Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Éclairage Un responsable du département d’État définit la stratégie américaine dans la région Pour l’Administration US, il est temps que la Syrie se retire du Liban

Le projet américain de « Grand Moyen-Orient » constitue-t-il un simple ballon d’essai ou reflète-t-il plutôt une volonté réelle de faire bouger les choses dans la région ? Les appels US à des réformes politiques et structurelles dans les pays arabes correspondent-ils réellement à la ligne de conduite de Washington au M-O ? D’une manière plus ponctuelle, les récentes prises de position de l’Administration Bush concernant le rôle et la présence de la Syrie au Liban représentent-elles une nouvelle manœuvre d’intimidation envers Damas ou sont-elles au contraire, cette fois-ci, la manifestation d’une option bien réelle ? Dans le but d’apporter des éléments de réponse à ces interrogations et de fournir un éclairage sur la stratégie américaine dans la région, l’ambassade US à Beyrouth a organisé hier, au siège de la chancellerie, à Awkar, une réunion informelle entre un groupe restreint de journalistes et un responsable du département d’État, Nabil Khoury, en charge des contacts avec les médias arabo-musulmans. Basé à Londres et présenté comme l’un des porte-parole du département d’État, M. Khoury est vice-directeur du « centre de communication informationnelle » rattaché à l’ambassade américaine en Grande-Bretagne. Faisant preuve d’une extrême franchise et d’une grande clarté d’esprit, le responsable US souligne, d’entrée de jeu, que l’importance du Syria Accountability Act réside dans sa portée politique et symbolique. Les échanges économiques entre les États-Unis et la Syrie étant modestes, la mise en application de cette loi – prévoyant des sanctions contre Damas – constitue, aux yeux de Washington, un moyen de pression visant à pousser le régime syrien à satisfaire une série de demandes qui avaient été présentées au président Bachar el-Assad par le secrétaire d’État, Colin Powell, au lendemain de la victoire des forces de la coalition en Irak. « La Syrie a besoin d’un grand changement économique qui implique aussi un changement politique, souligne M. Khoury. Elle est isolée du monde comme l’était auparavant l’Irak. Elle a besoin de s’intégrer économiquement au monde. L’amélioration de nos rapports bilatéraux l’aidera à aboutir à cette intégration. » La demande américaine portant sur la nécessité d’un retrait syrien du Liban constitue l’un des points essentiels de la liste de requêtes présentée par Washington à Damas. Le responsable US affirme à ce propos sans détours qu’« il est temps que la Syrie se retire du Liban ». Cette demande, précise-t-il, s’inscrit dans le cadre d’une vision globale concernant la région. Pour l’Administration US, la présence militaire syrienne sur le territoire libanais n’a plus aucun intérêt pour Damas. « Les anciennnes thèses selon lesquelles cette présence était nécessaire pour servir de monnaie d’échange pour récupérer le Golan ou pour assurer le flanc de la Syrie en cas d’attaque israélienne sont devenues obsolètes et dépassées », souligne M. Khoury. Le droit de manifester Pour Washington, les relations entre le Liban et la Syrie doivent évoluer pour être fondées sur des bases « normales et amicales ». « Il est du droit des Libanais de réclamer le retrait syrien », note M. Khoury qui précise à ce sujet que « les manifestations (qui pourraient être organisées pour revendiquer un retrait syrien) constituent un droit qui doit être respecté. » Le responsable US souligne qu’il revient aux Libanais d’établir un dialogue entre eux, d’abord, ainsi qu’avec le pouvoir syrien, ensuite, pour déterminer les bases d’une redéfinition des rapports entre le Liban et la Syrie. Mais un tel dialogue et une telle démarche sont-ils réellement possibles dans l’état actuel de la tutelle syrienne exercée sur le pays ? Sans répondre directement à la question, le responsable US réitère que la demande américaine relative au retrait syrien représente l’un des éléments fondamentaux d’une vision globale qui se concrétise par « une série de demandes que nous avons présentées aussi bien à la Syrie qu’à d’autres pays ». Et comme pour préciser davantage sa pensée, M. Khoury ajoute : « Nous allons demander aux Syriens de se retirer indépendamment de la manipulation interne qui pourrait se produire au Liban. » La politique US consiste donc à forcer la main, en quelque sorte, au régime syrien pour l’entraîner sur la voie de la réforme. L’objectif recherché est non pas de renverser le pouvoir en place à Damas ni de déstabiliser la Syrie, mais uniquement d’induire un changement en profondeur. Évoquant les derniers affrontements syro-kurdes, M. Khoury affirme que l’Administration américaine n’appuie nullement les mouvements sécessionnistes en Syrie, en Irak ou dans tout autre pays car cela reviendrait à déstabiliser la région. Les quatre volets du partenariat Il reste que Washington affiche ouvertement sa détermination à favoriser des réformes structurelles de base dans l’ensemble des pays du M-O. M. Khoury reproche aux régimes arabes leur comportement autoritaire et dictatorial qui a empêché, précise-t-il, toute participation de la population à la vie publique, ce qui a entraîné un grave sous-développement économique et technologique, lequel débouche inévitablement sur l’extrémisme et le terrorisme. Certes, les États-Unis ont favorisé l’émergence et le maintien au pouvoir de la plupart de ces régimes totalitaires. « Il s’agissait d’une autre époque, souligne M. Khoury. Notre priorité était alors de combattre l’Union soviétique. Nous avons donc appuyé des régimes qu’il était peut-être amoral de soutenir. Le président Bush a d’ailleurs reconnu que nous avons eu tort d’appuyer certains régimes. Maintenant, le monde a changé. Nous devons combattre l’extrémisme et le terrorisme qui sont actuellement les principaux dangers auxquels nous faisons face. Les intérêts des nations varient en fonction des circonstances. Actuellement, l’intérêt des États-Unis, qui est également celui des pays de la région, est de lutter contre l’extrémisme et le terrorisme. Or, l’instabilité et la fragilité des régimes en place favorisent ces fléaux. » Dans le but d’aider les pays de la région à surmonter le sous-développement socio-économique et à s’engager sur la voie des réformes politiques en vue d’une démocratisation de la société, Washington propose aux États concernés un partenariat fondé sur quatre volets essentiels : les réformes politiques (élections libres, rôle accru pour la société civile, renforcement du rôle des partis...) ; les réformes économiques (restructuration des institutions économiques, fin de la mainmise de l’État sur la vie économique, développement du secteur privé, lutte contre la bureaucratie...) ; la refonte de l’Éducation (développement de l’éducation des filles, enseignement des langues étrangères, modernisation des programmes, lutte contre l’analphabétisme...) ; promotion du droit de la femme et soutien aux ONG. Estimant que les réactions négatives enregistrées dans certaines capitales arabes au sujet du projet américain de « Grand Moyen-Orient » sont destinées à la consommation interne, M. Khoury souligne qu’il est erroné de penser que les États-Unis désirent imposer un changement de l’extérieur. « Toutes ces réformes nécessitent une conviction et des initiatives de la part des pays concernés, précise-t-il. Si les régimes ont des plans de réforme sérieux, nous sommes disposés à les soutenir. » La grande question qui se pose dans un tel contexte est de savoir si les populations de la région sont réellement prêtes à vivre ces bouleversements souhaités non seulement par les États-Unis mais aussi par l’Union européenne (le partenariat euro-méditerranéen a, en définitive, la même finalité que le projet américain). La participation de la société civile à la gestion de la chose publique, une libéralisation de la vie politique ainsi que le respect des libertés et des droits des minorités nécessitent une culture démocratique et l’acquisition de pratiques et de réflexes démocratiques. Les peuples de la région sont-ils prêts à une telle mutation ? Le chemin à parcourir pour aboutir au but est, certes, très long, mais nombre de responsables occidentaux se montrent, malgré tout, optimistes à cet égard. Michel TOUMA

Le projet américain de « Grand Moyen-Orient » constitue-t-il un simple ballon d’essai ou reflète-t-il plutôt une volonté réelle de faire bouger les choses dans la région ? Les appels US à des réformes politiques et structurelles dans les pays arabes correspondent-ils réellement à la ligne de conduite de Washington au M-O ? D’une manière plus ponctuelle, les récentes...