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Projet financé par l’UE et exécuté par une ONG locale Une expérience inédite : 45 écoliers cohabitent durant trois semaines pour apprendre à connaître «l’autre»

Au moment où nos 14 leaders tentaient de mener à son terme la mission historique du dialogue national qui leur a été impartie, 45 jeunes écoliers, tout aussi hétéroclites du point de vue de leur appartenance culturelle, socioconfessionnelle, voire même politique, proclamaient la réussite fulgurante d’une «rencontre au sommet» qu’ils ont tenue pendant 18 jours d’affilée dans un camp d’été organisé sur le thème de la diversité et de la non-discrimination. Mis à part la différence d’âge et les objectifs visés par les participants ici et là – les écoliers n’avaient d’autre agenda que le succès de ce rendez-vous exceptionnel –, rien ne distinguait au départ les représentants des forces politiques réunis à la place de l’Étoile des 45 jeunes candidats rassemblés dans un local à Adma pour affronter leurs différences et défier les préjugés nés de leurs appartenances religieuses et socio-économiques, de manière à dépasser leurs propres milieux. C’était dernièrement, à l’Unesco, lors d’un rendez-vous public au cours duquel un groupe d’écoliers a défilé devant un auditoire pour présenter le produit d’une expérience inédite: un film d’animation illustrant le fruit de leur rencontre autour du thème de «l’autre», entendu dans sa diversité et ses caractéristiques particulières. Financé par l’Union européenne, le projet a été réalisé et exécuté par l’association A Step Away, une ONG regroupant des artistes engagés qui cherchent à promouvoir le changement social à travers des créations artistiques dans le cadre de programmes publics et de sensibilisation aux questions des droits humains, de la démocratie et de la justice sociale. Des objectifs on ne peut plus légitimes dans un pays pluraliste qui n’arrive toujours pas à transcender ses disparités et à exorciser ses peurs communautaires. À partir d’un concept inédit – réunir pendant trois semaines des adolescents incarnant le patchwork socioreligieux en les soumettant à l’exercice de la coexistence grâce à la cohabitation avec «l’autre» –, les organisateurs ont réussi l’expérience de la convivialité libanaise. Sélectionnés sur base de leur diversité, les jeunes adolescents devaient apprendre – tout en l’exprimant – à affronter les préjugés et les stéréotypes de leur éducation et de leur appartenance multiple en en analysant les séquelles sur le plan de la discrimination et du rejet de «l’autre». «Nous avons mis ensemble la jeune fille chiite voilée, pourtant francophone, et la bourgeoise chrétienne, la jeune chiite francophone issue de parents afro-libanais avec le fils de l’agriculteur du Akkar, le neveu nanti d’un homme politique éminent avec des écoliers d’un niveau pédagogique inférieur, les jeunes issus du milieu du Hezbollah avec des enfants dont les parents ont appartenu à la formation d’Antoine Lahd (l’ALS) et d’autres dont les parents sont proches de partis chrétiens, en mélangeant les écoliers issus des écoles privées avec ceux des écoles publiques», explique Joe Haddad, l’un des formateurs qui ont accompagné le groupe. Défier les démons… Pour compléter le tableau, des personnes souffrant d’un handicap physique ou de difficultés de communication ont été conviées à vivre l’expérience avec leurs pairs, histoire d’ajouter une catégorie sociale également sujette à discrimination. Une fois les contrastes réunis, la vie a démarré pour ces 45 adolescents appelés, pour la première fois dans leur vie, à défier leurs démons. Pour les formateurs et animateurs engagés pour accompagner ces jeunes, rien n’a été laissé au hasard. Sur base d’un programme psycho-éducatif, les participants ont été invités à des exercices d’introspection personnelle, d’analyse du comportement et des réactions sectaires, à travers des séances de «brainstorming», de discussion, d’études de cas, de jeux de rôles et d’activités sur les droits de l’homme. Outre l’expression verbale, les adolescents ont été initiés aux techniques d’animation en vue de l’exécution d’un film sur les thèmes de la discrimination sexiste, identitaire, raciale, religieuse, sociale, etc. Qui suis-je et dans quelle mesure ma différence peut se transformer en une richesse culturelle au lieu de devenir un handicap social et un obstacle qui m’empêchent d’aller vers «l’autre»? «Tel était l’objectif ultime recherché à travers ce vécu en commun», précise M. Haddad, qui définit cette expérience comme une «thérapie de groupe». «Les adolescents ont été confrontés à des situations extrêmes pour les pousser à remettre en question certains de leurs préjugés, tout en leur donnant les moyens d’expression nécessaires leur permettant de dépasser leurs idées préconçues», poursuit le formateur. «L’adolescent chrétien avait du mal à imaginer par exemple qu’une jeune fille chiite voilée et métissée (à cause de ses parents afro-libanais) pouvait maîtriser tout aussi bien que lui la langue française. Le fils issu des quartiers pauvres de Tripoli a découvert qu’il pouvait partager les mêmes rêves, aspirations ou valeurs humaines que son ami issu d’une famille politique aisée, ou que celui qui continue de refuser son appartenance arabe», indique Joe Haddad. Autant d’antagonismes socioculturels qui n’ont pas toujours été faciles à gérer, du moins au cours de la première semaine, confient les animateurs. Ce n’est qu’à l’issue d’intenses pourparlers que le jeune maronite de Rmeich a enfin accepté de partager la chambre d’un écolier dont la famille est connue pour son allégeance au Hezbollah. Les animateurs ont également eu droit aux traditionnelles réactions de surprise au contact de «l’autre communauté»: «Tu n’as vraiment pas l’air druze», s’étonne une jeune fille qui semblait découvrir, pour la première fois de sa vie, qu’un jeune druze pouvait ressembler aux autres Libanais qu’elle a l’habitude de côtoyer. Les employés de maison Mais une fois passé et dépassé le cap du repérage identitaire, les 45 écoliers se sont embarqués pour l’aventure de «la vie en commun» qui devait les amener à la phase de la découverte profonde, puis de l’acceptation de l’autre dans toutes ses divergences. Ponctuée de soirées culturelles, la formation consistait en outre à sensibiliser les participants aux problèmes de discrimination pratiquée envers une catégorie ethnique qui fait désormais partie de notre paysage social libanais : les employés de maison. Là aussi, il fallait briser les tabous et changer la perception que nous véhiculons souvent sur les autres races, en les rendant plus «familières à nos yeux». Au programme: dîner sri lankais et danses folkloriques exécutées par les gens du pays, suivis d’une intervention faite par Roland Tok, un expert du dossier des «employés étrangers» qui a tenu à sensibiliser les participants à ce problème social particulièrement délicat. Autre invitée d’honneur, Sylviana Lakkis, présidente de l’Association libanaise pour les personnes handicapées, venue soulever le problème de la discrimination envers son groupe et partager avec les adolescents le point de vue de la catégorie sociale qu’elle représente. La formation prévoyait également une «responsabilisation» des participants durant leur séjour au camp, où ils devaient organiser et gérer eux-mêmes leur vie au quotidien, notamment du point de vue logistique, l’objectif étant de «les soumettre à l’expérience de l’autorité démocratique par opposition aux systèmes autoritaires auxquels un certain nombre d’entre eux ont été habitués, que ce soit dans leur environnement familial, scolaire ou social, entendu au sens large», souligne M. Haddad. Trois semaines plus tard, la «révolution» était désormais enclenchée et la modification des comportements acquise. Libérés de leurs tabous, préjugés et craintes suscitées au contact de «l’autre», 45 adolescents avaient enfin saisi le concept de relativité entre ressemblance et différence, et la singularité de tout un chacun qui fait la richesse de tous. Afin de consigner cette expérience unique, les participants ont illustré leur vécu dans un film d’animation conçu et créé par eux, avec l’aide d’une équipe d’artistes qui les a formés à la tâche. Un témoignage d’une rare beauté sur une rencontre inédite qui laisse espérer que le Liban de demain sera autrement plus tolérant et moins conflictuel. Nos leaders politiques et religieux pourront-ils un jour s’inspirer de ce modèle? Une expérience à reproduire dans les institutions scolaires La réussite fulgurante du camp des jeunes à Adma a encouragé les organisateurs à réitérer cette rencontre pendant trois années consécutives, en impliquant cette fois-ci un plus large éventail d’écoles. Richard Bteich, l’un des consultants du projet et responsable au sein de l’ONG A Step Away, entend pousser encore plus loin l’expérience. Dans un premier temps, il prévoit la généralisation de ce programme hautement pédagogique à l’ensemble des institutions scolaires privées, qui sont appelées à l’inclure dans leur curriculum extra-scolaire. Dans un second temps, l’ONG œuvrera à le faire officiellement adopter par le ministère de l’Éducation qui pourra l’intégrer aux programmes dans les écoles publiques afin de toucher le plus grand nombre possible d’écoliers et répandre une nouvelle culture socio-politique qui a tant manqué au Liban. Ainsi, l’association aura assuré la pérennité d’un projet qui devrait bouleverser le système social et pédagogique actuel. Les organisateurs espèrent ainsi pouvoir remédier, par un travail de fond et de longue haleine, aux clivages qui divisent le pays depuis des années. « Maid in Lebanon » Elles se sont tellement fondues dans notre décor quotidien que nous en sommes arrivés à oublier qu’elles ont un nom, des origines et des attachements. Pour nombre de Libanais, les employées de maison ne sont, malheureusement, que de simples «bonnes à tout faire». «La Sri Lankaise n’est plus une identité, mais un métier.» C’est par ce constat alarmant que Carole Mansour, réalisatrice, a choisi de présenter son dernier documentaire, Maid in Lebanon, un film qui aborde le thème de la main-d’œuvre sri lankaise au Liban. Bien que ce sujet ait déjà soulevé beaucoup de polémiques et inspiré de nombreux journalistes, alimentant les débats jusque dans les milieux académiques, peu de choses semblent avoir changé au niveau de la vie tragique de nombreuses employées de maison. D’où l’idée de ce film – sponsorisé par Caritas, l’Union européenne, l’OIT (Organisation internationale du travail) et l’ambassade des Pays-Bas – dans lequel la réalisatrice cherche à ébranler préjugés et stéréotypes, en redonnant une âme à celles qui en ont été spoliées. Consciente de la gravité de ce sujet, qui a gangrené le monde arabe, Carole Mansour a choisi d’attaquer ce thème à partir d’un angle inédit, en restituant à ces êtres fragilisés un visage et une individualité à part entière. Transportant sa caméra jusqu’au Sri Lanka, l’auteure a été à la recherche de signes identitaires particuliers, en retraçant le point de départ du périple de ses personnages qu’elle a voulu replacer dans leur milieu familial et social. Elle raconte avec humour et sensibilité l’histoire troublante de ces femmes, mères, épouses et sœurs, qui ont décidé de tourner leur dos à ce qu’elles ont de plus cher au monde, en quête d’une vie meilleure. Parties à l’autre bout du globe dans l’espoir de gagner une centaine de dollars de plus, elles seront vite rattrapées par un quotidien qui tranche avec la perspective de l’eldorado rêvé. De l’arrachement douloureux au bercail jusqu’à l’atterrissage forcé dans un monde d’insoutenable cruauté, la caméra suit vingt-deux minutes durant ce voyage vers le réel, accompagné d’une musique aux couleurs ethniques, composée par Ghazi Abdel Baki. Sans sombrer pour autant dans le misérabilisme et la facilité, la réalisatrice nous sert une palette d’émotions qui montent crescendo jusqu’aux scènes finales, ponctuées de témoignages troublants. Le film regorge de touches humoristiques qui rendent les personnages encore plus attachants. Carole Mansour n’oublie à aucun moment de montrer le revers de la médaille, insérant ici et là des parcours plus «heureux», histoire de dire que la clémence et la compassion ne font pas l’exception. Tel un jeu de poker, celles qui ont évité de tirer la carte du tortionnaire auront échappé au sort maudit qui attendait leurs compatriotes. La vie de ces employées serait-elle réduite à une simple question de mauvais sort? Un message que la réalisatrice a voulu contester de bout en bout. Pour tous les intéressés, le film sera projeté à nouveau le mercredi 22 mars à 18h, au théâtre al-Madina. Jeanine JALKH

Au moment où nos 14 leaders tentaient de mener à son terme la mission historique du dialogue national qui leur a été impartie, 45 jeunes écoliers, tout aussi hétéroclites du point de vue de leur appartenance culturelle, socioconfessionnelle, voire même politique, proclamaient la réussite fulgurante d’une «rencontre au sommet» qu’ils ont tenue pendant 18 jours...