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Actualités - CHRONOLOGIE

ENVIRONNEMENT - A-t-on un plan d’urgence au cas où les essaims rouges continuent d’affluer ? Une première campagne de lutte contre les criquets qualifiée de réussie à Jbeil

La seule évocation des criquets fait renaître chez les Libanais une peur ancestrale, celle de l’épisode de 1914, doublement tragique parce que marqué par la famine qui a résulté du passage de millions de criquets et par le début d’une guerre mondiale meurtrière. C’est cela qui a frappé les esprits lorsque des informations sur l’arrivée de milliers de criquets dans la région de Jbeil ont été rendues publiques hier. La première panique passée, il s’est avéré que ces nuées d’insectes provenaient de toute évidence d’Afrique du Nord, plus spécifiquement de Libye selon les experts, et des mesures d’éradication ont été entreprises directement dans la région la plus touchée, celle du caza de Jbeil. Alors, plus de peur que de mal ? Il le semble, si l’on en croit les responsables et même les experts interrogés. Mais la lutte devra se poursuivre tout aussi efficacement parce que les essaims n’ont pas cessé d’affluer, surtout que deux nouveaux ont été aperçus hier vers 18h. « Les quantités qui sont arrivées aujourd’hui seront éradiquées en 24h », déclarait hier Doumit Kamel, président de l’Association des experts internationaux pour la protection de la santé et de l’environnement, chargé par la municipalité de Jbeil de superviser les opérations. Mais selon lui, « des essaims vont continuer à envahir le territoire libanais jusqu’à la fin du cycle lunaire ». Quant à Louis Lahoud, directeur général du ministère de l’Agriculture, il nous a assuré qu’une campagne de pulvérisation de pesticides devrait avoir lieu dans les régions touchées aujourd’hui à l’aube, juste avant que le soleil ne soit assez chaud pour que les insectes puissent voler et se diriger éventuellement vers les plantations. Dans l’enceinte de la citadelle médiévale de Jbeil, les criquets se sont invités en touristes et ont reçu un accueil de guerre : en effet, le conseil municipal de la ville a réagi rapidement et envoyé à partir d’hier matin, à 7h30, des équipes sur le terrain munies des équipements et des quantités de pesticides nécessaires. À midi, les « cadavres » des insectes jonchaient déjà le sol. Un des employés municipaux raconte : « Le matin, des centaines d’insectes passaient entre nous, nous nous voyions à peine. La situation est bien maîtrisée maintenant. » Les employés nous montrent les insectes morts en grande quantité, mais aussi ceux qui volent de manière indécise et qui ne devraient pas tarder, selon eux, à tomber à terre. Les arbres verts ne semblent pas avoir beaucoup souffert du passage des criquets. Quant aux équipes sur le terrain, elles ont travaillé de manière à couvrir peu à peu tout le parc archéologique devant la citadelle. M. Kamel précise à L’Orient-Le Jour que l’insecticide utilisé est organique, et ne nuit ni à la santé de l’homme ni à l’environnement. Bien que les directives du ministère de l’Agriculture aient été données dès dimanche par le ministre Élie Skaff, qui s’est rendu sur les lieux très tôt hier, la campagne de pulvérisation a été lancée à l’initiative et avec le financement du conseil municipal de Jbeil, soucieux de ne pas laisser le problème prendre de l’ampleur si un retard est accusé. Certes, la campagne officielle de grande envergure qui doit être menée aujourd’hui à l’aube devrait résoudre en grande partie le problème, selon le ministère. Plan d’urgence Mais quel est cet insecte rouge source d’autant d’angoisses ? Hani Abdelnour, professeur à la faculté des sciences de l’Université libanaise (UL), rencontré sur les lieux, explique qu’il s’agit du criquet pèlerin, dont le nom scientifique est « Schistocerca gregaria ». Selon lui, « le phénomène est occasionnel, et le danger représenté par ces insectes n’est pas important parce qu’ils viennent de loin et pas en quantités excessivement grandes ». Il a souligné que leur saison de ponte est le printemps, et que leur arrivée tardive, aux portes de l’hiver, n’en fait pas une menace très sérieuse. Preuve en est, a-t-il dit, les arbres et les plantes sont intacts dans la région investie par les criquets. « Ils auraient été plus dangereux s’ils provenaient du Moyen-Orient et en très grande quantité, a expliqué le Pr Abdelnour. D’ailleurs, s’ils ont causé de si grands dégâts en Afrique du Nord, c’est que le problème des larves n’a pas été traité à temps. » Mais M. Kamel ne se montre pas rassurant pour autant. Selon lui, « les criquets sont là pour pondre, et si la lutte n’est pas assez efficace, ils pourront représenter une menace pour le Liban ». Quant au froid, il estime qu’il faudrait de la neige pour arriver à tuer les insectes. Il faut souligner que les criquets se multiplient très rapidement et que leurs larves ont la capacité de survivre même après la mort de l’insecte. Selon les employés sur le terrain, le produit utilisé pour les tuer à Jbeil est conçu pour atteindre également les œufs. Mais cette même technique va-t-elle être employée dans toutes les localités ? M. Kamel revendique un « plan d’urgence pour faire face efficacement à ce problème dans toutes les régions ». Aux alentours de la citadelle, dans les commerces des rues traditionnelles de la vieille ville de Byblos, on aborde ce sujet avec une certaine philosophie. « Il est vrai que les essaims aperçus hier (dimanche) étaient importants, mais pas assez pour cacher le soleil, comme l’ont prétendu certains, raconte un commerçant. J’estime leur nombre à des milliers plutôt qu’à des millions. Nous n’en avons pas eu peur parce que nous savons ce que c’est. » D’autres commerçants s’amusent à les récolter vivants dans des bouteilles. En effet, certains insectes sont parvenus à se glisser dans le souk, fuyant probablement les turbines d’insecticides qui les poursuivaient. Pour leur part, les rares touristes de la saison ne semblent pas effarouchés par les informations sur les criquets pèlerins ou par les turbines d’insecticides. Gino Kallab, président du conseil municipal de Jbeil, a assuré qu’il n’y avait pas eu de dégâts agricoles dans le caza. Installé dans le bureau du chef de la gendarmerie de la ville en compagnie de membres du conseil, de journalistes et d’experts, dans ce qui ressemblait à un conseil de guerre, il a expliqué que « ce qui nous donne un avantage aujourd’hui, ce sont les campagnes de lutte contre les insectes, menées depuis le début de l’été dans toute la ville ». M. Kallab avait accompagné le matin le ministre Skaff et M. Lahoud dans leur tournée dans la région. M. Skaff avait demandé à l’armée d’équiper un hélicoptère pour pulvériser le pesticide au-dessus des régions touchées. Les préparatifs ont effectivement eu lieu dans une caserne aux portes de Jbeil, mais l’hélicoptère est resté sur place, les experts ayant estimé que le phénomène étant limité, utiliser les grands moyens ferait plus de mal que de bien à l’écosystème. M. Skaff a également tenu une réunion à son domicile à Yarzé avec des experts et des environnementalistes pour discuter des moyens de lutte écologique contre l’insecte. Pour sa part, M. Kallab a demandé au ministre d’assurer les insecticides adéquats aux agriculteurs afin qu’ils puissent lutter contre l’apparition du criquet dans leurs plantations sans commettre d’erreurs. Une réunion est par ailleurs prévue aujourd’hui au siège de la Fédération des municipalités de Jbeil, en présence du nouveau ministre de l’Environnement Wi’am Wahhab, pour un suivi sur cette affaire de criquets. Aujourd’hui, le problème devrait être en grande partie réglé. Ou du moins on l’espère... Suzanne BAAKLINI
La seule évocation des criquets fait renaître chez les Libanais une peur ancestrale, celle de l’épisode de 1914, doublement tragique parce que marqué par la famine qui a résulté du passage de millions de criquets et par le début d’une guerre mondiale meurtrière. C’est cela qui a frappé les esprits lorsque des informations sur l’arrivée de milliers de criquets dans la...