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Actualités

Chèque en bois

On ne les chicanera pas, allez, sur leur fameux million de manifestants dont ils n’ont finalement aligné que moins du quart, malgré une météo des plus clémentes, malgré la mobilisation étatique effrénée qu’a nécessitée la démonstration d’hier, malgré une savante logistique qui a dû engloutir, elle, pas mal de millions. On ne s’étonnera pas trop non plus qu’en cette journée qui se voulait massivement libanaise – celle d’un non quasi unanime à la résolution 1559 de l’Onu – les foules aient promené dix, vingt, cent fois plus de portraits de Bachar el-Assad que de son protégé « prorogé », le président Émile Lahoud. Fidélité à la Syrie était après tout le maître slogan : et fidélité il y avait à en revendre, en effet. Tous ceux qui se sont retrouvés dans la rue n’étaient pas, bien sûr, des citoyens manipulés, embrigadés, intimidés ou remerciés pour leur peine comme pouvait très bien le suggérer l’allégeance notoire, déclarée, fervente, enthousiaste à la Syrie qui est celle des organisateurs. Sans parler du renfort de journaliers non libanais arrachés d’autorité à leurs chantiers, il n’est pas moins évident toutefois que la plupart des forces qui ont fait étalage de muscles hier ne doivent la place démesurée qu’elles occupent aujourd’hui sur l’échiquier qu’aux faveurs de la même Syrie. On n’en retiendra pour preuve que la présence obligatoire, systématique, au sein de tout gouvernement libanais, de partis prônant la dilution du Liban dans un ensemble arabe ou pansyrien, alors qu’en est obstinément exclue toute forme de nationalisme libanais. Cela dit, tout Libanais est parfaitement en droit d’avoir ses opinions ; et de les formuler, comme l’ont bruyamment fait les manifestants d’hier, comme le veut la démocratie. Mais là où la démocratie se perd, et avec elle le droit – celui des gens comme celui de l’État lui-même, pour peu qu’il se considère comme tel –, c’est quand cette liberté de s’exprimer, par la voix et par les pieds, est octroyée aux uns (avec, de surcroît, les encouragements du jury) et déniée aux autres : tous ces autres qui, sans forcément brandir la 1559 et sans en méconnaître les risques et aléas potentiels, n’en croient pas moins que c’est l’ingérence qui, inévitablement, appelle d’autres ingérences. Et qu’il faut tout de même un sacré culot pour s’offusquer d’immixtions internationales dans nos affaires « intérieures » quand tout – intérieur, extérieur et le reste – est cédé en concession exclusive au voisin et allié syrien. Loin de toute compétition de foules, car ce jeu est outrageusement vicié à la base, ces Libanais-là déplorent que Damas n’ait pas su – ou pas voulu – instaurer avec Beyrouth une alliance réelle et profonde remportant l’adhésion des peuples et non seulement celle de gouvernements soumis. Ce qu’ils réclament dès lors, c’est un assainissement en profondeur des rapports syro-libanais, dans l’intérêt bien compris des deux parties : entreprise commençant par une stricte et honnête application des accords de Taëf, lesquels, malgré leurs énormes failles, n’ont jamais constitué, que l’on sache, un blanc-seing délivré à Damas pour y désigner présidents, ministres, députés et hauts fonctionnaires, ou pour y enraciner ses troupes. Que le régime, maintenu en place dans les circonstances que l’on sait, en vienne à organiser des manifestations, à racoler des manifestants n’est pas signe de vigueur, mais au contraire de faiblesse : ce n’est pas en singeant en effet les dictatures, les démocraties dites populaires de l’ex-rideau de fer que le pouvoir peut espérer améliorer une image de marque sanctionnée par le Conseil de sécurité de l’Onu. Là n’est pas le plus grave, hélas. Car ce sont les fondements mêmes du Pacte national de 1943 – ni protection étrangère pour les uns ni intégration des autres à la Syrie – que menacent bel et bien la dérive étatique ainsi que ces serments d’allégeance que l’on a pu entendre haut et clair hier, et dont le Liban aurait dû être le premier bénéficiaire, sinon le seul. À la morne kermesse de la place des Martyrs, c’est tout le Liban néanmoins – celui d’Émile Lahoud et de l’armée de Lahoud bien sûr, mais aussi du patriarche Sfeir (?) – que le maître de cérémonies, dans ses transes oratoires et avec force vibrato, s’est cru en mesure de virer prestement à un compte off-shore. Serait-ce le fait d’avoir impunément survécu à cette affaire de diplômes contrefaits que traîne derrière lui le personnage ? Il y en a qui, en matière de ridicule comme de chèques sans provision, ont décidément toutes les audaces. Issa GORAIEB
On ne les chicanera pas, allez, sur leur fameux million de manifestants dont ils n’ont finalement aligné que moins du quart, malgré une météo des plus clémentes, malgré la mobilisation étatique effrénée qu’a nécessitée la démonstration d’hier, malgré une savante logistique qui a dû engloutir, elle, pas mal de millions.
On ne s’étonnera pas trop non plus qu’en...