Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Contre l’humanité

Ils le savaient depuis 1999, les hommes de la Békaa, ceux de Jounieh, de Beyrouth ou de Tripoli aussi. Et les mères. Surtout les mères. Elles, elles se foutaient bien d’avoir des preuves, de voir. Elles le sentaient. Leurs fils, leurs frères, leurs maris disparus ne devaient pas être bien loin ; quelque chose devait se crisper dans le ventre de ces femmes à chaque fois qu’elles s’approchaient de Anjar. À chaque fois qu’elles s’approchaient du sanctuaire transformé en charnier. Elles n’osaient rien dire. Ils/elles n’ont rien dit pendant des années, vingt peut-être. Les années de plomb, quand Ghazi Kanaan puis Rustom Ghazalé avaient transformé Anjar et sa petite couronne en un trou noir, en un cercle des Bermudes qui digérait tous ceux, peut-être toutes celles, qui refusaient, d’une façon ou d’une autre, l’occupation, la tutelle, l’opération de clonage du Liban. Les dénégations officielles et anonymes syriennes sont au-delà du sordide. Le Fateh-CR ? Rien ne se faisait dans l’est du Liban en général, à Anjar en particulier, pas un cil ne bougeait, pas un rayon de soleil ne pointait sans l’accord des gauleiter de Damas. La Syrie a atteint un tel point de non-retour que personne ne s’étonnera demain si Walid Moallem, Riad Daoudi, Houssam Houssam ou n’importe lequel de leurs collègues de bureau décrète en conférence de presse que Michel Aoun et Samir Geagea réglaient leurs comptes par cadavres interposés à Anjar avec ou sans la bénédiction syrienne. Ou que les Arméniens de la ville attiraient pendant des années des Turcs pour se venger du génocide commis par les Ottomans. Ou que Detlev Mehlis a transporté jusqu’à Anjar et sous couverture onusienne des squelettes du Rwanda, quelques heures à peine avant d’interroger à Vienne des ressortissants syriens. Un charnier. Les Libanais attendent de Fouad Siniora qu’il se rende le plus vite, le plus tôt possible sur le site de cet Auschwitz. Ils attendent du gouvernement une réaction imminente. Ils attendent des députés de la majorité un acte fort à la Chambre – et tant mieux si les autres suivent. Sinon, tant pis pour eux : passe encore que le très fatigué Sélim Hoss s’égare en demandant que « l’on n’anticipe pas les résultats de l’enquête » (sic) ; si Hassan Nasrallah et Nabih Berry s’amusaient à répéter ces mots, ils risqueraient bien de s’en mordre les doigts jusqu’au coude. C’est à eux, avant les autres, de demander que l’on fasse de Anjar un nouveau Khiam ; c’est à eux, avant les autres, d’appeler à la construction d’un musée, même (surtout) si ce sera celui de l’horreur ; de faire en sorte qu’aucune génération n’oublie. Ni Khiam ni Anjar. Surtout Anjar. Parce que, indépendamment du nombre de morts ou de la gravité des crimes, à Anjar, c’était cette sœur dont ils continuent à louer les vertus qui officiait. Un charnier. Peu importe si Hafez puis Bachar el-Assad, si Kanaan puis Ghazalé étaient au courant ou pas, ou si ces crimes contre l’humanité étaient décidés par leurs sbires. Demander à la Syrie des excuses serait hallucinant ; des indemnités, obscène. Tout se paie pourtant, un jour ou l’autre. En attendant, la découverte de ce charnier et un minimum de décence devraient bâillonner, ne serait-ce que momentanément, les contempteurs d’un tribunal international chargé de juger les personnes incriminées par la commission Mehlis dans l’assassinat de Rafic Hariri. Parce que ce n’est plus un simple TI qu’il faudrait. Mais un Nuremberg. Ziyad MAKHOUL
Ils le savaient depuis 1999, les hommes de la Békaa, ceux de Jounieh, de Beyrouth ou de Tripoli aussi. Et les mères. Surtout les mères. Elles, elles se foutaient bien d’avoir des preuves, de voir. Elles le sentaient. Leurs fils, leurs frères, leurs maris disparus ne devaient pas être bien loin ; quelque chose devait se crisper dans le ventre de ces femmes à chaque fois qu’elles...