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Actualités - OPINION

Liberté religieuse et laïcité

Par Alia BERTI ZEIN * Si aujourd’hui, la liberté religieuse nous semble une évidence, il n’en a pas toujours été ainsi, et ce en raison des liens entre l’État et les confessions religieuses. Qu’est-ce que le droit à la différence de religion ? Ce droit consiste à reconnaître à chaque citoyen le droit de croire et d’exercer un culte sans privilégier aucune croyance et sans intervenir sur le contenu même de ces croyances ; c’est, en fait, respecter la croyance d’autrui quelle qu’elle soit, sans porter aucun jugement de valeur. En clair, la liberté de conscience est la règle qui permet à toutes les opinions de s’exprimer. Le pape Jean-Paul II considérait que la liberté religieuse, comme la liberté de pensée et le respect de la vie sont inhérents à la nature même de l’homme. Ce n’est jamais une concession de l’État. Pour lui, le respect de la liberté religieuse est le test qui permet de vérifier si les droits de l’homme dans leur ensemble sont bien observés. Même lorsqu’un État protège une religion particulière, il doit aussi garantir la liberté aux minorités religieuses. Toujours selon Jean-Paul II, une vraie liberté de conscience et un respect réel des droits religieux des fidèles doivent conduire à rendre à Dieu un culte public selon les traditions multiformes des peuples. D’ailleurs, le Coran enseigne lui-même que « quiconque croit en Dieu et agit avec droiture aura sa récompense auprès du Créateur », assurant que « nul ne peut subir de contrainte en matière de religion », ce qui revient à prôner le principe de la tolérance. Les droits de l’homme n’ont de sens qu’à condition de reconnaître les droits de chaque homme et de chaque femme à choisir librement sa vie, selon sa conscience. La liberté de croire implique aussi la liberté de ne pas croire ou de changer de croyance. Cette liberté s’impose comme une évidence fondamentale, puisqu’elle est inscrite déjà dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Tous les textes internationaux affirment également que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. La France, après avoir essayé, au cours de son histoire, à peu près toutes les formules possibles, a finalement opté pour le régime dit de la « laïcité ». Ce régime, établi par la loi du 9 décembre 1905, proclame la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes sans pour autant en reconnaître, en salarier ni en subventionner aucun. En instaurant la séparation des Églises et de l’État, de l’ordre spirituel et de l’ordre temporel, il assure en France depuis plus d’un siècle la liberté religieuse. La laïcité ne signifie cependant pas l’indifférence. Les individus réclament de l’État, et donc de ses juges, qu’il les protège dans leur autonomie de conscience. La laïcité a dès lors deux aspects : la liberté de religion ou de croyance et la neutralité. Il ne saurait y avoir pour un État laïc de discrimination ou de préférence entre les religions. La liberté de choisir sa conviction est absolue ; elle doit être protégée comme la liberté de se convertir. En outre, la neutralité permet à chacun de vivre selon ses croyances, en sanctionnant la discrimination religieuse ou la provocation à la haine religieuse. C’est avec la loi du 1er juillet 1972 que le législateur français a véritablement fait entrer les discriminations dans le champ de la répression pénale. Cette loi incrimine également la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence dirigée contre une personne ou un groupe de personnes, fondée sur son appartenance à une religion déterminée. La neutralité apparaît ainsi comme la négation de l’indifférence. En réprimant la discrimination religieuse, la société entière est protégée et la cohésion sociale renforcée. La laïcité, c’est l’égalité de tous les citoyens devant la loi, quelle que soit leur religion, c’est la neutralisation du fait religieux. La laïcité implique le découplage de l’appartenance religieuse et de l’appartenance politique ; la dissociation entre citoyenneté et confession. Ni l’État ni la société ne doivent prendre en compte les convictions religieuses des individus pour déterminer la mesure de leurs droits et de leurs libertés. Dès lors, la laïcité accueille la pluralité confessionnelle et protège l’exercice de la liberté de croire. Qu’en est-il du contexte libanais caractérisé par le pape Jean-Paul II comme porteur d’un message de convivialité entre les religions ? « Le Liban est singulier parce qu’il est pluriel », selon l’heureuse formule du père Michel Hayeck. En effet, le Liban est composé d’une mosaïque de communautés religieuses et de cultures. La particularité de son système juridique se situe dans la coexistence de textes législatifs civils et de statuts juridiques communautaires. La Constitution libanaise de 1926 proclamait déjà : « Tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques sans aucune distinction de sexe ou de religion. » L’arrêté n° 60 de 1936 pris par le Haut-Commissaire français reconnaissait quinze communautés religieuses et se portait garant de leur autonomie, en conférant à chaque communauté le droit d’avoir son propre statut personnel et d’être soumise aux dispositions de ce statut. C’est dire que l’État s’en remet aux communautés pour tout ce qui touche au statut familial, tributaire de l’appartenance religieuse, et se réserve la charge de l’exécution des sentences émanant de ces tribunaux à condition qu’elles soient conformes à l’ordre public et qu’elles soient rendues par les autorités compétentes. Seul le mariage religieux peut être contracté au Liban. Cependant, par souci de tolérance, le mariage civil conclu à l’étranger est reconnu par la loi et peut être enregistré par les autorités libanaises. En cas de litige, c’est la loi civile du lieu de conclusion de l’acte qui régit les effets du mariage conclu à l’étranger ; elle est appliquée par les tribunaux civils libanais à condition qu’elle soit conforme à l’ordre public. Cette « tolérance » n’est en réalité qu’un simple détournement de la loi nationale et une pure reconnaissance de la liberté de conscience par les tribunaux civils libanais. Au Liban, ce régime pluraliste entre l’État et les confessions religieuses ne reconnaît aucune suprématie de l’une ou l’autre religion. Le principe de représentation égalitaire entre chrétiens et musulmans s’applique par accord mutuel sans considérations démographiques dans le partage du pouvoir, consacrant ainsi un système de « démocratie consensuelle ». Bien que dans son Préambule amendé en 1990, la Constitution libanaise proclame que « la fonction publique est accessible à tout Libanais sans autre motif de préférence que le mérite et la compétence », excluant ainsi toute référence à l’appartenance confessionnelle. Dans son respect de toutes les communautés et sa reconnaissance de la liberté de religion consacrée dans sa Constitution (qui autorise aussi le droit de changer de religion), l’État libanais peut être considéré comme un État neutre reconnaissant et protégeant des communautés confessionnelles diverses qui, ensemble, composent la nation libanaise. Toutefois, l’État libanais, tout en étant un État neutre et en dépit de l’absence de toute référence dans sa Constitution à une religion déterminée, n’est pas pour autant un État laïc. Aux termes de l’article 9 de la Constitution, « l’État se devant de rendre hommage au Très Haut respecte toutes les religions et les confessions ». Cette mention prouve par elle-même que l’État libanais n’est pas laïc et que la religion imprègne toute la vie sociale du pays. En effet, la diversité des confessions et, par le fait même, des lois fait que pour une même cause et pour les mêmes motifs, des citoyens peuvent être différemment jugés du seul fait qu’ils appartiennent à telle communauté ou à telle autre, ce qui est source d’inégalités. Dans son Préambule de la Constitution de 1990, le Liban a confirmé expressément qu’il respectait les libertés publiques et protégeait l’individu conformément aux Conventions des Nations unies et à la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’État s’est donc engagé à respecter tous les principes de la Charte de l’ONU et des conventions internationales, qui deviennent dès lors applicables dans l’ordre interne par ses juridictions. C’est un premier pas vers l’instauration de l’État de droit qui doit aboutir, quand les mentalités le permettront, à un vrai État laïc de droit, fondé sur la séparation entre l’État et les communautés religieuses. Pour cela, il devient impératif d’unifier les lois régissant le statut personnel sous l’égide d’un droit civil unique à l’égard de tous, tenant compte de la liberté de conscience de chacune des communautés et du respect total de la justice et de l’équité qui est un facteur fondamental de cohésion nationale et de démocratie. C’est alors que le principe constitutionnel d’égalité de tous devant la loi, quel que soit le sexe ou la religion, sera véritablement appliqué par des tribunaux civils et non religieux, et les conventions internationales respectées. * Ancien membre du conseil de l’Ordre des avocats de Beyrouth, présidente de la commission « Droit et statut de la femme » à l’Union internationale des avocats.
Par Alia BERTI ZEIN *

Si aujourd’hui, la liberté religieuse nous semble une évidence, il n’en a pas toujours été ainsi, et ce en raison des liens entre l’État et les confessions religieuses.
Qu’est-ce que le droit à la différence de religion ?
Ce droit consiste à reconnaître à chaque citoyen le droit de croire et d’exercer un culte sans privilégier aucune...