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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Les urnes du monde

La solitude des dictatures n’est plus ce qu’elle était ; les gouvernements à muscles ont beau manier la trique, ils ne sont plus tout à fait maîtres chez eux. Car dans le monde d’aujourd’hui, les élections – ou les simulacres qui en tiennent souvent lieu – ont cessé d’être une affaire strictement intérieure. De ce phénomène la dernière illustration en date nous vient d’Ukraine, où s’est déroulé dimanche le second tour de la présidentielle. Selon les résultats officiels mais non encore définitifs, celle-ci a été remportée par le prorusse Victor Ianoukovitch face à un autre Victor, le pro-occidental Iouchtchenko. Mais les irrégularités étaient si nombreuses, si flagrantes (certains électeurs auraient ainsi voté plus de quarante fois !) qu’elles ont été dénoncées sur-le-champ par l’Amérique et l’Europe unie, lesquelles avaient envoyé sur place des représentants de haut rang ou des observateurs. Avant même le scrutin, la première avait menacé de réviser ses relations avec l’Ukraine en cas de fraude. À la grande fureur du Kremlin, l’Europe a exigé quant à elle la publication des véritables résultats, avertissant que ses portes seraient fermées à une Ukraine non démocratique et risquant de sombrer, de surcroît, « dans une crise politique et sociale » : c’est-à-dire, vu l’échauffement des esprits, dans la guerre civile. Non moins décisifs – et tout aussi étroitement observés de dehors – promettent d’être les tests électoraux prévus pour les prochains mois au Proche et au Moyen-Orient. L’Irak vient de faire l’objet d’une vaste conférence internationale réunie durant deux jours à Charm el-Cheikh et qui a apporté son soutien aux élections législatives qui se dérouleront le 30 janvier 2005 dans ce pays en proie, pourtant, à un déferlement de violence. Ce soutien n’est pas toutefois sans nuances. Ainsi le secrétaire général Kofi Annan a insisté sur le préalable d’une réconciliation nationale irakienne, de même qu’il a critiqué à demi-mot l’opération de Falloujah et ses incidences négatives sur le processus de transition : ce qui était une manière de se rallier à ceux, et ils sont nombreux, qui pensent que la date du 30 janvier n’est pas sacrée et qu’une éventuelle escalade sur le terrain pourrait commander impérativement le report des élections. Mais surtout, le secrétaire général de l’Onu a paru s’émouvoir du boycottage projeté par le gros de l’électorat sunnite irakien : lequel boycottage, d’ailleurs, donne des sueurs froides à plus d’un État arabe de la région qui voient se profiler un axe chiite irano-irakien susceptible d’avoir des prolongements en Syrie et au Liban. En Cisjordanie-Gaza, c’est le 9 janvier que les Palestiniens éliront le successeur de leur président disparu Yasser Arafat. Lundi, le secrétaire d’État démissionnaire Colin Powell a obtenu d’Ariel Sharon la faculté pour les habitants de la Jérusalem arabe annexée de voter par correspondance, comme ils le firent déjà en 1996. Et il a renoué à Jéricho le dialogue direct avec la direction palestinienne, interrompu depuis des années, promettant l’aide des États-Unis pour l’organisation du scrutin. Investi par le Fateh, principale composante de l’OLP, Mahmoud Abbas est vraisemblablement le prochain raïs. Or c’est le même Mahmoud Abbas qui, l’an dernier, avait été acculé à renoncer à ses fonctions de Premier ministre car cet homme pragmatique, partisan convaincu de la négociation, hostile à la poursuite d’une intifada « laquelle, disait-il publiquement, est en train de détruire tout ce que nous avons construit », se trouvait ligoté de partout : par un Hamas absolument intraitable ; par un Arafat résolu à démontrer que rien ne pouvait marcher sans lui ; par Israël qui lui refusait la moindre concession capable de conforter sa position face aux extrémistes ; et pour finir par l’Amérique de George W. Bush qui avait donné carte blanche à Sharon. Plus importante dès lors que cette élection présidentielle palestinienne sans grand suspense est incontestablement l’après-élection : Arafat disparu, les modérés au pouvoir, quel alibi restera-t-il à l’intransigeance israélienne ? Au Liban placé lui aussi sous surveillance internationale c’est au contraire l’avant-élection qui comptera surtout : c’est-à-dire la nouvelle loi électorale, dont l’élaboration incombe au gouvernement de Omar Karamé. Et qui par un découpage arbitraire et irrationnel des circonscriptions, comme par les procédures qui pourraient être retenues, notamment pour l’octroi de cartes d’électeurs, est à même de fausser à la base le scrutin législatif de juin prochain. Que Karamé se soit refusé hier à tout envoi d’observateurs internationaux n’était certes pas très habile : à l’heure où ces missions sont devenues monnaie courante même dans les plus grandes démocraties, une telle frilosité montre seulement qu’on a bien des choses à cacher. Que ce non catégorique, le Premier ministre ait choisi de le décréter à partir de Damas, qu’il ait vu dans ces élections une sorte de référendum sur la résolution 1559 de l’Onu ne paraît que confirmer, de surcroît, les thèses énoncées dans ce texte. N’allez pas croire pour autant que Omar Karamé fait machiavéliquement le jeu de la 1559. Et consolez-vous à l’idée que l’Arabie saoudite, quant à elle, en est encore à la première consultation populaire de son histoire, des élections municipales devant y avoir lieu en février 2005. La moitié seulement des édiles seront élus, les autres étant désignés par le gouvernement royal. Les femmes n’auront pas le droit de vote. Mais les prisonniers, si !

La solitude des dictatures n’est plus ce qu’elle était ; les gouvernements à muscles ont beau manier la trique, ils ne sont plus tout à fait maîtres chez eux. Car dans le monde d’aujourd’hui, les élections – ou les simulacres qui en tiennent souvent lieu – ont cessé d’être une affaire strictement intérieure.
De ce phénomène la dernière illustration en date...