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Actualités - OPINION

La « giga-manif », un coup de semonce à l’opposition antisyrienne Un test qui semble annoncer la couleur pour les législatives du printemps

L’état de la rue, aujourd’hui (et sauf improbable contrordre), c’est que l’État y est ! Il y descend en effet, sans même mettre de masque. En masse et en force. Pour riposter, au centuple, aux manifestations indépendantistes des jeunes. Pour « remettre à sa place » l’opposition. Et pour plébisciter, en même temps que la prorogation du mandat Lahoud, la « ligne nationale » fidèle aux « options stratégiques ». Des décideurs. Qui ont donc résolu de contrer la 1559. Selon la double formule du président du Conseil, Omar Karamé, la manifestation « du million » doit prendre, comme les prochaines législatives, valeur de référendum en faveur du pouvoir. Autrement dit, la démonstration de ce mardi 30 annonce la couleur pour les élections d’avril-mai. À savoir que la majorité qui se range aux côtés du jumelage devrait être plus écrasante que jamais. Des députés qui pensent être du bon côté du manche soutiennent ainsi que cette journée « décisive » constitue un serment de loyauté indéfectible à l’égard de la Syrie. De soutien inconditionnel face aux pressions « abusives, intolérables » qu’elle subit de la part de l’Occident, USA en tête. Qui réclament, pardon, qui exigent le retrait rapproché des forces syriennes de ce pays sous tutelle. Ainsi que la neutralisation du Hezbollah en tant que formation armée, ainsi que des camps palestiniens, via le déploiement de l’armée nationale dans la zone frontalière du Sud. Pour faciliter l’organisation de la giga-manif, pour permettre aux convois de bus venant de province de pénétrer sans encombre dans le ventre mou de la capitale, l’État interdit le trafic en ville. Ce qui lui permet de faire d’une pierre coup double, en imposant une grève, une fermeture de fait, du moins à partir de midi. Ce qui constitue sinon une première du moins un événement peu commun, à la limite insolite. Le camp loyaliste veut de la sorte adresser un coup de semonce à l’opposition locale. Mais aussi un message « dur » à Washington et à Paris, coauteurs de la 1559. Ainsi qu’au Conseil de sécurité de l’Onu, sans compter l’Union européenne. Pour dire que les forces syriennes ne quitteraient qu’en cas de solution globale dans la région. Comme pour montrer que la prorogation du mandat Lahoud est soutenue par la très forte majorité des Libanais. De ce peuple « souverain » qui peut interpréter sa propre Constitution comme il l’entend. Et qui considère donc que toute remarque à ce sujet constitue une ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures. Moins d’une semaine après le début de la deuxième tranche présidentielle, le signal est donc clair. Bien que sur ce point précis il tombe un peu à plat. Dans ce sens que, jusqu’à présent, les parties internationales autant que locales tolèrent en pratique la prorogation comme étant un fait accompli. En effet, nul État n’a rompu, à la suite de cet exploit, ses relations diplomatiques avec le Liban. Et, sur place, nul député opposant n’a démissionné. La question n’a en effet qu’un intérêt tout à fait local. Dehors, ce que l’on voit, surtout, c’est que le fameux « remote control » reste agissant, malgré la 1559. D’ailleurs Washington n’en a jamais douté : avant son départ, Richard Armitage, numéro deux sortant du département d’État, avait déjà déclaré que le présent cabinet Karamé avait été formé à Damas bien plus qu’à Beyrouth. Mais la confirmation de la mainmise par le truchement de la rue représente un cran supplémentaire dans le défi lancé aux Américains, aux Français, à l’Europe et à la légalité internationale. Mais pourquoi les Libanais acceptent-ils de jouer les fers de lance, alors que les Syriens restent en réserve ? Parce que, répondent en substance les loyalistes, et notamment Berry, « nous devons beaucoup plus à la Syrie qu’elle ne nous doit. Elle a constamment aidé la légalité libanaise à se tenir sur ses pieds. De plus, nous avons effectivement toujours besoin de son concours sécuritaire et militaire ». Certains ajoutent que l’un des buts de la manifestation d’aujourd’hui est de montrer que la majorité étriquée obtenue par le pouvoir à la Chambre, lors du vote de confiance, ne traduit pas la réalité en termes de volonté populaire. L’opposition réplique en fustigeant le recours du pouvoir non seulement à la rue mais à la manipulation facile de masses sous étroit contrôle. Les opposants font valoir qu’il est normal et logique que la contestation exprime ses revendications ou ses doléances par des grèves, des sit-in ou des marches. Mais que l’on ne voit pas ce que le pouvoir peut bien réclamer du pouvoir, pour qu’il descende dans la rue. À leur avis, quand il y a clivage ou conflit entre des parties, l’État est censé rester neutre, impartial. Ou alors jouer les médiateurs de bonne volonté. Il ne peut pas, il ne doit pas, comme c’est le cas présentement, être juge et partie. Ils ajoutent que Karamé se contredit : il a formé son gouvernement en base d’un engagement de politique d’ouverture et de dialogue avec toutes les composantes du paysage politique libanais. Et le voilà qui prend et fait et cause pour les manifestants, lancés contre cette 1559 qu’officiellement il n’a pas désavouée. Partant de ce parti pris manifeste du gouvernement, les opposants affirment qu’il se trouve ipso facto disqualifié pour organiser les prochaines élections législatives. D’autant que la plupart des ministres sont candidats à la députation. D’autre part, les opposants déplorent qu’en s’engageant, le Hezbollah implique dans les dédales politiciens le concept même de résistance qu’il incarne et qui fait l’objet d’un consensus national. Pour eux, la démarche explicative du Hezb auprès de Bkerké ne suffit pas à gommer la dérive. En pratique cependant, il est évident que le Hezb ne peut pas se dérober quand il s’agit de se tenir aux côtés de la Syrie qui l’a toujours soutenu. Sur le plan global, répétons-le, la manifestation d’aujourd’hui, vue et commentée par les chancelleries, va prouver aux Occidentaux que la sujétion libanaise se poursuit. Bien plus qu’elle ne va signifier à leurs yeux que le peuple libanais est résolument, librement, engagé dans le jumelage. Philippe ABI-AKL

L’état de la rue, aujourd’hui (et sauf improbable contrordre), c’est que l’État y est ! Il y descend en effet, sans même mettre de masque. En masse et en force. Pour riposter, au centuple, aux manifestations indépendantistes des jeunes. Pour « remettre à sa place » l’opposition. Et pour plébisciter, en même temps que la prorogation du mandat Lahoud, la « ligne...