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Actualités - CHRONOLOGIE

La statue de Hafez el-Assad devenue symbole « d’humiliation et d’occupation » À Baalbeck, beaucoup d’habitants ne sont pas près d’oublier « les mauvais souvenirs syriens »

Une femme tout habillée de noir, originaire de Baalbeck, a offert des bonbons et des fleurs aux soldats de l’armée libanaise qui ont pris possession d’un point de contrôle syrien situé à l’entrée des villages de Chlifa et de Deir el-Ahmar. Elle porte toujours le deuil de son jeune fils mort durant l’été 1976, peu après l’entrée des troupes syriennes au Liban. « Mon fils a été fusillé par les Syriens non loin de là, peut-être que maintenant je pourrai vivre tranquille, voire ôter mes vêtements de deuil », explique-t-elle, les larmes aux yeux. Cette histoire a été rapportée par plusieurs personnes présentes à l’ancien barrage syrien pour accueillir l’armée libanaise, en début de semaine. Les troupes de Damas avaient évacué lundi dernier, en fin d’après-midi, leur dernier campement à Baalbeck. Samedi, ils avaient abandonné leur permanence des services de renseignements, située non loin de l’hôtel Palmyra. Il y a une quinzaine de jours, la statue de l’ancien président syrien, Hafez el-Assad, érigée à l’entrée de la localité, a été démantelée. Cette statue est inévitablement évoquée dans la conversation des habitants de Baalbeck – heureux du départ syrien – comme « symbole d’humiliation et d’occupation ». Baalbeck, qui abrite plusieurs communautés religieuses, respire. Ce sont surtout les sunnites et les chrétiens de la localité qui ne cachent plus leur joie du départ des troupes syriennes. Certains d’entre eux, notamment des commerçants, pèsent leurs termes pour parler des injustices et des humiliations subies durant près de trente ans de présence syrienne dans la Békaa. Ils ne veulent probablement pas froisser les chiites de la ville, majoritairement partisans du Hezbollah. Ces derniers préfèrent ne pas évoquer le retrait syrien avec les journalistes, ou rendent hommage aux « honorables services consentis par la Syrie... » Au souk de Baalbeck, Moustapha, électricien, indique : « Je ne suis certes pas chagriné de leur départ. Il était d’ailleurs temps qu’ils quittent le pays. Ce sont des invités qui ont passé trente ans chez leur hôte ! Personne ne peut être triste qu’ils soient partis. » « Même si on n’avait pas affaire aux soldats et aux services de renseignements, nous sommes désormais libres, nous n’avons plus peur de dire ce qu’on pense », renchérit Wajdi. Hussein relève : « C’est vrai qu’ils ont soutenu la résistance, nous leur sommes reconnaissants. Mais les ouvriers syriens prenaient le travail des habitants de Baalbeck, cela sans compter les revenus du port et de l’aéroport qui passent directement à Damas. » Gaby et Mohammed (ce dernier étant l’un des moukhtars de Baalbeck), sont un peu plus expansifs. « À l’instar de tous les Libanais, nous sommes heureux qu’ils soient partis », disent-ils, rayonnant de joie. Quand les deux hommes ont vu les Syriens quitter Baalbeck, ils ont éprouvé « un immense sentiment d’indépendance et de souveraineté ». Gaby raconte qu’il ne s’attendait pas à ce que les troupes de Damas quittent la Békaa de sitôt. Mohammed lui coupe la parole en lançant : « Que Dieu ait pitié de l’âme de Rafic Hariri », et Gaby acquiesce. Mohammed indique, comme d’autres habitants interrogés, que « les Syriens auraient pu avoir un départ triomphal du Liban, nous aurions pu leur dire adieu avec du riz et des fleurs, surtout que nous sommes voisins, qu’il existe de tout temps d’importantes relations sociales et économiques entre les peuples libanais et syrien, notamment dans la Békaa ». « Ils ont accumulé les erreurs. C’est dommage qu’ils n’aient jamais traité d’une façon respectueuse les habitants de Baalbeck. Et cela est impardonnable », poursuit Mohammed. Assise dans sa parfumerie, Roula commente le retrait syrien, lançant avec un grand sourire : « C’est la plus belle chose qu’ils aient faite en trente ans. » « Dans les semaines à venir, le Liban se portera inévitablement mieux, sur tous les plans », ajoute-t-elle. « S’ils avaient effectué une seule bonne action au Liban en trente ans de présence, nous n’aurions jamais accepté qu’ils quittent le pays ainsi humiliés. Pendant toutes ces années, ils n’ont pas laissé un seul bon souvenir », renchérit l’époux de Roula, Bachar, « mais pas Assad », précise-t-il, en souriant. « Nous ne souhaitons pas que la Syrie vive ce qu’elle nous a fait endurer durant trente ans. Mais tous les empires, même les plus grands, finissent par tomber. Et c’est le cas de la Syrie actuellement », dit-il. Bachar, qui ne veut pas s’attarder sur « les mauvais souvenirs syriens », se contente de préciser, en portant sa fille âgée de deux ans dans les bras : « Nous n’aurons même pas besoin de raconter à nos enfants ce qui s’est passé durant près de trente ans. Car la vérité et les injustices subies finissent par éclater au grand jour, par devenir des lapalissades. » « Pourquoi Khiam et pas le “Beau Rivage” ? » Aïda est propriétaire d’un magasin non loin de l’ancienne permanence des services de renseignements syriens. Samedi dernier, elle a assisté au départ des agents des SR. La veille, elle les a vus brûler les dossiers qu’ils avaient accumulés en trente ans. « Bon débarras », dit-elle à pleins poumons. « Durant trente ans, nous étions sous mandat syrien, car rien ne se passait ici sans leur accord. Ouf ! C’est un cauchemar qui se termine. Maintenant nous recouvrons notre indépendance », soupire-t-elle. Même si Aïda rayonne de bonheur en parlant du départ des troupes et des services de renseignements syriens, elle n’est pas près d’oublier de sitôt l’entrée des soldats de Damas à Baalbeck en 1976, ainsi que les années qui ont suivi. « Ils arrêtaient à tort et à travers les jeunes hommes de la localité, les interrogeaient, les torturaient. Nous vivions tous la peur au ventre », indique-t-elle, se souvenant aussi « des voisins chrétiens qui ont fini par partir pour ne plus remettre les pieds à Baalbeck, que pour de rares occasions ». Rana, une adolescente de 14 ans, n’avait pas ouvert la bouche depuis le début de l’intervention de Aïda. Elle s’est rendue chez la propriétaire du magasin pour se servir d’Internet. Ses parents tiennent un fonds de commerce non loin de là. « Je suis originaire de Doris, il n’y a plus que deux familles chrétiennes qui vivent au village. Maintenant, avec le départ des Syriens, nous espérons que les autres reviendront à Doris », dit-elle. Éloquente pour son jeune âge, elle déclare : « C’est vrai que je suis née après la fin de la guerre. Mon souvenir des Syriens se résume à des soldats qui habitent le village, tout à fait comme nous. Mais comme tout le monde ici, je suis heureuse de leur départ et je sens que nous sommes désormais indépendants. » Mohammed, 27 ans, et Hussein, 20 ans, travaillent dans une sandwicherie. Quand ils évoquent le départ des Syriens, leurs yeux brillent et ils affichent de grands sourires. « Si nous les aimions vraiment, la statue de Hafez el-Assad serait restée à l’entrée de Baalbeck. Elle n’aurait pas disparu avec leur départ », indique Mohammed, ajoutant que les habitants de la localité « étaient obligés de se taire et de faire des concessions pour avoir un semblant de paix ». « La statue était une sorte de pot-de-vin et pas une marque d’amour pour les Syriens », indique-t-il. Ali, pour sa part, raconte : « Ce n’est qu’hier que j’ai vraiment réalisé que Baalbeck a été évacuée. Et en me promenant dans la ville j’ai su que je vis désormais dans un endroit civilisé. » Samedi dernier, il s’était rendu à la permanence des services de renseignements syriens fraîchement abandonnée. « Juste pour ne jamais oublier ce qu’ils ont fait », dit-il. Et les deux jeunes gens, ainsi que beaucoup d’autres habitants de la ville, croient dur comme fer que l’histoire ne sera pas clémente avec les Syriens. Mohammed et Ali parlent de la torture et des humiliations subies. « Quand la statue de Hafez el-Assad a été érigée, il y a un homme de Baalbeck, connu de tous pour sa folie, qui s’est approché du monument en criant “mais ôtez donc de là cet âne bâté”, il a disparu durant quatre jours. Il a été torturé puis relâché », raconte Mohammed. « S’ils sont capables de torturer un malade mental, que font-ils de leurs propres opposants ou des Libanais détenus dans leurs prisons ? » renchérit Ali. Mohammed indique : « Quand ils évoquent la torture, beaucoup de Libanais s’attardent longuement sur la prison de Khiam. Nous avons vu à la télévision les cellules du Beau Rivage à Beyrouth et de la villa Jabre à Dhour Choueir, tenus durant près de trente ans par les SR syriens… C’est pire que Khiam. » Il explique : « Les Israéliens ont toujours été nos ennemis, on le sait. Mais comment un peuple qui se dit frère peut nous faire subir tout cela ? ». Judicieuse question. 
Une femme tout habillée de noir, originaire de Baalbeck, a offert des bonbons et des fleurs aux soldats de l’armée libanaise qui ont pris possession d’un point de contrôle syrien situé à l’entrée des villages de Chlifa et de Deir el-Ahmar. Elle porte toujours le deuil de son jeune fils mort durant l’été 1976, peu après l’entrée des troupes syriennes au Liban. « Mon...