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Actualités - OPINION

Un délai de grâce teinté de méfiance et d’un zeste d’espoir

C’est normal : maintenant que le gouvernement est en place, les critiques relatives à sa formation ou à sa composition deviennent un peu dépassées. Et s’apaisent, du reste, dans la mesure où la plupart des forces politiques estiment que, pour porter un nouveau jugement, il faut au moins attendre le premier acte du gouvernement, sa déclaration ministérielle. Pour voir quelles promesses vont être faites, quelles priorités retenues. En se rappelant à ce propos que le président du Conseil s’est engagé à faire siennes les vraies préoccupations du vécu quotidien des Libanais. C’est-à-dire, essentiellement, les questions sociales et économiques comme l’électricité, le mazout, les carburants divers, l’enseignement, les soins médicaux. Ou la fermeture de ces robinets à fric que sont les conseils ou caisses qui épuisent les finances publiques. Mais, délai de grâce ou pas, rien n’efface le contentieux de fond. L’opposition reste sur ses gardes. Elle prévoit, notamment à partir des déclarations incendiaires de Ferzli, que le pouvoir va maintenir le cap sur une ligne politique qui est l’exact contraire de la sienne propre. Le terme même de « constantes nationales » n’a pas le même sens dans un camp ou dans l’autre. Pour les uns, c’est la triplette indépendance-souveraineté-autonomie. Pour les autres, c’est le jumelage avec Damas. Cette antinomie implique que les premiers tiennent à l’application complète de Taëf, avec retrait syrien dans des délais raisonnables. Tandis qu’en face, on continue à soutenir que les Syriens doivent rester, jusqu’à la paix régionale avec Israël. Au titre des impératifs stratégiques régionaux comme des nécessités sécuritaires, ou de stabilité, intérieures. Mais les difficultés économiques et sociales ? L’opposition répond qu’elle les suit de près certes. Mais que, bien évidemment, elles ne représentent pas une donnée politique entrant dans le cadre de sa mission organique. De plus, ajoute-t-elle, tout pouvoir est absolument tenu de s’occuper d’une telle priorité, sans en prendre avantage auprès de l’opinion, sans s’en glorifier, car c’est là le moindre de ses devoirs. En somme, l’opposition estime, grosso modo, que sa vocation et son rôle, comme toute force politique, est de se consacrer surtout à la défense des thèmes politiques nationaux et non à la gestion du quotidien. Où elle se contente, en tant que corps citoyen, de soutenir les revendications légitimes des gens, sans en faire une affaire d’État. Les opposants situés à l’intérieur du système taëfiste, c’est-à-dire principalement les parlementaires, continuent pour leur part à analyser les différents messages que porte la mise en place du cabinet Karamé. Objectivité relative Ces pôles indiquent qu’ils apprécient la désignation de personnalités, de figures nouvelles, qui ont indéniablement leur poids, leur renommée et leur crédibilité dans les champs d’activités civiles où s’exercent leurs talents professionnels. Ils citent, entre autres, Adnane Kassar et Maurice Sehnaoui. Et attribuent de bons points à d’autres ministres qualifiés, probes, ou qui ont fait la preuve de leurs capacités, comme Jean-Louis Cardahi aux Télécoms. En revanche, ces contestataires s’alarment des sorties incendiaires de super-ministres politiques, comme Élie Ferzli, qui s’est déchaîné contre l’opposition et les médias à la fois. D’ailleurs, à propos du portefeuille de l’Information dévolu à Ferzli, ces sources pensent que l’on a écarté le précédent titulaire, Michel Samaha, parce que, d’une part, il n’aurait pas accepté des consignes déterminées. Et que, d’autre part, il n’a jamais été un partisan de la confrontation, mais du dialogue et de l’ouverture. Autre ministre politique, Assem Kanso s’est distingué de son côté en annonçant le rétablissement des bureaux ou boîtes de réclamations du public, lors de sa prise en charge du ministère du Travail. On se souvient que c’est le chef de l’État, le président Émile Lahoud, qui avait institué ces guichets, vite passés à la trappe ensuite, au début de son mandat initial. Une initiative qui avait fait l’objet, à l’époque, de critiques déterminées, fondées sur la crainte d’une vague de délations incontrôlables. La démarche de Kanso suscite la question de savoir si le pouvoir a décidé de ramener les pendules en arrière, et de recommencer comme si on était en 98. Autrement dit, si les mêmes erreurs de trajectoires vont être répétées, avec règlement de comptes et vindicte à la clé. De plus, observent les professionnels, Kanso avance un projet qui contredit dans le fond celui du président du Conseil. Pour qui une normalisation progressive dans l’Administration passe avant tout par le renforcement des organismes internes de contrôle (comme la Fonction publique ou l’Inspection centrale) plutôt que par les plaintes des usagers des services de l’État. Mais ce sont là des détails. Pour le fond, les milieux politiques soulignent que l’équipe Karamé doit faire face aux défis intérieurs et extérieurs. Et ne pas déraper en se focalisant sur des campagnes médiatiques organisées contre l’opposition. C’est par ses actes, disent les professionnels, que le gouvernement peut le mieux clouer le bec à ses détracteurs. Ils ajoutent que la mission des Trente est de réhabiliter, de dynamiser une Administration pourrie jusqu’à la moelle et pratiquement amorphe, voire paralysée. En veillant à ce que le fonctionnaire ne soit plus le féal, l’homme lige d’un politicien, d’un parti ou d’une communauté, mais se dévoue entièrement à son poste. Et en comblant les postes vacants, sur des bases de compétence avérée. Pour l’ensemble, des piliers de Kornet Chehwane confirment que pour l’heure, ils attendent la déclaration ministérielle, afin de connaître le plan, politique ou autre, du gouvernement et de porter sur son orientation un premier jugement. Ils signalent cependant que, pour l’heure également, ils restent méfiants, à cause des sorties en flèche de membres politiques du nouveau cabinet. Philippe ABI-AKL

C’est normal : maintenant que le gouvernement est en place, les critiques relatives à sa formation ou à sa composition deviennent un peu dépassées. Et s’apaisent, du reste, dans la mesure où la plupart des forces politiques estiment que, pour porter un nouveau jugement, il faut au moins attendre le premier acte du gouvernement, sa déclaration ministérielle. Pour voir...