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CORRESPONDANCE - Première personnalité d’origine maghrébine admise à l’Académie française Assia Djebar, une « immortelle » auréolée de prix

TURIN, de Zéna ZALZAL Assia Djebar, écrivaine algérienne d’expression française, vient tout juste de recevoir, à Turin, le prix spécial international Grinzane Cavour de littérature*. Le 17 décembre dernier, à Naples, son œuvre avait été également récompensée par le prix international Pablo Neruda. Et le 16 juin 2005, elle avait été élue au 5e fauteuil de l’Académie française. Ce ne sont là que les trois dernières distinctions parmi la riche collection de prix glanés par la romancière, poète, dramaturge, traductrice, cinéaste et professeur de renom. Des honneurs qui n’impressionnent pas pour autant cette femme libre, qui a choisi l’exil pour mieux défendre dans ses écrits la cause des femmes algériennes. Rencontre avec l’une des pionnières de l’émancipation de la femme arabe. « J’ai choisi d’écrire en français parce que j’ai fait mes études dans une institution francophone en Algérie et parce que l’arabisation a été menée de telle façon que la langue arabe est devenue pour moi synonyme de pouvoir, d’autorité, d’obligation », déclare d’emblée Assia Djebar. Une affirmation qui peut ressembler à une provocation, mais qui est juste une réponse à la violence, au machisme qui ont longtemps déchiré son pays. Aujourd’hui, le calme est revenu, mais Assia Djebar n’a pas oublié « les massacres commis par les islamistes dans les années 90 et dans lesquels j’ai perdu de nombreux amis ». Une période noire qui lui a inspiré de nombreux ouvrages – « parce que le rôle de l’écrivain est de rendre compte »– dont Le blanc de l’Algérie, Oran langue morte, Vaste est la prison et le dernier, La femme sans sépulture. Dans tous ces romans, les héroïnes sont des femmes qui luttent dans une société dévastée par l’injustice et le terrorisme. Depuis toujours, Assia Djebar écrit pour défendre la cause des femmes et elle n’est pas prête à s’arrêter. « Un écrivain continue toujours ses obsessions », fait-elle remarquer. Obsession du combat contre la régression et la misogynie, mais aussi affect indissolublement lié à ses racines, Assia Djebar mixe toujours fiction, réalité historique et sociale dans ses œuvres. Dans Loin de Médine, publié il y a quelques années, elle décrivait l’islam à ses débuts. Et y dépeignait de hautes figures de femmes de l’entourage du prophète : épouses, amantes, guerrières… « J’ai voulu montrer qu’aux premières ères de l’islam, les femmes n’étaient pas écrasées », assure-t-elle. Ajoutant : « Je suis contre l’enfermement des femmes, lorsqu’elles sont enfermées par leur éducation. » Expression française, sensibilité orientale Parfaitement occidentalisée, celle qui a remplacé le voile, porté par les générations de femmes de sa famille, par le chapeau, n’en continue pas moins, des décennies après son installation en France, « à ressentir les choses en arabe. C’est d’ailleurs pour cela que je mets plus de temps à écrire un livre que d’autres », indique la romancière, dont le vrai nom est Fatma-Zahra Imalayene. « Mais si j’écrivais en arabe et si je vivais encore en Algérie, je n’aurais pas pu avoir accès à un lectorat international », dit-elle. Tout en regrettant toutefois que ses livres, ainsi que ceux de nombreux auteurs d’expression francophone comme elle ne soient pas traduits en arabe. Si elle vivait encore dans son pays d’origine, elle n’aurait pas non plus été élue à l’Académie française. Une distinction qui fait d’elle la première personnalité d’origine maghrébine admise à siéger parmi les quarante immortels. Modeste cependant, la romancière algérienne assure que cette désignation honorifique ne lui apportera pas « l’immortalité littéraire. Il s’agit surtout d’une belle cérémonie ». L’écriture est un artisanat Une magnifique reconnaissance toutefois pour cette native d’un petit village d’Algérie, au parcours et au talent assez impressionnants. Née en 1936, Assia Djebar, dont le père est instituteur, reçoit une éducation « moderniste ». Après de bonnes études au pays, elle s’envole pour Paris, où elle sera la première Algérienne diplômée ès lettres. C’est en 1955, à 20 ans, qu’elle publie son premier livre, La Soif, écrit, « comme une sorte de jeu », pendant les deux mois où elle se trouve expulsée de l’École normale pour avoir participé aux manifestations pour la libération de l’Algérie. Aujourd’hui, elle a à son actif une douzaine de romans ainsi que des pièces de théâtre, des recueils de poèmes, des scénarios de films, dont le fameux Nouba des femmes du mont Chenoua, récompensé en 1979 par le prix de la critique internationale à Venise. Exilée depuis 2001 aux États-Unis, où elle enseigne la littérature française à l’Université de New York, celle qui a grandi dans les livres – « pendant mon enfance et mon adolescence, la lecture constituait ma seule distraction et ma seule liberté » – se consacre « avec le souffle d’un artisan » à l’écriture. « À partir de quarante ans, vous commencez à comprendre que votre travail d’écrivain est plus important que tout le reste : amours, maris, éducation des enfants », conclut celle qui voue un amour « immortel » à la littérature. * Voir l’édition du jeudi 26 janvier.
TURIN, de Zéna ZALZAL

Assia Djebar, écrivaine algérienne d’expression française, vient tout juste de recevoir, à Turin, le prix spécial international Grinzane Cavour de littérature*. Le 17 décembre dernier, à Naples, son œuvre avait été également récompensée par le prix international Pablo Neruda. Et le 16 juin 2005, elle avait été élue au 5e fauteuil de l’Académie...