On ne peut en tout cas lui reprocher de méconnaître le Liban. Mais alors qui, quand ? Personne, jamais ? J’ai eu envie de sauter dans le premier avion pour Beyrouth et d’aller me planter place des Martyrs en criant : « Arrêtez ! Arrêtez ! » Les pilotes de F16 se seraient bien demandé ce que venait faire là ce zombie, étranger de surcroît, gesticulant et criant. Ils auraient douté, forcément. Hésité. Renoncé ? Oh, ma vanité est bien vite passée. Il faut bien cependant que je fasse quelque chose. Je ne peux hurler aux autres d’agir et demeurer comme tous, à ne rien faire. Je n’ai rien. Aucun pouvoir, aucun argent. J’ai une plume, c’est tout. Mais au moins qu’elle serve ! Alors, je la livre. Mais je n’écris pas, je crie : ne faites pas du peuple libanais la victime expiatoire de crimes qu’il n’a pas commis. Laissez vivre ce peuple admirable de courage et de ténacité, qui commençait à peine à redécouvrir le bonheur simple du calme en attendant celui de la prospérité. Ne laissez pas revenir les larmes au bord de ces yeux déjà souriants alors qu’à peine séchés. Laissez vivre ensemble ces communautés, si nombreuses pour une terre si petite où pourtant passèrent tous ceux qui firent l’histoire des derniers millénaires, c’est-à-dire l’histoire tout court, celle qui renseigne, enseigne, édifie. Ah, certes ! Pour nous Occidentaux il y a là mystère. Après le cauchemar de tant d’horreurs, ces communautés, plus proches qu’elles voudraient parfois le laisser paraître, se sont éveillées avec la même idée : vivre, tous ensemble, en harmonie et en paix. Et peu importe si cette volonté semble à certains douteuse ou si elle s’exprime maladroitement, voire bizarrement pour nous, surtout sur la scène politique. Contentons-nous de prendre les Libanais au mot, d’appliquer leur volonté au pied de la lettre, sans chercher le pourquoi ni le comment, et laissons-les faire. Et vous, Libanais, ne regardez pas sans broncher passer au large le vent de l’histoire. Trouvez en vous et chez vous vos Champs-Élysées. Faites que le mythologique Séjour des morts se mue en votre place des Vivants, un lieu de défilé permanent de la « passion pour le Liban ». Le 14 mars fut en quelque sorte un jour de Champs-Élysées. N’oubliez jamais ces heures où vous donnâtes au monde stupéfait et, au sens propre sidéré, l’unique, grande et belle leçon du courage, de la volonté et de l’amour de vous-mêmes et de votre patrie. L’espoir vous étreignait. Si fervents, comme vous étiez beaux, tous ! Si différents et si proches. Hier si lointains, aujourd’hui si semblables. Mais hier comme aujourd’hui, tous Libanais. Du fin fond de votre âme. De vos tripes. Ce désir de paix irradiait de la foule innombrable comme de chacun d’entre vous. La paix. Ah, oui ! La paix… C’est ça. Alors à ceux qui vous déciment. À ceux qui vous déstabilisent. À ceux qui parlent de vous sans savoir. À ceux qui restent l’arme au pied sans en bouger un orteil. À ceux qui regardent, le sourire aux lèvres et sans broncher. À ceux qui attendent que tout s’écroule ou que tout explose, ce qui est la même chose. À ceux qui disent pour éviter de faire. Puisant dans l’amour que je porte à votre terre, à votre patrie, à votre peuple, à ceux-là c’est-à-dire à tous, j’adresse cette exhorte : Foutez-leur la paix ! Jacques SAURY
Les Champs-Élysées. En ce 14 juillet, cette avenue que nous aimons croire la plus belle du monde s’étire fastueusement sur les écrans de télévision : elle est le théâtre d’un défilé pacifique – paradoxe, puisqu’il est militaire ! – avec pour thème cette année « La passion pour la France ». En même temps que je regarde d’un œil distrait, j’écoute attentivement France...