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Malgré les dénégations, la portée intérieure du message reste évidente

L’État libanais a « suivi » (ou précédé ?) la giga-manif qu’il a lui-même baptisée « du million ». Il a mobilisé à cet effet tout son potentiel, administratif, sécuritaire et informationnel. Ainsi, pour une fois, Télé-Liban a pu disposer d’hélicoptères pour des vues aériennes exclusives. Mais les organisateurs n’ont pas prêté attention à un détail qui peut faire effet boomerang : sur cent portraits du président syrien on ne brandissait qu’un seul du président libanais. Cela fait un peu désordre quand on prétend clamer au monde que le Liban est bien indépendant et qu’il ne faut pas s’ingérer dans ses souveraines affaires intérieures. Dans le même sens, le slogan principal, avancé avant même l’appui à la Résistance libanaise, était la loyauté à l’égard de la Syrie. Pour compenser et pour éviter des rivalités et des heurts, il n’y a pas eu d’autres emblèmes que le drapeau libanais. Les calicots, comme les slogans entonnés par la foule derrière les souffleurs, descendaient la 1559 en flèche. Dénonçant la collusion israélo-américaine ainsi que « l’inexplicable, l’étrange » position française. Et mettant en garde, en contradiction avec le thème de l’unité nationale largement développé, les Libanais qui ne veulent pas voir dans la tutelle syrienne une œuvre de bienfaisance. En leur mettant sous le nez la puissance du nombre. L’essentiel, répétons-le, c’est que le pouvoir a voulu parrainer, manifestement, la manifestation pour confirmer l’option du jumelage, contre vents et marées. Au nom d’une commune destinée et de la gratitude due à la Syrie. L’opposition s’étonne que l’État monopolise ses services au service, justement, de manifestants de rue, dont il a facilité les déplacements, et l’organisation, par diverses sortes de mesures. Alors que lorsque quelques petits milliers de marcheurs indépendantistes veulent descendre du Chouf à Beyrouth, ils trouvent toutes les issues bloquées... quand ils ne sont pas matraqués. Usant d’un euphémisme, un député opposant juge donc que l’État fait montre de partialité flagrante, d’irrespect à l’égard du principe d’égalité entre les citoyens, comme de neutralité officielle. Pour l’opposition, il est clair que le pouvoir a voulu transposer le conflit politique au niveau de la rue. Ce qui constitue à ses yeux une sorte d’usurpation de rôle, sinon d’imposture. Dans ce sens que c’est la contestation qui a le droit de s’exprimer, quand elle a des revendications. Alors que le pouvoir n’a rien à se demander à lui-même, pour manifester. Ces considérations, plutôt subtiles, comptent sans doute moins que le reproche, lancé aux dirigeants, de rompre les ponts et de ne plus rechercher le dialogue, si jamais ils l’ont fait. Ils ne veulent plus parler, mais faire étalage de force, ajoutent les opposants. Pour qui cependant la popularité dont se targuent les officiels est de toute évidence aussi télécommandée, donc fausse, que les décisions qu’ils prennent (sous la dictée). Les opposants soulignent que l’État, de par ses obligations, est le dernier à pouvoir s’autoriser de sortir le différend de son cadre purement politique pour agiter la rue. Avec les dangers que cela comporte, à terme. Les mêmes sources soulignent que contrairement à ce que le pouvoir tente de faire croire, les Libanais (y compris les manifestants d’hier, selon eux) ne sont pas divisés au sujet de la relation avec la Syrie, qu’ils veulent tous fraternelle, mais assainie, sans abus ni empiètements. Un rapport privilégié, d’État à État, sans sujétion. Ce qui signifie que les Libanais, dans leur ensemble, ne peuvent renier Taëf, pacte national fondateur de la paix civile. Ni ce qu’il édicte au sujet de la présence militaire syrienne. Pour les mêmes pôles, les orateurs et les organisateurs, qui ont mis l’accent sur le fait que la manifestation n’est dirigée que contre l’extérieur, ne peuvent tromper leur monde. Car de la manière dont les choses ont été préparées et se sont déroulées, il est clair qu’elles ont un objectif essentiellement intérieur. En effet, s’il est vrai qu’il y a un message ouvert au Conseil de sécurité, à l’Amérique et à la France au sujet de la 1559, il est douteux qu’il soit pris en compte, « million » ou pas. Surtout quand, publiquement, les orateurs ont eux-mêmes la maladresse d’évoquer le fameux « remote control », pour en nier la flagrante existence. Donc, la carte postale envoyée au loin a moins de sens, en pratique, que la missive adressée aux parties libanaises réfractaires. On leur fait savoir qu’au printemps, ces législatives qu’Omar Karamé qualifie d’avance de « référendum » vont les laminer. Car le camp loyaliste jugule ses multiples clivages internes, pour mieux balayer l’opposition, sous la férule des décideurs. L’avertissement est à peine voilé. Il fait monter la tension sur la scène politique locale. Abyssus abyssum invocat : tout comme l’abîme appelle l’abîme, le radicalisme provoque l’extrémisme en face. Le défi, lancé à l’opposition autant qu’aux grandes puissances, va sans doute faire beaucoup monter la pression durant les quelques mois qui nous séparent des élections. Échéance qui par elle-même déjà favorise les conflits et les querelles dont ce pays, économiquement exsangue, n’a que faire. Dans un tel climat, même les tièdes se voient obligés de choisir leur camp. Les modérateurs, les médiateurs, se font automatiquement rares et le verbe peut s’enflammer en incendiant les dangereuses sensibilités de la rue. L’opposition se dit consciente de ce péril et affirme qu’elle ne va pas se laisser piéger par des provocations. D’autant qu’à son avis, le pouvoir a commis une bourde énorme en dévoilant aux yeux de la légalité internationale sa vraie position (de rejet total) de la résolution 1559. On sait en effet que le Liban officiel a fait mine jusqu’à présent d’accepter en tant que tel le verdict de l’Onu, tout en protestant qu’avant d’appliquer la 1559, il faudrait appliquer la 242 et la 338. Aujourd’hui, il refuse ouvertement la 1559, à travers une giga-manif à laquelle il donne lui-même le label de « nationale ». On peut douter que les Occidentaux l’applaudissent pour cet exploit. Et, toujours selon les opposants, le pouvoir, pour l’ivresse d’un moment d’exaltation, risque de payer un prix exorbitant. Voire d’aller droit dans le mur. Tandis que la Syrie, à laquelle il a fait ce royal cadeau, ne bouge pas. Et surtout, ne bouge ni sa rue ni le front du Golan. De plus, selon une source ministérielle, il n’est pas exclu, pour bien répondre à l’invitation libanaise de rester ici, que Damas décide brusquement de retirer le gros de ses troupes, pour n’en garder que quelques minces bataillons, dans la Békaa. Selon cet observateur, la Syrie souhaiterait en effet jouer un rôle dans la reprise du processus de paix dans la région. Et lâcher du lest. Au moment où le pouvoir libanais se braque et va dans le sens tout à fait opposé. Philippe ABI-AKL
L’État libanais a « suivi » (ou précédé ?) la giga-manif qu’il a lui-même baptisée « du million ». Il a mobilisé à cet effet tout son potentiel, administratif, sécuritaire et informationnel. Ainsi, pour une fois, Télé-Liban a pu disposer d’hélicoptères pour des vues aériennes exclusives. Mais les organisateurs n’ont pas prêté attention à un détail qui peut...