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Actualités - ANALYSE

ANALYSE L’œil du Cyclope sur l’œil du cyclone Des clés économiques pour la météo politique 2005

« L’Œil était dans la tombe et regardait Caïn » (Hugo) Le Cyclope, c’est la Banque mondiale. N’a qu’un œil, comme un chef sioux. Mais, fiché au milieu d’un front surélevé, il voit tout. Il tient tout à l’œil. Avec lui, on n’a rien à l’œil. Tout se paye comptant, content ou pas. L’œil du cyclone, c’est, au centre de la tornade, une zone préservée. Ce calme précaire, éphémère, qui précède la tempête. Un répit que l’amitié, sévère mais certaine, des nations nous accorde. Tout en sachant que, par démission de volonté nationale, le choix de la voie à suivre ne nous appartient plus. Il ne nous reste plus, en attendant les verdicts cruciaux prévus pour 2005, qu’à tenter de déchiffrer l’actualité en marche. En surveillant de près quelques indices économiques. Qui, juste retour des choses, préfigurent la politique autant qu’elle les détermine. – Il y a tout d’abord, assez étonnamment à première vue, l’électricité. Une question qui indiffère souverainement (c’est bien la seule souveraineté qu’il exerce) le pouvoir. Mais qui compte autant pour la Banque mondiale que pour le peuple libanais, si peuple il y a. L’institution, dans son rapport sur le bilan Liban deuxième trimestre 2004, met singulièrement l’accent sur l’électricité. Parce que le Cyclope a vu ce que les taupes locales distinguent mal. À savoir que chaque jour qui passe, que Dieu fait, le Liban perd à cause de l’électricité plus d’un million de dollars. Quelque quatre cents millions par an. Logique En même temps, il faut casquer quelque deux milliards de dollars pour l’ardoise intérêts de la dette publique. Lâcher deux autres milliards de dollars de rançon rackett aux protecteurs. Subir de la part de leur main-d’œuvre parachutée, comme un vulgaire député de la majorité, une ponction d’un bon milliard. Supporte, si tu peux. Des chiffres énormes. Qui permettent à nos gouvernants, ces bienheureux, de s’exclamer : quatre cents malheureux petits millions en plus, est-ce que ça vaut la peine d’en parler ? Ils n’en parlent donc pas. Ou si peu, si mal. C’est un peu pourquoi la Banque mondiale les rappelle à l’ordre. Pourquoi, demande-t-elle, un peu naïvement du reste, n’y a-t-il toujours pas de plan de privatisation de l’électricité ? En fait, cette déguenillée, aussi coûteuse à entretenir qu’une demi-mondaine de la Belle époque, personne n’en voudrait. Mais il est du devoir, qui s’y est engagé lors de Paris II, de l’État de la proposer à l’encan. En pièces détachées ou en bloc. Tout comme ils doivent, les tance la banque, mettre un terme au gaspillage financier, réduire les coûts pour les consommateurs et améliorer le service de l’EDL. Là aussi, les gouvernants libanais n’en peuvent mais. Ils reculent devant les démagogues, dont ils comptent certains d’ailleurs dans leurs rangs, qui refusent que des régions entières cessent d’avoir pratiquement le courant gratis. Tandis que d’autres sont largement surtaxées. Pour tout dire, si, fin novembre, prochaine échéance de livraison de fioul et de mazout, le Liban n’a pas commencé à traiter en profondeur ce problème, non seulement il risque de plonger dans le noir, mais aussi de se voir infliger un mauvais point international. Qui viendra se greffer sur le rapport Annan dans six mois. On dira : mais comment résoudre le problème, alors que le baril de pétrole flambe et va bientôt flirter avec les 60 dollars ? D’abord, c’est bien la preuve qu’il ne faut plus, qu’il n’aurait jamais fallu de palliatifs au coup par coup et d’avances du Trésor. Ensuite, et surtout (nous y reviendrons), ce qu’on demande, ce qu’on exige du Liban, sur tous les plans, c’est de montrer une vraie bonne volonté. D’entamer quelque chose. Comme on dit : aide-toi, le ciel t’aidera. Le marché – La Banque mondiale manifeste ensuite, mais dans une perspective évidemment économique, autant de sens social que le régime prorogé, qui en fait un de ses chevaux de bataille (c’est le mot). Elle tient en effet à relever avec inquiétude, car c’est finalement un signe de productivité réduite, que nombre de Libanais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Combien ? La banque situe le panel entre 5 et 10 %. Cette imprécision reflète le manque de statistiques libanaises solides. Faute, souvent, de pouvoir mener des enquêtes de terrain pointues : on vous en empêche, de part ou d’autre. Sans compter les réflexes de dignité qui interdisent qu’on avoue son dénuement à autrui. Mais la pauvreté est là. Et, surtout, elle risque un bond en avant quasi tragique dans les mois à venir. Parce que l’inflation larvée, qui sévit de tout temps (les démunis parlent de 80 % en huit ans, les nantis n’en avouent que 15), peut flamber avec effet aller-retour. L’augmentation spectaculaire des carburants, poste moteur, peut provoquer à la vente une valse effrénée des étiquettes. Avec un pouvoir d’achat rétréci, la livre, déjà malmenée par les péripéties politiques, serait encore plus fortement attaquée. D’où une cherté encore plus considérable, des entreprises obligées de mettre la clé sous la porte, et le reste à l’avenant. Il faut tout de suite préciser que ce scénario catastrophe reste hautement improbable. La Banque centrale dispose de réserves énormes en devises fortes. Et si les banques privées avouent qu’il y a un frémissement de fuite de dépôts, elles indiquent qu’elles continuent à en recevoir à la limite presque de leurs capacités d’accueil et d’utilisation. Il y a certes des problèmes. Mais, disent les spécialistes, ils ne sont pas nouveaux. De plus, à force et à la longue, les marchés se sont mithridatisés, immunisés contre les poisons, extérieurs ou intérieurs de la politique. Orientation Il reste la dette publique galopante. Écrasante. En fait, et c’est normal, le levier de pression le plus redoutable sur le Liban. Mais par chance, la menace de cette arme fatale est émoussée par le facteur temps. C’est-à-dire qu’elle ne joue qu’à partir de l’horizon 2007, le Liban, grâce en partie au swap, n’étant pas tenu de rembourser une partie du capital (35 milliards de dollars) avant deux pleines années. Or, il est évident que ce pays doit avoir réglé ses contentieux (avec les States, l’Onu et l’Europe notamment) avant fin 2005. D’ici là, une constante continue à jouer : le Liban reste considéré comme un élément mi-victime mi-coupable. La sympathie à son égard ne se dément pas. Mais la sévérité pour son suivisme (autopunisseur) aussi. Il est jugé néanmoins comme comparse, ou complice, et non comme principal suspect. Rôle assigné à la Syrie. C’est bien ce que martèle Satterfield. Qui enjoint à notre pouvoir de se décider à décider par lui-même, loin de toute ingérence et au mépris de toute menace syrienne. Il ajoute, à l’adresse de Damas, que le Conseil de sécurité n’est pas tenu d’attendre le rapport Annan, dans six mois, pour agir. C’est exact. Mais seulement dans la mesure où il y aurait du nouveau, une surprise sur le terrain. Comme par exemple des législatives anticipées et tronquées. Le dirigeant américain conclut en ordonnant à la Syrie de prendre des mesures concrètes au Liban (en partir, politiquement et militairement) car les discours ne suffisent pas. D’autant que jusqu’à présent, ils ne sont toujours pas conciliants. Ainsi, Damas a invité le cabinet Karamé, avant même qu’il ne soit formé, à faire face à la 1559. À ferrailler à ses côtés. Toujours est-il que, dans la représentation, nous tenons un rôle finalement secondaire. Cela veut dire qu’on ne va sans doute pas trop nous accabler. Ni trop nous aider non plus. Ainsi le rêve TPI d’un Joumblatt semble surréaliste. Et il faudra voir, aux législatives, qui sera sur la liste... Jean ISSA

« L’Œil était dans la tombe et regardait Caïn »
(Hugo)

Le Cyclope, c’est la Banque mondiale. N’a qu’un œil, comme un chef sioux. Mais, fiché au milieu d’un front surélevé, il voit tout. Il tient tout à l’œil. Avec lui, on n’a rien à l’œil. Tout se paye comptant, content ou pas.
L’œil du cyclone, c’est, au centre de la tornade, une zone...