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Actualités - CHRONOLOGIE

VIENT DE PARAÎTRE La poésie dans tous ses états chez Dar an-Nahar

Prolifiques et touchant à tous les domaines, avec une présentation impeccable et une qualité supérieure de papier, tels sont les nombreux ouvrages (en langue aussi bien arabe que française) édités par Dar an-Nahar. Dernière livraison d’un paquet de livres qui vont prendre sans nul doute d’assaut les devantures des librairies. Des livres qui vont de l’épais pavé au mince recueil, en passant par les œuvres de fiction de taille raisonnable. Des livres qui vont de l’histoire à la poésie, en passant par le roman, l’étude universitaire, l’essai ou la biographie. Mais, par un curieux paradoxe d’un courant s’opposant en toute liberté à la technologie de pointe, ce sont les recueils poétiques qui ont le vent en poupe et prennent le devant de la scène. Voilà un bouquet de rimes, d’images, de sonorités et d’associations verbales, fraîchement sorties du monde du Parnasse, mis noir sur blanc. Des ténors aux petits poètes(esses) en herbe, les accords sont élastiques, mélodieux et parfois discordants ! Sans pour autant que tout soit du meilleur cru ! Lyrisme quand tu nous tiens. Oyez, oyez, bonnes gens, le verbe des Mages qui se multiplient ! «Raisons et déraisons de la poésie», de Salah Stétié Texte bilingue (la traduction en arabe est signée de Mosbah al-Samad) d’une conférence donnée dans le cadre de la VIe rencontre internationale de Carthage par l’auteur des Porteurs de feu. Raisons et déraisons de la poésie, de Salah Stétié (Dar an-Nahar, en collaboration avec la Fondation Nadia Tuéni – 78 pages), est le titre de cette publication jetant la lumière sur les cheminements secrets et déclarés du monde du Parnasse. Ce texte dense et d’une grande beauté littéraire a été publié pour la première fois en 2002 par l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts (Beït al-Hikma). Interrogations et quelques réponses pour ce verbe différent des autres — qui n’a pas fini de faire couler de l’encre, de susciter l’intérêt, de provoquer les passions et de soulever les polémiques — mais aussi si «essentiel». Une des réflexions de Stétié, tirée au hasard des pages: «Eh bien oui, la poésie est, selon moi, la “servante obscure”, celle qui reste en coulisse et sans qui, pourtant, rien ne serait vraiment compréhensible, rien vraiment ne se ferait. Les clés ouvrantes, c’est elle qui les a en main, c’est elle qui les garde dans son humble tablier. C’est elle l’inventrice du langage et c’est ainsi qu’elle se révèle à nous comme la véritable maîtresse du domaine, notre domaine. N’est-ce pas elle aussi qui retient et qui rappelle, chaque fois que besoin est, l’essentiel?» «Ritk’ou al-Hawa’a», de Wadih Saadé Dixième recueil, bien mince mais intensément porté à la méditation et la réflexion, de Wadih Saadé. De toute évidence, pour rester dans le ton des propos de Salah Stétié, la poésie est bien une « nécessité » pour ce poète au verbe arabe ample et sonore. Un verbe doublé aussi d’une profusion d’images oscillant entre symbolisme et surréalisme, où allégorie et ellipse ont la part belle. Sous le titre de «Ritk’ou al-Hawa’a» («L’amour rapiécé», Dar an-Nahar, en collaboration avec la Fondation Nadia Tuéni – 60 pages), Wadih Saadé capte le rythme des «choses» obsessionnelles de la vie. «Les choses sont victimes des regards», a-t-il glané quelque part dans ses lectures. Phrase qu’il cite et place au-devant de son inspiration. Et voilà que l’idée et l’expression l’obsèdent. Une phrase qu’il répète comme pour mieux savourer les beautés de la vie et s’en imprégner. Exister à travers un regard, une sensation, une émotion. Et c’est cette chasse-là qu’opère délicatement mais fermement un poète aux rimes libres, à l’affût de tout ce qui nourrit sa plume et le blanc des pages. Des mots, encore des mots, non pas en torrents impétueux mais comme une eau retenue, on serait presque tenté de dire Comme une eau froide gardée, pour reprendre un beau titre de Salah Stétié… Lyrisme mi-doux mi-amer dans un arabe ciselé, sans être précieux, pour emprisonner la vie et goûter à sa chair… «Nadia Tuéni, poétique d’une terre rêvée», de Joséphine Hobeika el-Khazen Le mieux c’est de lire la poésie de Nadia Tuéni. Découvrir ses phrases, ses images, sa musicalité, sa douceur de grenade éclatée, d’abricot mûr, de couleurs, de parfums et de sable d’Orient blessé, rêveur, véhément, indolent… Avec un usage subtil, délicat et savant des mots, Nadia Tuéni avait tissé sa mythologie littéraire. Mais aussi certains aiment expliquer cette poésie. Une étude universitaire fait ici l’objet d’un livre qui décrypte les codes, les références, les chemins de traverse et les fulgurances d’une œuvre qu’on n’a pas fini de découvrir. Nadia Tuéni, poétique d’une terre rêvée, de Joséphine Hobeika el-Khazen (Dar an-Nahar, en collaboration avec la Fondation Nadia Tuéni –178 pages), est un travail réalisé dans le cadre d’un doctorat de troisième cycle à l’Université Paris XIII, dans le département d’études littéraires et francophones, sous la direction de M. Bernard Lecherbonnier. Documenté, fouillant bien des aspects du dire poétique de la grande dame de la poésie libanaise d’expression française, cet opus n’est pas seulement aux seuls initiés à la poésie, mais à tout lecteur qui aimerait découvrir les soleils cachés d’un poète et voudrait aller par-delà les pages de Juin et les mécréantes, L’âge d’écumes, Archives sentimentales d’une guerre au Liban ou Le rêveur de terre… «Mal de terre», de Nadim Bou Khalil Du rêveur de terre au mal de terre. De Nadia Tuéni à Nadim Bou Khalil avec, en partage, non seulement l’expression poétique mais cette notion de la terre. Mal de terre, de Nadim Bou Khalil (Dar an-Nahar, en collaboration avec la Fondation Cedrona pour la culture –104 pages), est le quatrième recueil d’un jeune poète qui est, selon les propos de son préfacier Alexandre Najjar: «À la fois compositeur et interprète – ou avant tout! – poète. Avocat le matin, il profite du soir pour laisser libre cours à son inspiration créatrice.» Poésie libre avec rimes libres et parfois même prose poétique pour traduire les aberrations, le mystère et les interrogations de la vie et du quotidien. Avec de petites phrases surprenantes qui, mine de rien, en disent long sur une réalité au charme – ou à l’amertume! – qui nous dépasse. Par exemple, et abstraction faite que l’on célèbre les 250 années d’omniprésence du génie de Salzbourg: «J’écoute du Mozart en donnant à manger au chat, ce qui cause une diminution des portes jusqu’à m’empêcher d’en sortir.» Petits mots élégants, incisifs, exquis, avec parfois une amabilité souriante, shéhadienne, c’est tout cela cette poésie aux fantaisies mesurées, nimbée d’un esprit vif et aux scintillements très doux, oscillant délicatement, comme un funambule équilibriste, entre gravité et légèreté. «Apartheid», de Michèle M. Gharios Mélo dans un dé d’eau. Encore de la poésie libre, sans rime ni raison, pour parler du ciel, du cœur et de «l’arbre qui fait de son mieux…» Apartheid (Dar an-Nahar, en collaboration avec la Fondation Cedrona pour la culture – 87 pages), de Michèle M. Gharios, née à Beyrouth en 1968 et prix d’excellence en 2004 pour le concours de nouvelles organisé par le Forum femmes Méditerranée de Marseille. Excellente peut-être en prose, mais pas encore mûre pour la poésie. Premier opus préfacé par May Murr où l’on peut lire cette phrase: « Encore une fois, nous avons à dire que les Libanais manient les langues des autres comme leurs propriétaires et parfois mieux. Dans son premier recueil, Apartheid, les poèmes, à souffle lyrique plutôt court, sont agréables à lire…» Propriétaires de langue, mais quelle langue est-ce? Certainement pas celle de Racine! Loin d’être des parures frivoles, les mots sont des vocables vivants, des blessures profondes… On ne les manie pas impunément! «Rimal Li’inaa al-Jassad», de Rajeh el-Khoury Blessures plus que profondes avec Rajeh el-Khoury, qui ne badine ni avec la douleur, ni le désespoir, ni la tristesse, ni le sentiment du vide et du néant. Tableau bien sombre pour ce titre explicite, voire révélateur, Rimal Li’inaa al-Jassad (Du sable pour envelopper le corps, Dar an-Nahar – 95 pages). De Cioran, il a le pessimisme (et le sens de la formule), des poètes les plus tourmentés, il a le romantisme ombrageux et le lyrisme enfiévré, des croyants impénitents, il a la lumière coruscante, mais, par-dessus tout, Rajeh el-Khoury est convaincu que cette traversée humaine a une finalité extrêmement proche. Signification de la vie ? Malin qui pourrait la dire ! Criez, blasphémez, tempêtez, ragez, nulle révolte ne saurait vaincre tous les murs fragiles des illusions. Une seule certitude : seule la mort est le maître absolu, même si vous détournez le regard de cette imperturbable faucheuse! Elle est là pour tous, aussi bien pour l’auteur que pour le lecteur. Oui, bien entendu, ce «fatum», c’est une lapalissade, mais le dire en termes si agités, si émus, si lucides, en termes si impliqués et si distants à la fois, c’est cela la fonction du poète. Poésie libre pour un flot d’images sonores et fortes dans un arabe dru et aux intonations riches et gutturales. Des cimetières glacés, une branche d’olivier, l’amour (d’un père) enterré et les gouttières des toits transformées en creusets pour les larmes… Chargée de cris et de fureur certes, mais aussi touchée par une certaine grâce, cette poésie incantatoire possède une certaine lumière diaphane. Une poésie à l’éclat d’un diamant noir pour une véritable remontée aux sources. Et l’on s’en va, même avec les derniers mots lus, les yeux rivés vers cet autre pays lointain que le poète invoque… Edgar DAVIDIAN

Prolifiques et touchant à tous les domaines, avec une présentation impeccable et une qualité supérieure de papier, tels sont les nombreux ouvrages (en langue aussi bien arabe que française) édités par Dar an-Nahar. Dernière livraison d’un paquet de livres qui vont prendre sans nul doute d’assaut les devantures des librairies. Des livres qui vont de l’épais pavé au...