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Actualités - OPINION

ÉCLaIRAGE Un « million » anorexique... et l’État s’englue dans son propre piège

Quatre-vingt mille ? Cent mille ? Cent vingt mille ? Deux cent mille ? Peu importe le chiffre, le résultat est le même. Décidée, organisée, téléguidée, accompagnée par le pouvoir libanais et son tuteur syrien pour dire non à la 1559 et oui à la fusionnelle concomitance des deux volets ; annoncée avec force tambours et trompettes comme étant celle du « million » par un Omar Karamé sous influences et à qui, décidément, le Sérail ne porte pas bonheur, l’une des manifestations les plus fournies de l’histoire du Liban s’est transformée hier en fin de compte en un sérieux revers pour l’État, qui paye ainsi bien cher son avidité, son manque total de bon sens et son impérial mépris de la dignité des Libanais, « quelle que soit la communauté à laquelle ils appartiennent ». Puisque, selon une source militaire, le nombre des manifestants – préalablement dotés de sandwiches, canettes de soda et autres menues monnaies – a oscillé entre cent et cent vingt mille. « Triste, monolithique et sans âme », a dit Walid Joumblatt en parlant du « million ». Et ce baroud d’honneur annoncé n’a effectivement été qu’un désolant pétard mouillé. Un bâtonnet qui a tout de même réussi à dynamiter la main tendue à tous par Émile Lahoud au lendemain de la prorogation, imposée outre-Masnaa, de son mandat et à faire exploser les intentions politiques claironnées par un gouvernement Karamé très prompt, à peine né, à promettre la construction de ponts entre tous les Libanais ; un bâtonnet qui a fini de révéler l’inanité et l’hypocrisie d’une déclaration ministérielle prétendument soucieuse de respecter la légalité internationale, tout en creusant encore davantage – mais jusqu’où iront-ils ? – le fossé entre les différentes forces politiques libanaises. Destiné à asséner à l’opposition libanaise la vanité de son combat et à la communauté internationale l’illégitimité de sa décision, le mini-« million » d’hier n’aura réussi qu’à rassurer et stimuler la première, et à conforter la seconde dans ses intuitions, aussi calculées soient-elles. En mettant en images et en sons la taylorisation mécanique de dizaines de milliers de marionnettes, moins de deux semaines après la spontanéité d’une jeunesse contestataire que les autorités avaient à moitié ligotée, mais que la population avait tenu à arroser de riz, l’État en fin de règne s’est englué dans le piège qu’il avait doucement voulu tendre aux autres. Des images ahurissantes de centaines de drapeaux libanais carrément usurpés, brandis sur la place des Martyrs de l’indépendance (elle aussi réellement usurpée), pour faire véritablement acte d’allégeance à la Syrie. Et pourquoi irait-on se plaindre – même si cela est tout à fait légitime – d’avoir dû écarquiller les yeux et se tordre presque le cou pour essayer d’apercevoir une moitié de portrait d’Émile Lahoud au milieu d’une marée de posters à l’effigie de Bachar el-Assad, puisque le principal intéressé lui-même, le chef de l’État, ne semble avoir rien à en redire ? Quant aux sons, c’étaient les mots de tous ceux à qui l’on avait demandé de rameuter puis de discourir. Des hommes – à commencer par un Nasser Kandil qui a réussi le singulier exploit de transcender sa propre caricature au point d’en faire une véritable raison d’être – qui, dans leur écrasante majorité, n’existent que grâce au bon plaisir de la Syrie. Des hommes qui ne scieraient pour rien au monde la branche sur laquelle ils sont très confortablement assis et qui ne se rendent même pas compte qu’elle vacille, de plus en plus inéluctablement. Sauf, peut-être, le Hezbollah, une des principales cibles, pourtant, de la 1559, qui a décidé, après avoir prouvé, dans le passé, sa capacité à déplacer des marées d’hommes et de femmes, à ne rameuter que quelque cinquante ou soixante mille âmes. Ce référendum souhaité, exigé par le tuteur syrien persuadé d’y trouver un moyen de renforcer ses désormais rachitiques atouts négociatoires, ce « million » anticonstitutionnel qui n’aurait jamais dû avoir lieu et auquel n’ont participé que 5 ministres et 22 députés, a clairement échoué (Karim Pakradouni, qui a toujours su flairer la direction du vent, était aux abonnés absents hier), entraînant dans sa débâcle le gouvernement Karamé, invité par Samir Frangié et Farès Souhaid à démissionner sur-le-champ. Chose qu’il ne fera évidemment pas. De même que ce gouvernement ne répondra jamais, fût-elle posée en plein hémicycle par le député du Chouf en personne, à cette essentielle, cette nécessaire question lancée hier par Walid Joumblatt, comme en écho aux interrogations muettes et quotidiennes de la quasi-totalité des Libanais. « Pourquoi donner une couleur uniforme du Liban, comme quoi le Liban est seulement le Liban musulman, un Liban de cheikhs et d’ulémas. Pourquoi n’y a-t-il pas eu une voix chrétienne, une voix libanaise modérée, des druzes ? C’est très bizarre... » Il est des sonneries de glas bien moins tonitruantes que celle qui a résonné hier place des Martyrs de l’indépendance. Ziyad MAKHOUL
Quatre-vingt mille ? Cent mille ? Cent vingt mille ? Deux cent mille ? Peu importe le chiffre, le résultat est le même.
Décidée, organisée, téléguidée, accompagnée par le pouvoir libanais et son tuteur syrien pour dire non à la 1559 et oui à la fusionnelle concomitance des deux volets ; annoncée avec force tambours et trompettes comme étant celle du « million » par un...