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Congrès - Un nouveau regard sur le partage des ressources hydrauliques L’eau, d’une cause de conflit à un objet de commerce

L’eau ne devrait pas être une source de conflits, elle peut, au contraire, se transformer en un facteur de coopération : tout est dans le regard qu’on lui porte. C’est ce raisonnement qui a prévalu lors de deux interventions de marque dans un congrès sur les « Défis hydropolitiques régionaux et la gestion durable des bassins fluviaux transfrontaliers », qui s’est tenu récemment à la NDU. Franklin Fisher, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), accompagné de Annette Huber-Lee de l’Université de Harvard, ont démontré qu’avec un outil d’analyse adéquat qui prenne en considération la valeur économique de l’eau plutôt que la seule notion de propriété due à la localisation géographique du bassin, il devient concevable que le partage des ressources hydrauliques ne doive pas mener au déclenchement de guerres et n’est pas une question de vie ou de mort. À son tour, Fadi Comair, directeur général des Ressources hydrauliques au ministère de l’Énergie, donne l’exemple de la coopération libano-syrienne dans la question du partage des eaux de l’Oronte et du Nahr el-Kabir. « L’eau est si importante que d’aucuns prédisent qu’elle sera une source de conflits à travers le globe, constate M. Fisher. Cela est possible si les ressources hydrauliques ne sont considérées qu’en termes de quantités, puisque l’eau utilisée par les uns devient nécessairement inaccessible aux autres. Mais il y a d’autres raisonnements à tenir à propos de l’eau, qui conduiraient à des solutions pacifiques et à une gestion optimale des ressources. Ces raisonnements consistent à penser à l’eau en termes de valeur économique, et à montrer qu’elle peut être échangée contre quelque chose d’autre. » M. Fisher cite un économiste de l’Université de Tel-Aviv aujourd’hui décédé, Gideon Fishelson, dont le raisonnement à propos du coût de l’eau provenant de l’aquifère de la montagne en Cisjordanie, que se disputent Israéliens et Palestiniens, montre, par comparaison au dessalement de l’eau de la côte, qu’il n’est pas assez important pour justifier des conflits entre les deux peuples. Ces remarques ont mené à la création du Water Economics Project (WEP), né des efforts d’experts palestiniens, israéliens, américains, hollandais et jordaniens. Le WEP donne d’une part un modèle d’analyse des systèmes hydrauliques pouvant être utilisé pour la mise en place de politiques en matière d’eau. D’autre part, le WEP facilite les négociations internationales autour de l’eau, puisque celle-ci devient potentiellement un objet de commerce. Mais, surtout, le WEP démontre, selon M. Fisher, que la coopération au niveau des ressources présente des avantages aux deux parties, bien supérieurs à ceux qui résultent de la seule prise en considération de la quantité d’eau allouée à tel ou tel autre pays. Admettant que ce raisonnement peut paraître surprenant, l’expert explique que « l’eau est une ressource rare, mais son importance pour la survie humaine ne rend pas son allocation trop importante pour être examinée rationnellement ». D’où l’intérêt d’un tel raisonnement dans la résolution de conflits. M. Fisher commence par distinguer clairement entre la propriété des ressources hydrauliques selon leur localisation géographique d’une part, et l’utilisation de l’eau d’autre part. Si celle-ci a un prix, elle peut être achetée par ceux qui en ont besoin. La propriété des ressources détermine donc quelle partie reçoit l’équivalent en argent de l’eau utilisée par l’autre, toujours selon lui. Cela mène à penser que le conflit sur la propriété de l’eau peut être traduit en une discussion sur l’équivalent économique de cette ressource. Or, poursuit l’expert, si l’on considère la possibilité du dessalement de l’eau de mer (au coût encore élevé) et qu’on le compare au budget nécessaire à l’achat de l’eau potable, il apparaît que les sommes en jeu sont triviales en termes d’échanges entre les pays, d’où le fait qu’ « il n’est pas justifiable de faire la guerre pour entrer en possession de ressources hydrauliques ». À ce sujet, M. Fisher donne l’exemple des tensions entre Israël et la Syrie autour de l’eau du Golan, et entre l’État hébreu et le Liban sur le Hasbani, confluent du Jourdain, montrant que la perte de ces ressources serait insignifiante en matière de budget pour les autorités israéliennes, en comparaison avec le PIB de ce pays (100 milliards de dollars par an) ou l’argent déboursé sur les avions de guerre. Accords sur l’Oronte et Nahr el-Kabir Dans tous les cas, la coopération en matière de partage des ressources peut représenter un avantage considérable pour les deux parties. M. Comair s’est étendu sur les négociations et les accords entre le Liban et la Syrie concernant l’Oronte et le Nahr el-Kabir, qui sont deux des trois bassins transfrontaliers sur le territoire libanais. M. Comair précise que les accords entre les deux pays ont respecté les règles énoncées dans la Convention des Nations unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, qui date de 1997 et qui n’est pas encore entrée en vigueur, notamment les principes d’équité, de respect du droit des deux parties et l’obligation de régler les conflits à l’amiable. Les négociations sur l’Oronte ont débuté vers la fin des années 1940. Le fleuve prend sa source au nord de la ville de Baalbeck, avant de traverser le territoire syrien pour finir dans la région d’Alexandrette en Turquie et se déverser dans la Méditerranée. Son débit annuel est généralement supérieur à 400 millions de mètres cubes et, dans ce cas, le Liban est en mesure d’en utiliser 80 millions, selon l’accord signé avec la Syrie en 1994. Ce chiffre comprend les 16 millions de mètres cubes prélevés à partir de puits ou des différentes sources qui en découlent. Ce quota décroît durant les années de sécheresse. Du côté libanais, des barrages devraient être construits au niveau des sources de Aïn Zarka et Daffache, ainsi que près du pont du Hermel, pour permettre l’irrigation de 6 600 hectares de terrains. Le Nahr el-Kabir constitue le tracé de la frontière nord libano-syrienne et a un débit annuel de 150 millions de mètres cubes. Le 11 juin 2002, un décret a été promulgué pour le transfert d’un projet de loi au Parlement, permettant au gouvernement de signer un traité avec la Syrie pour un partage des eaux du fleuve et la construction d’un barrage commun au niveau de Idlin-Noura al-Tahta. Le partage se fait sur une base de 60 % pour la Syrie et 40 % pour le Liban. Tout pays n’utilisant pas l’intégralité de son quota durant l’année ne pourra se rattraper l’année suivante. Le barrage de Idlin-Noura al-Tahta permettra de stocker quelque 70 millions de mètres cubes par an, dont environ 35 millions seront disponibles au Liban. Cette eau servira à l’irrigation dans les deux pays, ainsi qu’à l’approvisionnement en eau potable. Le barrage, qui devrait coûter 49 millions de dollars selon les premières estimations, sera situé à la frontière, au nord-est de Tripoli, à une altitude de 82 mètres. Son eau pourrait à l’avenir irriguer près de 5 000 hectares, principalement au Akkar. L’appel d’offres international pour la conception du barrage a été lancé, en coordination avec Damas, à partir du 2 décembre 2003. Selon M. Comair, plusieurs leçons peuvent être tirées de cet exemple de coopération entre deux pays au sujet de l’eau, notamment que des négociations précoces éliminent le risque de tensions. Il a également remarqué que les conventions internationales, une fois mises en place, deviennent incontournables, même pour des pays riverains en conflit. Par ailleurs, plus que le risque de conflit armé, c’est la réduction de la quantité et de la qualité de l’eau qui constitue le danger le plus imminent. Par ailleurs, M. Comair a souligné la nécessité de créer des institutions qui identifient clairement les mécanismes d’allocation de l’eau.
L’eau ne devrait pas être une source de conflits, elle peut, au contraire, se transformer en un facteur de coopération : tout est dans le regard qu’on lui porte. C’est ce raisonnement qui a prévalu lors de deux interventions de marque dans un congrès sur les « Défis hydropolitiques régionaux et la gestion durable des bassins fluviaux transfrontaliers », qui s’est tenu...