Rechercher
Rechercher

Actualités

Politique d’abord – oui mais...

Par Hyam MALLAT «Politique d’abord » disait Maurras tant, en effet, la politique – grande ou petite – occulte tous les autres problèmes des citoyens et parce que du choix politique dépend souvent l’avenir même de la nation. C’est dire que le Liban, confronté aujourd’hui à une situation internationale critique, et les citoyens fixés sur les nouvelles des capitales étrangères et arabes pourraient bien avoir nombre de justifications pour oublier d’autres soucis. Mais le destin d’un pays ne se mesure pas uniquement aux circonstances d’un moment et à la soumission passive à la masse d’informations susceptibles de pénaliser toute intelligence et de pousser certains – et surtout la jeunesse – au désespoir. Il est bon de rappeler aux Libanais qu’un pays n’est pas un instant de l’histoire, et au Liban plus qu’ailleurs. L’espoir et l’avenir reviennent à ceux qui savent qu’aucune génération ne peut se targuer d’une paix définitive et d’une situation inaltérable. Quel était l’espoir au cœur de nos grands-pères quand ils avaient 20 ans en 1914 avec le début de la Grande Guerre, en 1830 avec l’entrée de Méhémet-Ali au Proche-Orient, tous les problèmes et les crises entre 1840 et 1860 ou en 1800 avec le pacha Ahmed Jazzar à Acre qui s’en ont suivi ? Chaque génération a ses problèmes et le génie dont elle se dote pour affronter l’adversité et l’épreuve lui permet seul d’être à la mesure de son histoire. Il n’est d’aussi difficile que l’histoire des petits peuples qui se retrouvent un jour constitués en un État sans avoir jamais su être une nation. Mais dès lors que la société précède l’État – comme au Liban –, celui-ci lui est redevable et de sa création et de ses traditions avec même un engagement historique, juridique et moral – formel ou informel – de sauvegarder la dignité et la singularité de cette société d’origine. Ainsi donc, il n’est d’aussi complexe que les petites nations faites de petites communautés constituées de petits peuples car jamais l’universel ne les atteint dans leur intégralité et les réserves, les suspicions appartiennent tout simplement à l’histoire. Contrairement aux sociétés où c’est l’idée même de l’État qui en constitue l’ossature maîtresse, où la Constitution est la loi fondamentale sur laquelle s’articulent les institutions nationales – comme la France et les États-Unis, au point que ces institutions ont progressivement valeur d’exemple, les hommes n’en étant que les gardiens et bien rarement les maîtres –, au Liban, l’histoire a visage d’homme et, en dépit de la lente implantation des institutions, celles-ci apparaissent bien plus au service des intérêts du moment qu’à ceux de l’histoire. Et pourtant la complexité même du sujet nous fait deviner les multiples facettes à envisager avec un discernement et une réserve sans pareils car les conflits ou les contradictions ont trop tendance à déborder immédiatement les institutions ou les personnes pour appartenir à l’histoire proprement dite avec l’explosion de conflits de réflexion, de religion, de confession, de clientélisme, de famille, de tribalisme, mettant en péril la société elle-même. Le Libanais est passé maître dans l’art de verser de l’huile sur le feu pour faire exploser une situation sans posséder pour autant la capacité d’en maîtriser les débordements et de les résoudre, signe évident du sous-développement politique. La manipulation extérieure ou plutôt la convergence d’intérêts entre des politiques locales et régionales divergentes en 1840, 1860, 1958 et 1975 ont toujours trouvé un terrain fertile car chacun pense trouver ses intérêts dans le malheur d’autrui alors que le malheur pour tous en est le meilleur résultat. C’est pourquoi, et bien qu’on puisse discourir longtemps et nous risquer dans des évolutions théoriques de toutes sortes, il n’en demeure pas moins vrai toutefois que cette société est confrontée au triple défi d’une réforme politique, d’une réforme institutionnelle et d’une réforme sociale et économique. Pour ce qui est de la réforme politique, il y a lieu de distinguer entre les modalités d’accès au pouvoir et son exercice. Dans tout système démocratique, ou qui se veut tel, deux moyens sont reconnus pour accéder au pouvoir, à savoir les élections et la cooptation. Élections en ce qui a trait aux fonctions présidentielles, législatives, municipales, parfois même judiciaires dans certains pays. Cooptation en ce qui se rapporte aux fonctions d’exécution : ministériats, hauts postes administratifs, financiers, économiques et sociaux. Les institutions valant ce que valent les hommes qui les dirigent, il est certain que la qualité politique dépend du bon choix fait par les citoyens. Certes, ces derniers étant souvent en condition, les données psychosociologiques se traduisent par des choix politiques dont souvent les électeurs sont les premiers à se plaindre. C’est pourquoi nous pensons qu’une réforme politique visant des personnes est un combat accessoire et sans grand résultat durable. Bien mieux, il y a lieu de viser le mécanisme de fonctionnement du système politique pour améliorer progressivement la qualité des serviteurs de l’État tant élus que cooptés. C’est pourquoi, à notre avis, la réforme politique est aussi une réforme institutionnelle, et parce qu’elle est cela avant tout, l’exercice de la politique exige d’obéir à certaines règles de droit dont la nature est internationalement reconnue aujourd’hui, à savoir le respect d’une déontologie publique et la lutte contre la corruption. Choses impossibles, pourrait-on dire, mais que l’on commence au moins par instaurer une mesure institutionnelle visant à la séparation du ministériat de la députation – que l’accord de Taëf aurait dû envisager – puisque ceux qui représentent le peuple n’ont pas pour tâche de le gouverner. Quand un citoyen, dans n’importe quelle circonscription, vote pour un candidat déterminé, c’est bien pour que ce candidat le représente dans la défense de ses intérêts et sa protection contre toute appréhension et non pour le gouverner sur base d’une politique fondée sur des considérations nationales et rapidement régionales et internationales. Reste la réforme sociale et économique, objet de tous les discours et de nombre d’engagements au sein de problèmes quotidiens sans cesse renouvelés où tous les partenaires se débattent dans une interrogation continue sur les buts ultimes de toute politique sociale et économique et de la qualité des services fournis sans que ne s’affirment des solutions concrètes et définitives, tant les secteurs d’équipement comme l’électricité et l’eau que les secteurs sociaux comme la Sécurité sociale. Si nous disons cela, c’est bien pour affirmer que la politique est un objet sans limites et qu’elle est faite d’amitiés et d’inimitiés jamais irréversibles. Ce qui, par contre, marque notre société libanaise actuelle de manière indélébile, c’est qu’il ne se passe pas de jour où les informations locales et internationales n’apportent leur lot de préoccupations, de dégradation ou de disparition du patrimoine et de l’environnement (forêts, ressources naturelles, sites archéologiques, eau, domaine maritime,...). Il semble bien que si le XXe siècle a eu pour caractéristique d’être le pire des siècles en matière de guerre, de destruction et de dégradation des droits de l’homme, le XXIe siècle s’inscrit d’emblée dans une volonté de récupération et de sauvegarde du patrimoine et de l’environnement qui se singularisent au Liban, comme partout ailleurs désormais, par cette triple caractéristique d’être fragile, dégradable et périssable. Lorsque je publiais mon premier ouvrage en 1971 sous le titre de L’aménagement du territoire et de l’environnement au Liban, le sujet était, pour la très grande majorité des Libanais – et même des responsables publics –, une grosse plaisanterie et le cadet de leurs soucis. Depuis, les exigences de la vie quotidienne sont venues rappeler aux Libanais comme à tous les autres citoyens dans le monde que la politique des petites querelles et des petits intérêts n’est pas toute la politique, et qu’au-delà de tout, s’impose la sauvegarde des composantes mêmes de la société. Partant de là, des formules et des slogans ont été inventés pour sensibiliser les hommes et les femmes à leur rôle privilégié dans leur double rôle de protecteur ou de destructeur du patrimoine. Mais plus encore, l’enjeu de cette protection devient si considérable que seules des structures institutionnelles publiques et privées bien rodées, formées de personnes compétentes et dévouées, peuvent prétendre à la qualité de protecteur. D’aucuns pourraient dire que c’est bien le moment de parler de cela quand tant de choses sont à revoir. Certes, encore faut-il pouvoir préserver un milieu acceptable d’existence pour que nos politiciens et nos théoriciens publics et académiques, qui pensent tout résoudre en parlant, puissent continuer à exercer leur métier de vouloir organiser le monde – et la maison des autres – avant de régler les affaires de leur propre maison.
Par Hyam MALLAT
«Politique d’abord » disait Maurras tant, en effet, la politique – grande ou petite – occulte tous les autres problèmes des citoyens et parce que du choix politique dépend souvent l’avenir même de la nation. C’est dire que le Liban, confronté aujourd’hui à une situation internationale critique, et les citoyens fixés sur les nouvelles des capitales...