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Actualités - OPINION

OPINION Se complaire dans la peur pour sauver son équilibre

Je viens de rentrer d’un congrès du Lacanian Clinical Forum qui s’est tenu à Stockbridge, Massachusetts. Il s’agit d’un regroupement de psychanalystes de la Nouvelle-Angleterre, de l’Ontario et du Québec qui se réunit deux fois par an alternativement à Stockbridge et à Val-David. Cette fois-ci, une de nos journées était consacrée à la question du traumatisme. Certains membres du forum ont soigné des cas de traumatisés du 11 septembre à New York, d’autres ont eu à traiter au Canada des accidentés de la route et du travail. Nous avons partagé notre expérience sur cette question difficile qui reste obscure malgré le fait que tant dans les médias que dans les revues spécialisées, elle soit abondamment évoquée. Le point sur lequel la plupart d’entre nous sont tombés d’accord est que pour les traumatisés (ceux qui sont atteints d’un stress posttraumatique), la peur est un élément essentiel de leur nouvelle personnalité. Nous voulons dire par là qu’elle contribue de façon importante à leur nouvel équilibre. La peur est certes un symptôme de leur mal, mais il nous est apparu qu’il n’est pas souhaitable d’essayer de faire disparaître ce symptôme si on ne modifie pas simultanément l’équilibre psychique de la personne concernée. Cela implique que les traumatisés peuvent « souhaiter » avoir peur dans la mesure où la peur contribue à leur assurer un équilibre relatif. En d’autres termes, sans cette peur ils sombreraient dans des difficultés encore plus grandes. De façon assez amusante, nous avons discuté de cette question le 31 octobre, qui se trouve être la fête de la peur et l’avant-veille de cette élection fatidique Bush-Kerry dans laquelle la peur semble jouer un rôle prédominant. Il nous est alors apparu clairement, pendant que les feuilles mortes tourbillonnaient à nos fenêtres, que le désir d’avoir peur, pour sauver son équilibre, pouvait être partagé par des millions d’hommes et de femmes qui avaient subi un traumatisme collectif. Et que durant une élection, ces hommes et ces femmes donneraient leurs suffrages au candidat qui leur promettrait d’avoir peur à volonté. Et comme le candidat Bush était celui qui avait la peur comme premier point de son programme électoral, à n’en pas douter, en s’inscrivant ainsi dans la logique du traumatisme, il avait de très bonnes chances de l’emporter. C’est alors que du fond de la salle s’est élevée la voix d’une collègue américaine disant, et ce fut entendu comme un cri de détresse : « Don’t hate us if Bush is elected. » Cet appel m’a touché au plus profond. Cette collègue craignait de disparaître dans le lot de ceux qui se nourrissent de peur. Elle a parfaitement senti que pour vivre la peur, il faut susciter la haine. Si Bush, durant encore quatre longues années, va entreprendre de provoquer la haine universellement, elle nous demande de ne pas oublier que parmi tous ces Américains qu’on va être obligé de haïr, elle et bien d’autres comme elle ne mériteront pas cette haine. Parmi tous les Américains qui vont semer la haine pour pouvoir récolter la peur, il ne faudra pas oublier cette dame et les millions d’Américains qui lui ressemblent. Il ne faudra pas oublier non plus que ces mêmes Américains, qui aimeraient tellement avoir peur, peuvent à l’avenir guérir de leur mal. Il nous faut dès aujourd’hui avoir la générosité d’attendre que ça leur passe et avoir le courage d’en parler suffisamment pour qu’eux-mêmes en viennent à le dire. Karim JBEILI – Psychanalyste Canada
Je viens de rentrer d’un congrès du Lacanian Clinical Forum qui s’est tenu à Stockbridge, Massachusetts. Il s’agit d’un regroupement de psychanalystes de la Nouvelle-Angleterre, de l’Ontario et du Québec qui se réunit deux fois par an alternativement à Stockbridge et à Val-David. Cette fois-ci, une de nos journées était consacrée à la question du...