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ÉCLAIRAGE - Un dimanche électoral pas comme les autres et un nouveau paysage à l’horizon Entre la classe politique et le peuple, un dialogue de sourds

Qui aurait pu croire qu’une simple échéance municipale pouvait être porteuse d’autant de leçons ? D’un dimanche à l’autre, c’est un nouveau paysage libanais qui se dessine et qui montre à ceux qui avaient encore des doutes sur la question que la classe politique, enfermée dans ses tours d’ivoire bien gardées par ses armées d’analystes, est de plus en plus coupée du terrain, et donc ignorante de ce que pensent réellement les gens. Au-delà donc des spéculations politiques dont les auteurs décortiquaient, avant même l’ouverture des urnes, les desiderata de la Syrie et annonçaient une volonté de réduire les leaderships d’au moins deux pôles du pouvoir, ce sont donc les citoyens et eux seuls qui ont choisi l’allure qu’ils voulaient imprimer à ce scrutin : celle du développement, dans le respect d’une certaine tradition et des équilibres familiaux. Les résultats de Jezzine sont ainsi venus confirmer ceux de Jbeil, concernant les courants d’opposition. Pourtant, Dieu sait si, à Jezzine, tous les moyens ont été utilisés par l’opposition pour gagner la sympathie des électeurs. Outre Béchir Gemayel et ses discours enthousiasmants, le général Michel Aoun et son image d’un Liban fort, on a aussi fait appel aux souvenirs douloureux : les combats, les martyrs et l’emprisonnement d’anciens membres de l’ALS par les autorités libanaises. Une sorte d’apologie d’une guerre que les habitants, eux, préféraient visiblement oublier. Sans parler des méthodes utilisées, à la limite des pratiques miliciennes, qui oscillent entre la volonté de créer une atmosphère de meeting « comme au bon vieux temps » et celle de donner aux électeurs l’image d’une force qui n’est pas conforme à la réalité. Bref, il s’agissait de peser sur leur choix, avec des images du passé, mais un passé sur lequel tout le monde ne porte pas le même regard. D’autant qu’en définitive, les habitants de Jezzine ont bien vu qui les a vraiment aidés lorsque leurs fils ont été arrêtés, qui a tout fait pour obtenir discrètement la clémence des autorités et qui leur a assuré des avocats sans qu’il leur faille payer des factures. Comme l’a déclaré dimanche Rachad, un jeune étudiant de l’USJ : « J’ai dans ma chambre un portrait du général Aoun. Mais je ne vais pas voter pour lui. Car je sais où se trouve l’intérêt de ma ville. Je sais qui peut m’aider et qui ne pourra rien pour moi en cas de coup dur. » Autant de bon sens chez un jeune, alors qu’on cherche à enfermer sa génération dans un schéma uniforme, devrait donner à réfléchir. La percée nationale du courant aouniste Tout comme devrait faire réfléchir l’impression, qui se précise de plus en plus, que les gens ne veulent plus de slogans tonitruants qui ne sont pas suivis d’action concrète. Ils ne veulent apparemment plus d’approches s’adressant aux instincts, mais un projet, voire une vision. Au moins en ce qui concerne l’action municipale. L’une des grandes erreurs des diverses parties politiques, c’est peut-être, d’ailleurs, d’avoir voulu faire de cette échéance une sorte de test politique. Et le verdict est tombé avec une netteté étonnante. Pourtant, malgré l’échec relatif enregistré dans les régions chrétiennes, qui devrait le pousser à revoir sa politique mobilisatrice des jeunes, le courant aouniste a quand même réussi la gageure de se faire admettre sur la scène musulmane, se démarquant encore plus des autres courants de l’opposition chrétienne et donnant une dimension concrète à son orientation nationale. Même s’il n’a pas enregistré des résultats décisifs à Tyr, par méconnaissance aussi de l’état d’esprit des chrétiens de la région, il a quand même travaillé côte à côte avec les formations musulmanes ou laïques, dans une région à majorité musulmane. Et c’est là un grand pas dans le sens d’une nouvelle stratégie. À Tyr donc, le président de la Chambre a conservé son leadership, grâce à la fidélité des habitants de la ville à celui qui reste leur grande figure, l’imam disparu Moussa Sadr, mais aussi grâce au vote des chrétiens. Le député membre du bloc Hezbollah, Abdallah Kassir, a beau déclarer devant les caméras de télévision qu’il y a eu « achat de voix dans le quartier chrétien de Tyr », ce serait trop simplifier la situation que d’expliquer le vote massif des chrétiens en faveur d’Amal par des motivations financières. Ces gens-là, qui ont vécu la peur et l’exode et qui ont cru ne jamais revoir les biens laissés par leurs parents ou la maison de leur enfance, ont choisi le courant qui leur fait le moins peur. Et ce n’est pas avec quelques déclarations de dernière minute, à la veille du scrutin, que le Hezbollah aurait pu les rassurer. Il faudrait pour cela un long processus et une pratique de tous les instants. Si le Hezbollah a certainement à son actif son comportement irréprochable après la libération en 2000, les chrétiens du Sud ont besoin d’être rassurés, sur le long terme, sur leur mode de vie et leurs pratiques. C’est sans doute ce que les responsables de ce parti n’ont pas compris, soucieux principalement de gagner la scène chiite. Dans ces circonstances, Amal, malgré une certaine réputation et des pratiques souvent miliciennes, restait un choix préférable. Saïda fidèle à son passé et à son image militante Mais c’est à Saïda, ville à la tradition militante, que la plus grande leçon a été donnée. Si les partisans du président du Conseil ont mené une guerre féroce contre M. Abdel Rahmane Bizri, lui rappelant qu’il avait fait ses premiers pas politiques dans le giron du clan Hariri, les Sidoniens se sont chargés de rétorquer que les Bizri existaient bien avant que le président du Conseil ne se lance dans l’arène politique. Et à Hariri lui-même, qui, pour des raisons politiques, a choisi de se faire inscrire sur les registres de l’état civil de Beyrouth, Saïda a montré qu’elle restait fidèle à son passé, à Maarouf et Moustafa Saad, à Nazih Bizri et à son image nationaliste, puisqu’elle a été la première grande ville du Liban à lancer des opérations contre les soldats israéliens. Malgré les dollars engagés dans la bataille, la capitale du Sud a préféré donner une leçon au clan Hariri, mais aussi à la Jamaa islamiya qui croyait pouvoir s’y implanter et modifier ainsi l’image nationaliste de la cité. Et si, à Beyrouth, la liste de Hariri a remporté la victoire, c’est sans doute parce qu’elle n’avait pas en face d’elle une rivale crédible. Un peu dans le sens de ce fameux vers de Corneille : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » Il faudrait y ajouter que la victoire, dans de telles conditions, ne peut pas vraiment tromper les analystes politiques. Cela aussi, c’est une leçon à retenir. Mais les élections de dimanche ont surtout montré que les Sudistes, sans doute à cause des souffrances vécues et de la longue occupation qu’ils ont subie pendant plus de 25 ans, sont différents des autres Libanais, plus pragmatiques et moins sensibles aux voix des sirènes. Plus attachés aussi au militantisme et aux causes nationales. En somme, comme ce qui peut influencer (de moins en moins d’ailleurs) les chrétiens du centre n’a pas la même résonance chez ceux du Sud. Le même phénomène est valable pour les sunnites de Beyrouth et ceux de Saïda, pour les chiites de la Békaa et ceux du Sud. C’est donc un dimanche plein d’enseignements que le Liban a vécu il y a deux jours. Mais la plus importante leçon à tirer de ce scrutin par étapes est que, volontairement ou non, les Libanais ont montré qu’ils ne voulaient plus d’un leader superpuissant, et lorsque quelqu’un s’est senti plus fort que le Liban, ils se sont chargés de le ramener à une dimension raisonnable. C’est un peu vrai pour toutes les parties qui se sont lancées dans la grande aventure municipale, de Berry, qui, malgré la victoire à Tyr, ne peut oublier les échecs dans les autres régions, à Hariri, dont la victoire à Beyrouth devient encore plus relative, mais s’agissant aussi du Hezbollah, qui a certes amélioré sa situation, mais sans le raz-de-marée attendu des parties de l’opposition. Une leçon de modestie, en somme, et la classe politique, sourde aux cris du peuple, en avait grandement besoin. Scarlett HADDAD
Qui aurait pu croire qu’une simple échéance municipale pouvait être porteuse d’autant de leçons ? D’un dimanche à l’autre, c’est un nouveau paysage libanais qui se dessine et qui montre à ceux qui avaient encore des doutes sur la question que la classe politique, enfermée dans ses tours d’ivoire bien gardées par ses armées d’analystes, est de plus en plus coupée...