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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Le Kurde errant

Ils sont une trentaine de millions ; musulmans sunnites mais non arabes, ils appartiennent au même groupe ethnique d’origine indo-européenne avec sa langue, sa culture et son histoire propres. Mais partout où ils vivent, les Kurdes n’ont ni le droit ni la possibilité de revendiquer une identité pleinement, entièrement, exclusivement kurde. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, et leur quête remonte au XVIIe siècle. Le rêve d’un État national paraissait même à portée de main à la fin de la Première Guerre mondiale qui vit l’effondrement de l’Empire ottoman. Mais les promesses britanniques et françaises ne furent jamais tenues ; le Kurdistan naturel s’éparpilla entre Turquie, Iran, Irak et Syrie, si bien que malgré des rébellions successives, la République de Mahabad reste à ce jour l’unique exemple d’entité souveraine kurde, un mini-État aussitôt né, aussitôt disparu. Il n’y a pas de Kurdes kurdes, c’est entendu. Doit-on dès lors parler, disons, de Kurdes turcs ; ou si l’on préfère de Turcs kurdes ? Surtout pas, ce serait là un véritable blasphème dans la république kemaliste où l’on vous assure que les 15 millions de Kurdes qu’elle abrite sont des citoyens à part entière jouissant de tous leurs droits. Et que ce serait pécher par discrimination que de leur accoler, telle une étoile jaune, un quelconque statut particulier : le résultat en est que même l’usage de leur langue maternelle est interdit aux Kurdes de Turquie. Pour se prémunir contre les risques de « contagion » à travers sa frontière sud, ce pays s’est arrogé en outre, depuis des années, un droit de surveillance et de poursuite dans le Kurdistan irakien largement autonome, lui. Racialement apparentés aux Aryens d’Iran, les Kurdes ne sont pas moins surveillés pour autant dans la république des ayatollahs, où la notion même d’autonomie est considérée comme contraire aux préceptes islamiques. Et il est renversant de constater que de tous les pays concernés par la question, c’est l’Irak républicain, celui du sanguinaire Saddam Hussein, qui est allé le plus loin dans la reconnaissance de la légitimité des aspirations kurdes à l’autonomie : reconnaissance le plus souvent théorique il est vrai, puisque les négociations étaient invariablement ponctuées d’affrontements militaires et même d’horribles atrocités, tel le gazage de la modeste bourgade de Halabja. Non moins surprenant est le fait que les Kurdes ne se sont jamais dotés d’une structure transnationale qui leur eut peut-être permis de s’affirmer avec plus de force et de cohésion. Et de mieux résister aux rivalités intestines comme aux manipulations dont ils n’ont jamais cessé d’être l’objet de la part des puissances, grandes et moins grandes. L’Iran impérial a pu ainsi jouer les Kurdes irakiens contre Bagdad, lequel ne s’est pas privé de lui rendre sa politesse ; et il aura suffi d’une poignée de main entre le Chah et Saddam Hussein pour que chacun abandonne à leur sort ses instruments d’outre-frontière. Les États-Unis et Israël ont activement soutenu, eux aussi, puis froidement lâché le leader kurde irakien Barzani. Plus récemment, l’assistance syrienne au PKK d’Oçalan a failli tourner au casus belli entre Ankara et Damas, qui a fini par se laver les mains du sort d’« Apo ». Gagnée de haute lutte, installée de facto depuis plus d’une décennie, reconnue aujourd’hui par la nouvelle Constitution, l’autonomie kurde d’Irak peut-elle être occultée à l’heure où le Nord-Est syrien est le théâtre, depuis plusieurs jours, de sanglants affrontements entre Kurdes et forces de l’ordre ? Et en fait de troubles, n’est-il pas au plus haut point troublant que ceux-ci surviennent à un moment où la Syrie, désormais tranquille sur sa frontière turque, est l’objet néanmoins de pressions US croissantes ? Pour plausible toutefois que soit la thèse des menées étrangères défendue par les officiels syriens, elle ne peut à son tour laisser confinées dans l’ombre certaines réalités. Car les sanglants incidents de Qamichli et Hassaké sont venus rappeler aux esprits la situation anormale d’un nombre considérable de Kurdes de Syrie privés de papiers d’identité : cela au lendemain de démonstrations publiques et pétitions de défenseurs des droits de l’homme réclamant la levée d’un état d’urgence plus que quadragénaire. Tout cela ne fait qu’aggraver le dilemme qui est aujourd’hui celui du jeune président Bachar el-Assad, adepte dit-on d’une libéralisation prudente et graduée du système syrien. Le temps n’est plus en effet à la répression impitoyable, surtout si elle ne s’accompagne pas d’une d’amorce sérieuse de changement ; et où irait la Syrie si le changement devait s’opérer sous la pression de la rue ? C’est bien quand les forums naturels de discussion font défaut qu’une fête foraine ou un match de football peuvent se transformer soudain en autant de champs d’affrontement. Pour prendre pied et se développer la subversion, aussi sophistiquée soit-elle, a besoin d’un terrain fertile. Et quels engrais plus puissants que le déni de droit et l’arbitraire ?

Ils sont une trentaine de millions ; musulmans sunnites mais non arabes, ils appartiennent au même groupe ethnique d’origine indo-européenne avec sa langue, sa culture et son histoire propres. Mais partout où ils vivent, les Kurdes n’ont ni le droit ni la possibilité de revendiquer une identité pleinement, entièrement, exclusivement kurde.
Ce n’est pas faute d’avoir...