Rechercher
Rechercher

Actualités

Tribune Une démocratie sous influence ou une démocratie de « l’à-peu-près »

Par le professeur Pascal Monin Responsable du Master en Information et Communication de l’USJ Il n’est pas exagéré de dire que les Libanais vivent dans un pays où, d’une part, le confessionnalisme est présent partout et profondément ancré dans les esprits, et d’autre part, où les aspects du féodalisme, du clanisme et les ingérences de toutes sortes l’éloignent de jour en jour, un peu plus, des règles élémentaires de la démocratie *. Cependant, la souffrance due à la pauvreté est la même partout, que ce soit au Kesrouan, à Tripoli ou à Baalbeck. De même, le goût de la liberté et le rejet de la corruption sont les mêmes à Achrafieh et à Sanayeh. De plus, l’émigration galopante, les problèmes politiques, économiques, sociaux et pédagogiques ne permettent pas de distinguer les maronites des sunnites, les druzes des orthodoxes, les catholiques des chiites. La réalité montre que la voix du Libanais, à ce jour, est une voix criant dans le désert, qui ne parvient pas à élargir l’espace de démocratie et à réduire les atteintes aux libertés. Cette régression constante de la démocratie dans notre pays est facile à observer et à relever. Ainsi, de nouveaux termes particulièrement significatifs de la situation présente ont été ajoutés au dictionnaire de la politique libanaise, à savoir « al-mahdala » (le rouleau compresseur ou le bulldozer), « al-bousta » (le bus) et aussi « al-khat al-watani » (la ligne nationale). De nouvelles expressions ont également vu le jour, comme « exceptionnellement et pour une seule fois » (expression qui a été utilisée à plusieurs reprises pour justifier les amendements successifs des lois électorales). Ainsi, l’amendement de la Constitution n’est plus une exception, mais quasiment une règle. De même, l’expression « la conjoncture régionale » est devenue le prétexte idéal pour faire avaliser n’importe quel amendement, entravant par le fait même l’alternance du pouvoir. Il y a une trentaine d’années, les députés remplissaient peut-être correctement, pour la plupart, leur rôle de représentants du peuple, mais aujourd’hui, une minorité accomplit réellement cette mission. À l’époque, certaines communautés revendiquaient leurs droits. En 2005, tous les Libanais se plaignent et des centaines de milliers ont émigré vers le Canada, l’Australie ou ailleurs... à la recherche d’une nouvelle patrie. Par voie de conséquence, il s’avère difficile et délicat de parler de démocratie représentative au Liban et de crise de la démocratie. Qu’en est-il donc de la pratique de la démocratie dans notre pays ? Faut-il parler de « démocratie sous influence » ou de « démocratie de l’à peu près » dans laquelle notre pays semble se figer depuis quelques années et dont semble s’accommoder fort bien une grande partie des responsables « élus ou nommés » ? Le discrédit semble affecter le monde politique en général et les hommes politiques en particulier. Les Libanais reprochent à ces derniers de ne plus réfléchir et de n’agir qu’en fonction de leurs intérêts particuliers ou de ceux des forces étrangères. Dans ces conditions, le fait d’évoquer depuis quelques mois les différentes échéances électorales, en particulier les prochaines élections législatives, déchaîne les passions et bloque même le pays à plus d’un niveau. Comme ce fut le cas depuis l’indépendance et surtout comme c’est systématiquement le cas chaque quatre ans depuis 1992, une nouvelle loi électorale est actuellement à l’étude ou en passe d’être « parachutée », pour reprendre les propres termes d’un ancien Premier ministre évoquant la loi du scrutin de l’an 2000 ! Les expériences passées et les premières idées débattues ou dévoilées sur ce plan ne rassurent pas les Libanais, soucieux de voir leur pays doté d’une loi moderne, démocratique, qui puisse assurer une réelle représentativité ainsi que l’élection de « législateurs » capables de replacer le pays sur les rails de la démocratie. Ce qui semble encore plus préoccupant c’est le retard mis dans l’élaboration de cette loi électorale. Tantôt on suggère de faire du Liban une circonscription unique, tantôt on évoque la grande circonscription ou la moyenne, ou encore le caza, la petite circonscription et la circonscription uninominale... Sans compter les idées portant sur la proportionnelle et le scrutin majoritaire... Il en résulte que les mécanismes d’un processus électoral rationnel et équitable tardent à naître et les dangers de falsifications et de fraudes augmentent. Dans ce contexte, il est utile et intéressant de revenir sur d’autres expériences, de les analyser et d’en tirer les conséquences sur le fonctionnement de la démocratie et sur les nouveaux contours de la démocratie électorale. C’est notre contribution – qui se veut scientifique et académique – au débat actuel dont le Liban est le théâtre. Ainsi, le professeur Pascal Perrineau écrivait dans l’avant-propos de son imposant Dictionnaire du vote : « La procédure électorale ne va pas de soi. La validité du principe a toujours été discutée. Les modalités de sa mise en œuvre ont suscité de grands débats, et la controverse opposant partisans du scrutin majoritaire aux défenseurs de la proportionnelle n’est que l’une des plus fameuses. » Le cas libanais est-il donc si particulier ? Force est de relever à ce propos qu’un assainissement du climat politique s’impose à tous niveaux, dans la perspective du scrutin du printemps prochain. Le pouvoir se doit de prendre des initiatives concrètes et d’assumer ses responsabilités à cet égard. C’est alors que l’on pourra considérer que l’échéance de mai 2005 marquera le retour à l’esprit démocratique dans la vie politique locale. Et ce, quels que soient les résultats qui apparaîtront dans les urnes... * Ce texte est extrait de l’intervention faite à l’occasion de la conférence sur « la communication électorale et la crise de la démocratie représentative », donnée le 7 janvier par le professeur Pascal Perrineau à l’USJ.
Par le professeur Pascal Monin
Responsable du Master en
Information et Communication de l’USJ

Il n’est pas exagéré de dire que les Libanais vivent dans un pays où, d’une part, le confessionnalisme est présent partout et profondément ancré dans les esprits, et d’autre part, où les aspects du féodalisme, du clanisme et les ingérences de toutes sortes l’éloignent de jour en...