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Actualités - CHRONOLOGIE

7e ART Jean Bitar: «success story» comme au… cinéma (photo)

Helsinki, d’Edgar Davidian Dans le parc central d’Helsinki, les bouleaux gigantesques sont décharnés sous la neige qui floconne. Les mouettes font leur ronde en silence au-dessus du port de la Baltique dans un ciel plombé. Au café Kappelli, planté dans ce ravissant décor hivernal de carte postale du nord, le parfum du café se confond à celui des délicieuses pâtisseries confectionnées pour un petit déjeuner au pouce. Élégance un peu viennoise avec la chaleur réconfortante du chauffage dans le froid glacial d’une matinée saisie encore par le verglas et le givre de la nuit. Rencontre avec Jean Bitar, le plus Finlandais des Libanais – il parle la langue avec une aisance parfaite –, installé depuis belle lurette au pays des lacs (on n’a finalement jamais pu les dénombrer exactement). «Success story», comme au cinéma, d’un homme qui dit que «la caméra est comparable à une personne qui a un journal et qui doit tout enregistrer». Tout en confessant, en catimini, qu’il préfère parfois être devant la caméra et non toujours derrière. Cinéaste, producteur et metteur en scène, Jean Bitar, avec plus de trente films entre courts et longs métrages (fiction, documentaires, reportages, dramatiques pour TV et comédies), est non seulement un pionnier, mais aussi une figure de proue dans le monde du cinéma finlandais. Tempes aux cheveux grisonnants, silhouette imposante avec sa lourde parka, regard bleu clair (on dirait qu’il était prédestiné pour avoir le regard de porcelaine des Nordiques), Jean Bitar, 58 ans, féru de Spielberg, Scorcese, Fellini et Antonioni, marié et père de deux enfants, n’a pas encore fini son histoire d’amour, impétueuse et passionnée, avec la caméra et la vie. Un vigilant regard témoin de son temps, plein de mansuétude, de compassion, de compréhension, de droiture et d’humanisme. «On a aimé mes films, confie Bitar, parce que j’ai réuni ma spontanéité, ma jovialité, ma passion pour la vie, la chaleur du soleil de ma libanité et la rigueur finlandaise. Le mélange de l’honnête, le respect des autres et la critique constructive conduisent toujours à de bons résultats. Dans les vraies démocraties, l’être a de la valeur.» «Amour sous les oliviers» Aucun des nombreux sujets traités par Jean Bitar, de la notion de la présence d’un étranger dans une nouvelle patrie (le film de fiction coécrit avec Léna Swanson, intitulé Un rêve nordique, a contribué à amender la loi pour une intégration plus juste ainsi que l’obtention de la nationalité finlandaise avec les félicitations des autorités locales), en passant par les problèmes de la jeunesse (violence, alcoolisme, chômage, racisme, skinhead, récession économique en 1990, parité du couple où la femme se virilise au détriment d’un mâle en mal de références), rien de cet œil impitoyable et analytique appelant à la réflexion n’a laissé indifférent le public de l’Europe septentrionale. C’est ainsi que s’est construite une carrière brillante avec, à chaque succès, un «push» vers l’avenir, en plus d’une confiance en soi confortée et le plaisir d’un travail consolidé. Flash-back pour retrouver, il y a plus de trente-cinq ans, cet enfant né à Beyrouth mais qui a fait ses études élémentaires à Tripoli chez les frères maristes. Ensuite ce seront les cinq années d’apprentissage de la production cinématographique à Moscou. Avec la guerre qui commence, le retour au bercail devenait problématique. Sa femme, une Finlandaise connue lors de son séjour moscovite, fera basculer la balance en faveur des pays nordiques que le cinéaste aimait secrètement depuis sa plus tendre enfance. Alors il se souvient, en riant, du conseil de l’un de ses professeurs, Kamarov: «Tu as étudié en Russie et tu vas affronter les pays capitalistes. Là bas, tu brilles ou tu flanches. Deux possibilités à entrevoir... Donc si tu es pressé et tu attends un taxi, que fais-tu ? Tu prends le premier taxi qui arrive car tu es sûr d’arriver, même si c’est lent…» Décision alors promptement prise. Et la Finlande fut un tremplin durable qui lui a donné sa nouvelle et définitive identité. Aujourd’hui il se souvient avec humour des premiers conseils prodigués par ses pairs. Tel le grand cinéaste Ake Lindmann, qui lui a dit: «Frappe à la porte et entre, et si on ne t’ouvre pas, enfonce la porte. N’aie jamais peur. Et c’est ce que j’ai fait », dit Jean Bitar en regardant, avec un sourire au passé par-delà la baie vitrée, le paysage du matin déjà totalement recouvert d’une hermine blanche. «Mes films ont toujours donné à réfléchir. Pour une vision positive des choses, tout en cravachant la réalité. Avec les films documentaires, poursuit-il, j’ai appris les êtres dans leur réalité. Maintenant je peux mieux diriger les acteurs pour les films de fiction. Je parle toujours des gens simples, ordinaires. Je leur donne la parole et ainsi la chance de s’exprimer. C’est eux qui représentent la vie. Ils en sont l’essence. Avec le film Je veux vivre, traitant de la quadriplégie du patient Tero Sand, les témoignages de reconnaissance étaient plus que touchants, terribles… Une caméra est sensible aux émotions de l’être qui remplit l’écran. La musique, quant à elle, je l’utilise avec modération, notamment dans les documentaires. Les images parlent d’elles-mêmes, avec suffisamment d’éloquence. Mais parfois la musique aide à mieux sentir…» Et le Liban est-il si loin? «Pas du tout, d’ailleurs, après quatorze ans d’absence, j’ai fait un film, sans parti pris, qui s’intitule Les blessures de la guerre. C’était en 1993. Je suis retourné et j’ai vu tous ces blessés et ces blessures… La guerre n’engendre que la destruction et les gens en subissent les conséquences. Mais pour moi, incorrigible optimiste qui croit ferme dans les énergies constructives, le Libanais est un phénix qui renaît de ses cendres. Le film a été vendu au Chili. Et, actuellement, je peaufine un film de fiction qui se déroulerait au Liban-Sud et dont le titre est Amour sous les oliviers. Je réunis là mes deux cultures, pour une vision plus belle et pacifique de la vie, donnant la priorité à la force de l’amour et à l’épanouissement de l’être; des notions que partout on a un peu tendance à oublier.»
Helsinki, d’Edgar Davidian

Dans le parc central d’Helsinki, les bouleaux gigantesques sont décharnés sous la neige qui floconne. Les mouettes font leur ronde en silence au-dessus du port de la Baltique dans un ciel plombé. Au café Kappelli, planté dans ce ravissant décor hivernal de carte postale du nord, le parfum du café se confond à celui des délicieuses...