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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Moments de grâce… à la galerie Janine Rubeiz* Mouna Bassili Sehnaoui, entre subjectivité et émotion (Photo)

Mouna Bassili Sehnaoui est une peintre qui pense. Donc elle est. Elle voit, donc elle dessine. Sur son carnet de croquis dont elle ne se sépare jamais. Parfois, un appareil photo vient à la rescousse de sa mémoire si elle n’a pas le temps de dessiner in situ. La scène, le paysage ou le personnage, elle s’en imbibe pour aller peindre l’essentiel dans le calme de son atelier. Chevelure blonde sagement ébouriffée, regard un rien coquin, Sehnaoui a tant de choses à dire, et les dit avec une telle force et une telle émotion qu’on reste charmé par le personnage, fidèle depuis des années à sa peinture, à ses écrits, à ses actes. Le monde qu’elle recrée, kaléidoscope minutieusement élaboré d’images familières que son libre pinceau fragmente et recompose, est fait d’«instants de lumière, de moments de grâce». C’est ainsi qu’elle décrit ses toiles, c’est ainsi qu’elle a nommé son exposition à la galerie Janine Rubeiz. Mouna Bassili Sehnaoui peint la maison rose de Manara, les palmiers de la corniche de Raouché, les plaines de la Békaa, «espace magnifique qui regorge de couleurs», les rues de Beyrouth, «une ville que j’adore»… Inspirée ici par un concert de jazz à Baalbek, là par des cavaliers traversant une petite forêt, le trait d’union entre ces fenêtres de notre quotidien est le sentiment de plénitude, de sérénité qui s’en dégage. Dans cet espace pictural, chaque touche compte. Innombrables petits carrés ou hiéroglyphes dont les variations, les combinaisons esquissent une réalité qui, sitôt embrassée, se délite et se reforme. La clé de ces signes? «Ils représentent une autre façon de faire parler la toile. L’encre, par exemple, est le symbole phénicien de l’espoir, la main de Fatima protège contre le mauvais œil, la cafetière, c’est mon symbole pour mon Moyen-Orient. En Europe, le café s’intitule expresso. Or avec notre café turc, il faut prendre son temps pour le faire bouillir, pour le siroter, il implique une rencontre humaine avec d’autres personnes.» Complètement subjectives et émotives les toiles de Mouna Bassili Sehnaoui. La marche funèbre du siècle «Tu ne peins pas des choses tristes: on m’a toujours fait cette remarque, raconte l’artiste. En réalité, j’ai réalisé des peintures sombres pendant la guerre. Celles-là, je les garde pour moi.» Voulant communiquer une certaine joie de vivre à travers son art, Sehnaoui n’expose que les œuvres positives. Exception faite de cet accrochage. En effet, une série de toiles oblongues, fond bleu, esquisses noires, se démarque du lot. Elles sont regroupées sur un même pan de mur, sous le titre, assez évocateur, de «Calligraphies du troisième millénaire». Explications: «Je suis frappée par l’état du monde actuel. Nous sommes en train d’entrer dans une ère plus meurtrière, plus sauvage, plus cynique. Ce siècle, qui aurait dû être celui de la communication, de la découverte de nouveaux remèdes, du dialogue des peuples, déroule ses atrocités l’une après l’autre.» Ici un mur de la honte, là un charnier animal, sur une autre toile des silhouettes de disparus et la détresse d’une mère, un avion qui percute une tour, une personne accroupie, bras et poings liés, attendant l’exécution… Indignée par ces atrocités, l’artiste lance ce cri du cœur pour dire: «Stop, arrêtez les massacres.» Loin d’elle toute pensée prétentieuse, toute leçon de morale. «Ces toiles ne sont pas à vendre. Mais si une organisation internationale s’y intéresse, je les lui offrirai volontiers. Si ce message peut être porté plus loin que Beyrouth et le Liban, je serai profondément heureuse car je crois que je ne suis pas la seule à être révoltée par la situation.» Non pas avec la volonté d’apporter des réponses toutes faites, mais bien de susciter questionnements et doutes. Pas de vérité sacralisée, Sehnaoui ne se sent pas l’âme d’une prêcheuse. Elle est plutôt en quête de vérité, de sincérité, d’absolu. Une espèce d’utopiste debout qui s’ignore, une rebelle qui cherche désespérément sa cause et non pas sans cause. Elle arpente le monde avec l’intime conviction de vouloir le changer, quand bien même elle ignore comment. La famille, la tribu ne sont pas des lieux de repli sur soi, de cocooning. Elles sont les lieux de l’ouverture aux autres, au monde, les lieux de toutes les solidarités pour sortir de l’état de survivance et de dépendance. L’artiste, guetteuse de notre temps, ne pose pas sur le monde un regard complaisant. Elle exerce un regard critique sans a priori avec un postulat commun à tous: comment ne pas sombrer dans la barbarie? Voilà une sacrée leçon de vitalité. Maya GHANDOUR HERT * jusqu’au 2 décembre.
Mouna Bassili Sehnaoui est une peintre qui pense. Donc elle est. Elle voit, donc elle dessine. Sur son carnet de croquis dont elle ne se sépare jamais. Parfois, un appareil photo vient à la rescousse de sa mémoire si elle n’a pas le temps de dessiner in situ. La scène, le paysage ou le personnage, elle s’en imbibe pour aller peindre l’essentiel dans le calme de son atelier....