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Actualités

Il y a quatre ans nous quittait Charles Hélou Des réflexions d’actualité Par Joe KHOURY-HÉLOU

Il y a quatre ans nous quittait Charles Hélou. En observant le cours actuel des événements, reviennent à l’esprit plusieurs de ses réflexions, tant elles continuent à être d’actualité. Charles Hélou avait, en effet, cette rare faculté d’observation et d’analyse qui lui permettait de prévoir l’événement. Il faut dire que l’homme qui a côtoyé Béchara el-Khoury, Riad el-Solh et Michel Chiha était profondément imprégné de l’idée libanaise, telle que l’ont conçue ces trois grands Libanais. Et s’il croyait viscéralement qu’il fallait préserver la formule libanaise coûte que coûte, pour que demeure le Liban, il a pensé aussi qu’elle serait ébranlée dès la première secousse. C’est lors de son mandat que la tempête dévastatrice a soufflé. Élu président de la République sans appartenir à un quelconque parti ou clan, son ultime ambition était de gouverner sur des fondements démocratiques, laissant aux règles républicaines le soin de s’appliquer à chaque échéance législative ou lors de la formation des gouvernements. À cette époque, le Nahj et le Helf se livraient une bataille politique sans merci. Le Nahj chéhabiste était appuyé par les services de l’armée, dont le fameux Second bureau de l’époque. Le rôle d’arbitre impartial voulu par le président de la République lui a valu alors le déchaînement des chéhabistes, qui l’accusaient de trahison. Et voilà que ce souci d’impartialité et de neutralité constitue, aujourd’hui, le sujet essentiel des récriminations de ceux qui veulent des élections intègres. Mais c’est quand le président s’est trouvé confronté à la grande déchirure, au niveau tant de l’État que de la population – provoquée par l’ampleur de l’appui accordé à la résistance palestinienne –, qu’il a perçu le danger qui guettait le Liban. Quand il s’est opposé aux agissements des fedayine, un conflit a surgi avec le chef du gouvernement, M. Abdallah Yafi, lequel lançait à l’adresse de la foule : «Je suis le premier fedaï !» Puis quand il a adressé à la nation son célèbre appel du 31 mai pour refuser « le fait accompli et la politique du fait accompli », M. Rachid Karamé, qui avait succédé à M. Yafi, décrétait qu’« on ne peut imposer à quelqu’un ce qui est contraire à ses convictions profondes » et faisait siennes les thèses palestiniennes tout en dénonçant l’action de l’armée, qui ne faisait que préserver la souveraineté nationale. Dans leurs réponses au questionnaire présidentiel pour sonder les députés sur leur attitude face à l’atteinte à la souveraineté nationale du fait de l’action des fedayine, certains élus de la nation se montraient équivoques tandis que d’autres affichaient ostensiblement leurs options propalestiniennes. Puis il y eut le communiqué des personnalités musulmanes réunies à Dar el-Fatwa, refusant toute participation au gouvernement tant que le fedaï n’était pas traité comme le soldat libanais et ne jouirait pas d’une totale liberté d’action. Charles avait alors préféré rester sans gouvernement sept mois durant, se demandant si la division du pays ne serait pas la solution, pour se ressaisir aussitôt, la seule issue demeurant, malgré tout, la coexistence. La division des Libanais a été aggravée par les ingérences étrangères, surtout celles de la Syrie d’où déferlaient les combattants palestiniens avec l’appui des forces syriennes. La Syrie nous imposait, de surcroît, la fermeture de la frontière pour étouffer notre économie. Ailleurs, dans la plupart des capitales arabes, on lançait l’anathème contre l’autorité libanaise, mise carrément au banc des accusés. Charles Hélou, laissé seul dans la tourmente, concluait que le pays devenait ingouvernable chaque fois qu’un problème fondamental se présentait, que les Libanais avaient des conceptions diamétralement opposées en matière de souveraineté et de liberté, que les conflits internes se doublaient inexorablement d’interférences étrangères avec, à l’arrière-plan, la convoitise de certains vis-à-vis de ce pays, jadis dénommé la «Suisse du Moyen-Orient». Plus déconcertante était l’indifférence des Grands, voire leur complicité, car – disait Charles Hélou – ceux-ci ont beaucoup plus d’intérêts avec nos ennemis qu’avec nous-mêmes. Ces constatations, corroborées par la suite des événements – ceux que nous vivons l’heure actuelle –, relevaient alors de la prophétie. L’éclatement repoussé, le pays était mis à feu et à sang quelques années plus tard. Charles Hélou se démenait, par les écrits et les conférences, pour défendre la cause libanaise devant toute tribune qui s’offrait à lui. Mais au fond de lui-même, il redoutait l’épilogue désastreux, la fin du Liban telle que l’avaient conçue ses aînés. Quant les troupes syriennes envahirent le pays pour venir à «la rescousse des chrétiens», quelque temps après que le bataillon palestinien de la Saïka prosyrienne dévastait les villes chrétiennes de Damour, Saadiyate et Jiyeh, le président Hélou citait Montesquieu racontant comment l’Empire romain annexait les provinces : il dressait les unes contre les autres les populations qui, essoufflées, finissaient par demander l’aide de l’Empire romain. Aucun des événements qui ont précédé Taëf et qui laissaient croire à une lueur d’espoir n’a jamais convaincu Charles Hélou. Avant et, plus encore, après Taëf, le Liban dont il avait rêvé était, pour lui, fini. Son jugement était encore plus sombre, s’agissant du conflit israélo-arabe. Pour lui, il n’y aurait jamais de paix au Proche-Orient parce que, tout simplement, la Palestine objet du conflit est une terre sacrée pour chaque partie. Aujourd’hui, l’horizon est-il si noir ? Charles Hélou percevait à long terme d’éventuels changements dans le monde. Les grandes puissances referont sans doute leurs calculs stratégiques. Le Liban pourrait alors en tirer quelques bénéfices puisque, au bout du compte, il demeure le seul pays d’Orient à appliquer, tant bien que mal, la démocratie, et que son pluralisme est enrichissant. Sommes-nous à la veille de ce grand changement?


Il y a quatre ans nous quittait Charles Hélou. En observant le cours actuel des événements, reviennent à l’esprit plusieurs de ses réflexions, tant elles continuent à être d’actualité. Charles Hélou avait, en effet, cette rare faculté d’observation et d’analyse qui lui permettait de prévoir l’événement.
Il faut dire que l’homme qui a côtoyé Béchara el-Khoury, Riad...