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Actualités - OPINION

Perspective - Les opposants se positionnent en défenseurs de principes qui auraient dû être à la base de tout pouvoir éclairé Lorsque l’absurde débouche sur une inversion des rôles politiques

Le pays s’engage résolument, jour après jour, sur une voie manichéenne nouvelle. Aux passions confessionnelles fortement exacerbées durant les premières années de guerre s’est substitué lentement mais, semble-t-il, sûrement un clivage profond transcendant, pour la première fois, les communautés et portant sur des thèmes vitaux, à caractère national : les libertés publiques ; le rôle de l’appareil militaro-sécuritaire, aussi bien libanais que syrien ; la nature des relations avec la Syrie. Dans le programme commun qu’elle vient d’élaborer et qui devrait être rendu public aujourd’hui, l’opposition plurielle – dont la composition constitue un précédent en la matière, depuis le début de la crise libanaise – a défini clairement son attitude au sujet de ces différents dossiers. Et à l’autre bout du spectre politique, les hautes sphères du régime et les fidèles de Damas s’emploient à diaboliser systématiquement toute personnalité ou fraction qui adopterait à l’égard des thèmes en question une position non conforme aux vues des décideurs et de leurs alliés locaux. Un grand paradoxe marque cette guerre totale que se livrent les deux camps en présence : les rôles des différents acteurs de ce bras de fer paraissent curieusement inversés. Les frondeurs se positionnent en rassembleurs et en défenseurs des grandes valeurs qui devraient, sur le plan du principe, être à la base de tout pouvoir bien éclairé. Et dans le même temps, ceux qui sont censés, de par leurs charges officielles, sauvegarder l’indépendance du pays et favoriser la cohésion nationale font exactement le contraire : ils orchestrent des cabales contre les leaders locaux ou les pays qui prônent le recouvrement de la souveraineté nationale ; ils qualifient d’« ingérence » la volonté des puissances amies et de la communauté internationale de voir l’autorité centrale libanaise se soustraire (précisément) aux ingérences étrangères et reconquérir son autonomie de décision ; ils perçoivent, enfin, avec suspicion et hostilité l’émergence d’une action nationale commune dépassant les barrières confessionnelles. Il faut se replonger dans le paradoxe libanais, dans l’absurdité (à la limite du surréalisme) de la situation présente, pour voir de la sorte des responsables officiels et des services étatiques se mobiliser avec acharnement afin de contrer les revendications souverainistes et proclamer haut et fort leur allégeance indéfectible à un tuteur régional. Le ministre Albert Mansour souligne pour sa part qu’il vaudrait mieux « perdre avec la Syrie, plutôt que de gagner avec les États-Unis et la France ». Le peuple libanais n’est-il pas suffisamment mûr pour qu’un responsable officiel daigne un jour lui expliquer, de manière convaincante, en fonction de quelle logique le Liban doit-il bafouer son indépendance politique et sa dignité nationale, faire fi de sa longue tradition démocratique, court-circuiter ses institutions constitutionnelles, s’isoler sur la scène internationale, envenimer ses relations ancestrales avec des puissances amies, niveler toute sa vie publique par le bas, fausser la représentation de son tissu sociocommunautaire, pour en définitive ne tenir compte que d’un seul et unique paramètre : les impératifs de la raison d’État syrienne... Entretenir des rapports étroits avec la Syrie est une chose, limiter son horizon à Damas en est une autre. L’absurdité a eu aussi pour conséquence d’inverser également les rôles au sein même de l’équipe dirigeante : on a vu ainsi ces derniers jours les plus proches collaborateurs du chef de l’État mettre de l’huile sur le feu et se lancer dans des polémiques politiciennes fiévreuses tandis que le Premier ministre se plaçait, lui, au-dessus de la mêlée et tentait de jouer le rassembleur en prônant l’apaisement. En toute logique, c’est le contraire qui serait compréhensible : c’est au président de rester au-dessus de la mêlée et de tenir compte des positions des uns et des autres, alors que le chef du gouvernement, de par sa fonction, peut se permettre de croiser le fer avec les adversaires de la politique gouvernementale. Dans un tel contexte d’irrationalité poussée à l’extrême, les cercles proches de la Syrie parachèvent leurs manœuvres en pointant du doigt toux ceux qui appuient la 1559. Mais le suivisme aveugle de l’establishment en place apporte la preuve que d’une certaine façon, à travers la résolution onusienne, ce sont deux visions du Liban qui s’affrontent en réalité et qui se traduisent par cette inversion des rôles sur la scène politique : la vision d’un Liban fidèle à ses racines, à sa tradition, à son histoire, à ses spécificités sociocommunautaires ; et celle d’un pays totalement satellisé, phagocyté, façonné sur mesure pour servir une raison d’État qui lui est totalement étrangère. Michel TOUMA
Le pays s’engage résolument, jour après jour, sur une voie manichéenne nouvelle. Aux passions confessionnelles fortement exacerbées durant les premières années de guerre s’est substitué lentement mais, semble-t-il, sûrement un clivage profond transcendant, pour la première fois, les communautés et portant sur des thèmes vitaux, à caractère national : les libertés...