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Actualités - OPINION

S’il faut agir en démocrate…

La prise démocratique du pouvoir au Liban ne saurait être dissociée du phénomène confessionnel tant celui-ci est ancré dans notre paysage institutionnel et tant il est devenu une notion évidente de notre perception de la chose publique. Loin de ces considérations symboliques et plus que des structures sociales, les confessions constituent au Liban des repères désignant des familles politiques dépassant les simples partis, des référents pour des alliances conjoncturelles, et traduisent ce pluralisme polarisé que connaît la scène politique locale. Même les plus laïcs d’entre nous se résignent au clivage confessionnel, dans toute sa complexité et son ambiguïté, comme une notion structurante de notre appréhension du politique. Ainsi Ghassan Tuéni exige du patriarche Sfeir de donner sa bénédiction pour le choix du candidat de la communauté maronite à la présidence de la République et entendait personnellement représenter la communauté grecque-orthodoxe à la conférence nationale de dialogue. Un fédéralisme communautaire qui dit à peine son nom, mais qui caractérise la situation politique au Liban depuis le XVIIIe siècle. Et si Ghassan Tuéni s’est résigné à une telle attitude, c’est à cause hélas d’une réalité qu’il est de plus en plus difficile de faire évoluer, où l’on n’est libanais que par l’intermédiaire de sa communauté. Sans parler de cette désormais très lointaine laïcité, non au sens de la séparation entre les Églises et l’État, mais au sens d’un modèle politique qui ne ferait une distinction aucune entre les citoyens et ayant pour seul espace opérant un espace civil. C’est à ce problème que les partis libanais n’ont ou n’osent pas trouver de solution. Ils font de la politique au jour le jour et montrent une grande incapacité à échapper à ce phénomène du mode des rapports interconfessionnels inefficace pour fonder une nation au sens sociologique du terme. Dans le contexte actuel règne l’opinion largement partagée que ce clivage tend à long terme, avec l’évolution des mentalités, à disparaître. Or il n’en est rien tant que nous n’avons pas fait le choix, et surtout pas dans les amendements constitutionnels de Taëf, du modèle de nos institutions politiques: un État laïc qui supprimerait nos différences ou un État multiculturel qui, sans vouloir les supprimer, les aménagerait dans le cadre des institutions. La Constitution de 1926 a eu au moins l’audace de faire le second choix. Car il faut bien en parler pour que les structures de l’État deviennent enfin réalité et remplacent notre vide politique. Depuis la fin de la guerre nous n’avons eu aucun projet pour bâtir un État malgré l’émiettement communautaire. Même la Charte du CPL, qui se veut moderne et futuriste, allie très maladroitement laïcité et multiculturalisme. Cependant, tant que les Libanais, dans leurs dialogues imaginaires, n’ont pas voulu se défaire de ce fédéralisme communautaire, et que désormais, après les dernières législatives, chaque communauté a consacré son propre seigneur, nous ne pouvons que nous démarquer de cette pratique du politique, même si nous considérons à l’avance qu’elle n’est point constructive à long terme en dehors d’aménagements constitutionnels. Et toujours dans la même logique des choses, dans cette période préélectorale où nous assistons aux alliances les plus insolites et à des mariages douteux comme le document d’entente entre le CPL et le Hezbollah (quand bien même ce document a le mérite d’avoir réglé le sort des réfugiés en Israël et des détenus politiques en Syrie, et d’avoir arraché au Hezbollah la reconnaissance par écrit de la démocratie consensuelle et des méfaits de l’ancienne tutelle), la question de la présidence ne peut échapper à la règle. Lorsque chaque pôle des pouvoirs de l’État est attribué au seigneur d’une communauté, pourquoi refuse-t-on aux communautés chrétiennes le droit de placer Michel Aoun à la tête d’une présidence de la République qui leur revient de droit? À condition aussi que le général accepte de cesser de couvrir Émile Lahoud et les Wi’am Wahhab qui le courtisent, et d’entamer un rapprochement en direction de la majorité. Celui qui arrive à dialoguer avec des forces comme le Hezbollah pourquoi n’arriverait-il pas à faire un bout de chemin avec Saad Hariri et Walid Joumblatt, ne serait-ce que jusqu’au départ de l’actuel président? D’autant que l’antagonisme exacerbé entre les forces dites du 14 Mars et le CPL nous enlise de plus en plus dans un marasme politique et écarte à l’avance toute velléité de renverser de concert le locataire de Baabda. Non que je sois sympathisant du CPL et bien que j’aie plus d’affinités avec un Fouad Siniora – avec toutes les insuffisances de gouvernement en matière de sécurité – dont j’apprécie le caractère et dont j’approuve les moyens et le style, mais je crains que la présence de Michel Aoun au pouvoir ne soit la conséquence de la politique menée durant dix ans par les hommes de l’ancien Kornet Chehwane, jusqu’à leur bavure lors des élections législatives, en n’osant pas retoucher la loi de 2000, devenue dès lors, dans l’inconscient populaire, leur propre complice. Je crains aussi que toute nouvelle mise à l’écart du CPL ne ressemble à cette marginalisation systématique par l’ancien tuteur syrien des partis de l’opposition. S’il faut agir en démocrate, dans notre malheureuse optique communautaire, à l’abri des règles du jeu constitutionnel et loin des inclinaisons de son cœur, nul ne peut contester, avec ses 70% des suffrages chrétiens, que le président le plus représentatif serait Michel Aoun. Dès maintenant apparaît pour la majorité une alternative: ou bien s’engager avec le général Aoun dans une entreprise découlant naturellement de notre démocratie consensuelle, ou bien accepter le gel du pays en deux blocs et un enlisement encore plus profond dans notre malaise populaire. Cependant, être le plus représentatif ne signifie en aucun cas être le plus apte à assumer le pouvoir, et le suffrage universel n’amène pas toujours les meilleurs. L’ancienne pratique du pouvoir par Michel Aoun ne peut que susciter des appréhensions. Je me place donc dès à présent dans le camp de l’opposition face à lui dans le cas où il serait amené à exercer les plus hautes fonctions de l’État. Mais je me retrouverai tout autant dans l’opposition dans le cas où l’on imposerait, non sans scrupules, un homme autre que Michel Aoun à la magistrature suprême. Attention! On ne méconnaît pas sans heurt la volonté populaire. Ne faudrait-il pas tracer immédiatement la frontière à ne pas franchir? Amine ASSOUAD Institut d’études politiques, Paris
La prise démocratique du pouvoir au Liban ne saurait être dissociée du phénomène confessionnel tant celui-ci est ancré dans notre paysage institutionnel et tant il est devenu une notion évidente de notre perception de la chose publique. Loin de ces considérations symboliques et plus que des structures sociales, les confessions constituent au Liban des repères désignant des...