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Actualités - REPORTAGE

Enquête - Le Liban est-il menacé par l’extrémisme musulman ? Entre les formations reconnues et les réseaux manipulés, une arme à multiples tranchants

Le Liban est-il réellement menacé par l’émergence d’un puissant courant islamiste ? À voir certains quartiers de la capitale, ou des grandes villes du Nord et du Sud, on serait tenté de le croire, surtout après quelques actions spectaculaires attribuées à des groupes extrémistes souvent inconnus du grand public, mais s’inscrivant dans la mouvance fondamentaliste. Pourtant, les formations traditionnellement islamistes opèrent actuellement un net virage vers la modération. Simple tactique ou évolution réelle ? Nous avons tenté de mener une enquête dans un milieu souvent fermé. Depuis quelque temps, les communiqués extrémistes inondent les rédactions, signés par des groupes, inconnus ou non, mais utilisant toujours un langage violent, comme s’il s’agissait avant tout d’effrayer la population. Ces groupes existent-ils ou ne sont-ils que la création de services de renseignements ou de parties diverses, essayant de jouer la carte de l’islamisme pour des objectifs bien précis et qui ne sont pas toujours avouables ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que la situation actuelle est particulièrement tendue et que le moindre incident peut dégénérer, tant les enjeux sont importants. Des mouvements sans assise populaire Selon les experts rencontrés, les courants islamistes sont nés au Liban au milieu des années soixante, mais ils n’ont jamais réussi à se doter d’une large assise populaire, tant la diversité et le mélange des religions et des confessions, qui se manifeste sur l’ensemble du territoire libanais, porte à l’ouverture, souvent en dépit de la volonté des divers protagonistes. Au départ, les salafistes, qui regroupent l’ensemble des courants intégristes, se sont développés en Égypte et en Arabie saoudite, après la révolution communiste en Afghanistan en 1979, grâce à un net encouragement de la part des Américains. Il s’agissait ainsi de faire face à la progression du communisme dans la région et aux régimes arabes hostiles à Camp David. Avec la révolution islamique en Iran et la fin du rôle du chah en tant que gendarme du Moyen-Orient, les Américains ont pressé les Israéliens de conclure des accords, avec l’Égypte notamment, et ont installé des bases militaires en Arabie saoudite, dans une tentative évidente de remplir le vide stratégique, causé par la perte de l’Iran. Ronald Reagan, alors président des États-Unis, avait même été jusqu’à qualifier publiquement les islamistes afghans de « héros de la libération ». Les mouvements salafistes ont donc proliféré dans l’ensemble du monde arabe. Sauf au Liban. Ce pays n’a pas « produit » beaucoup de ces combattants qu’on appelle les « Afghans arabes » et qui sont aujourd’hui pourchassés dans la plupart des pays de la région. L’aventure du Mouvement de l’unification islamique Il y a eu une première grande tentative de créer un véritable parti islamique, avec la formation du Mouvement de l’unification islamique (MUI) à Tripoli, sous l’impulsion du chef de l’Autorité palestinienne, alors chef de l’OLP, M.Yasser Arafat, installé dans la capitale du Liban-Nord et qui voulait utiliser cette formation pour lutter contre les soldats syriens. Le MUI a donné un nouvel élan à la Jamaa islamiya libanaise, étroitement liée aux Frères musulmans en Syrie et en Égypte. Et c’est ensemble que les deux formations se sont battues contre les troupes syriennes au Liban-Nord. C’est aussi ensemble qu’elles ont dû affronter la colère des Syriens, après le départ de Arafat et de ses combattants de Tripoli. Pour pouvoir survivre, les deux formations ont été contraintes de changer de ton et de comportement, même si l’idéologie est restée la même. L’évolution s’est poursuivie lentement mais sûrement, jusqu’à se transformer en volonté de s’intégrer dans le système politique libanais en 1992. Même évolution du côté du Hezbollah. Cette formation, née dans la foulée de la révolution islamique en Iran, est devenue plus ou moins tolérante, au fil des années, tenant un discours plus politique que fondamentaliste. Les salafistes libanais n’ont d’ailleurs pas envoyé des combattants mourir pour les grandes causes de l’islam, en Afghanistan et même en Bosnie. Excepté la mésaventure de l’ancien député membre de la Jamaa islamiya, M. Zouheir Obeidy, en Bosnie, peu de Libanais se sont battus pour l’islam en dehors de leurs frontières. « Une Charte islamique » reconnaissant le pluralisme Selon les spécialistes, les raisons de ce manque d’implication des mouvements salafistes libanais dans ce qu’on appelle, désormais, l’islamisme globalisé sont d’abord à chercher du côté de la nature même des musulmans libanais, portés à la modération grâce à la composition du pays. Ces mouvements, notamment la Jamaa islamiya, le MUI et le Hezbollah, côté chiite, ne se sont épanouis que dans les quartiers à coloration unique, où la misère favorise le durcissement religieux et l’isolement. Mais, lorsqu’ils ont voulu élargir leur assise populaire, ils ont été contraints de modifier leur stratégie. Le Hezbollah, aussi bien que la Jamaa islamiya et le MUI, ont banni de leurs discours la création d’un État islamique basé sur la Charia, même si un tel projet reste sans doute présent dans leur référence idéologique. Tous multiplient désormais les appels au respect de la diversité libanaise et à l’acceptation de l’autre. Au point qu’il y a quelques mois, la Jamaa islamiya a réuni près de six cents personnalités islamiques, dont des membres du MUI, du Rassemblement des ulémas musulmans etc, afin de discuter d’une sorte de « Charte islamique » dont les principaux points parlent de la reconnaissance de la pluralité au sein de la société libanaise. Cette charte a d’ailleurs été adoptée par les personnalités présentes et constitue la base de l’action actuelle de toutes ces personnalités. C’est incontestablement un grand changement dans la stratégie des formations islamiques, puisque à cette charte correspond aussi une évolution similaire au sein du Hezbollah. Si cette évolution est liée à la nature des musulmans libanais, penchant vers la modération, il faut aussi y voir l’influence du régime syrien, mais aussi la volonté de l’Arabie saoudite de combattre les extrémistes musulmans. Le régime saoudien aurait ainsi pressé le mufti Mohammed Rachid Kabbani de reprendre le contrôle des mouvements sunnites, quitte à y mettre le paquet, en commençant par imposer son influence, mosquée par mosquée, pour éviter tout débordement. Face à ce climat général, les cellules extrémistes ont été isolées et n’ont pas pu gagner du terrain au sein de la population. Au cours des dix dernières années, elles ont fait trois grandes tentatives : l’assassinat de cheikh Nizar Halabi en 1995, les événements de Denniyé et l’attaque contre le McDonald’s (on leur attribue aussi l’assassinat des juges à Saïda en 1999). Dans les trois cas, elles n’ont pas pu enrôler la population à leurs côtés, car même si elles bénéficient d’un certain capital de sympathie, de moins en moins de personnes sont prêtes à se sacrifier pour elles. Aujourd’hui, ces cellules n’existent plus, sur le plan opérationnel, qu’à Aïn el-Héloué et peut-être dans certains quartiers de Tripoli. Mais le procès des auteurs des événements de Denniyé traîne depuis quatre ans devant la Cour de justice et nul n’ose protester. Des réseaux manipulés par les services de renseignements Si l’on adopte ce raisonnement, d’où viennent alors les groupuscules dont on entend actuellement parler et qui multiplient les communiqués incendiaires et menaçants ? Les spécialistes font, à ce sujet, une distinction entre les formations islamistes, connues et structurées, qui aspirent actuellement à une certaine modération, et les réseaux fondamentalistes qui, eux, sont en général manipulés par les services de renseignements et par « l’islamisme globalisé ». Ces réseaux n’ont pas besoin d’une assise populaire, ni d’avoir un nombre important d’adhérents. Ce qui compte pour eux, c’est d’exister, afin de servir d’instruments à des politiques déterminées. Certains les utilisent pour des considérations purement locales, d’autres pour des raisons régionales et internationales. Pour les uns, il s’agit ainsi de se présenter, grâce à eux, comme le seul rempart de modération, dans une mer extrémiste. Pour d’autres, il s’agit de montrer que la force demeure indispensable, les menaces étant nombreuses sur la coexistence et la stabilité interne. Enfin, pour d’autres encore, il s’agit d’alimenter les peurs entre les différentes communautés pour maintenir une situation malsaine et, à la limite, justifier l’impossibilité d’une coexistence constructive et positive. Mais il y a aussi des considérations externes. Par exemple, à l’heure où les mouvements islamistes traditionnels lancent une campagne de boycott des produits américains, les réseaux attaquent un McDonald’s à Dora, faisant des blessés et des dégâts matériels, afin de discréditer la campagne. Selon certains spécialistes, les réseaux ne seraient donc qu’une arme à utiliser pour des considérations locales et internationales, mais une arme à multiples tranchants et qui peut se retourner contre ceux qui croient la contrôler. Toujours selon les spécialistes interrogés, il n’y a pas de menace extrémiste au Liban, mais celle des réseaux peut faire beaucoup de mal. Ceux qui croient les maîtriser sont-ils conscients de jouer avec le feu ? Scarlett HADDAD
Le Liban est-il réellement menacé par l’émergence d’un puissant courant islamiste ? À voir certains quartiers de la capitale, ou des grandes villes du Nord et du Sud, on serait tenté de le croire, surtout après quelques actions spectaculaires attribuées à des groupes extrémistes souvent inconnus du grand public, mais s’inscrivant dans la mouvance fondamentaliste....