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Actualités - CHRONOLOGIE

ÉCRITURE L’affaire Pamuk, ou quand la littérature décortique l’histoire…

Il est à la une de tous les journaux. Son procès du 16 décembre 2005 à Ankara, fortement médiatisé, a été reporté au mois de février avant même d’avoir été entamé. Pour cause de procédure judiciaire. Un écrivain sur le banc des accusés, ce n’est guère nouveau. Mais ici, ce n’est même pas pour un écrit, mais une simple opinion confiée au journal suisse Tages-Anzeiger qu’Orhan Pamuk s’est attiré les foudres des autorités turques. Quelle opinion? Une phrase qui revisite le passé. Une phrase taboue que nul ne doit prononcer et qu’Orhan Pamuk, brisant la loi du silence, dit publiquement. «Trente mille Kurdes et un million d’Arméniens ont été massacrés sur ces terres et personne sauf moi n’ose en parler», a dit cet impénitent et courageux intellectuel qui fut d’ailleurs l’un des premiers intellectuels musulmans à se ranger aux côtés de Salman Rushdie. Par-delà l’affaire qui fait beaucoup de bruit et la pétition mobilisant les lecteurs en faveur de l’écrivain (signée déjà par Salman Rushdie, Russel Banks, J.M. Coetzee, Antonio Tabucchi, Dan Franck, Olivier Rolin, Marie Darieussecq et bien d’autres…), il est naturel de jeter la lumière sur ce romancier qui sort du rang par son talent, ses écrits et ses propos tendant vers une autocritique constructive et libératrice. Voilà un auteur qui rêve de transparence et de démocratie pleine de respect pour les droits de l’homme. Et toujours dans la même politique de répression menée par les autorités au nom de la liberté d’expression, les procès et les poursuites se multiplient. Les récentes personnes attaquées sont le journaliste d’origine arménienne Hrant Dink et le romancier Zulkuf Kisanak, notamment pour son roman au titre révélateur Les villages disparus. Poète au sens noble du terme, Orhan Pamuk n’est pas un simple rêveur. Né en 1952 à Istanbul, il est issu d’une famille bourgeoise où la culture et l’éducation sont des axes vitaux et essentiels, non pas pour assurer une quelconque carrière (le romancier dit qu’avec son aisance matérielle il aurait pu vivre sans travailler), mais pour affronter un ennui du quotidien déstabilisant. Enfant de parents divorcés, Pamuk a une énergie inépuisable pour les longues et minutieuses descriptions pourfendant en profondeur le vernis de modernisme installé par le chapeau melon d’Atatürk et l’alphabet latin pour les accents arabes. Écriture jetant de multiples embranchements dans l’histoire et remplissant généreusement des cahiers d’écolier, car Pamuk confesse ne pas utiliser d’ordinateur. Tout dire Déjà six livres à son actif, traduits dans plus de 40 langues. Avec des titres révélateurs d’une pensée portée à l’analyse percutante et marquée par les atmosphères faulklériennes où Schéhérazade a toujours le conte certes fleuri mais jamais innocent et sans égratignures. Se sont succédé en librairies des livres cousus de fil blanc: La maison du silence, Le livre noir, Le château blanc, La vie nouvelle et ce célèbre Mon nom est rouge (Benim adim kirmize), plébiscité comme le meilleur livre étranger en France, en plus des nombreuses distinctions reçues dans d’autres pays, comme l’Independent Foreign Fiction Award ou le prix Impac. Aujourd’hui, Neige (Gallimard – 485 pages) est en tête des listes des ventes. Mieux, Orhan Pamuk, pour ce même livre (traduit déjà dans plus de 20 langues), a obtenu le prix Médicis étranger 2005. Pour ses qualités littéraires bien entendu, mais aussi et surtout pour cet aspect visionnaire où la poésie l’emporte sur le politique. La clairvoyance de son héros, Ka, n’est pas un effet du hasard. Ka, comme tous les mages et les poètes, est celui qui dessille les yeux et ouvre la voie à la vérité. Neige est un roman à suspense où sont habilement traités des sujets d’une brûlante actualité. Des sujets explosifs, tels que l’identité de la société turque (à la veille de la volonté de l’adhésion à l’Union européenne) et de la nature du fanatisme religieux. Neige qui recouvre tout ce qui est vivant, y compris la réalité arménienne. Pamuk a le style de tout dire dans un ton poétique et nostalgique à la fois. On retient ses propres aveux dans Mon nom est rouge pour définir le style (tout en n’oubliant pas la formule: «Le style, c’est l’homme»): «Cette chose à laquelle on tient tellement sous le nom de style, ce n’est que l’erreur de laisser apparaître nos signes d’identité…» S.N.

Il est à la une de tous les journaux. Son procès du 16 décembre 2005 à Ankara, fortement médiatisé, a été reporté au mois de février avant même d’avoir été entamé. Pour cause de procédure judiciaire. Un écrivain sur le banc des accusés, ce n’est guère nouveau. Mais ici, ce n’est même pas pour un écrit, mais une simple opinion confiée au journal suisse Tages-Anzeiger...