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Actualités - OPINION

perspective La vigilance onusienne et internationale, une nécessité pour les prochaines élections législatives Les tiraillements actuels, un retour au jeu politique d’avant-guerre ?

Il ne faut surtout pas s’y méprendre. Les difficultés rencontrées par Omar Karamé pour former son gouvernement pourraient être un signe de bonne santé, aussi paradoxal que cela puisse paraître. L’histoire contemporaine du Liban a été systématiquement marquée par des scénarii semblables à celui auquel nous assistons aujourd’hui. Du moins avant la guerre. Ou plus exactement avant que la Syrie ne s’emploie à façonner systématiquement l’Exécutif libanais (et l’ensemble du pouvoir politique) à sa propre mesure. Il suffit de consulter les archives de n’importe quel quotidien local pour se rendre compte que chaque changement ministériel était accompagné, jadis, de surenchères, d’exclusives, de veto, de conditions et de contre-conditions, de tractations fébriles et de compromis... De sorte que la mise sur pied du cabinet traînait en longueur, débouchait souvent sur des surprises (le gouvernement de « jeunes » en 1970), sur des faits accomplis et, parfois même, sur des bouderies, certains ministres désignés refusant de prendre en charge leurs portefeuilles pour ensuite revenir à de meilleurs sentiments (le cabinet Salam en 1972). Cela a toujours fait partie du jeu politique local. Les Libanais n’y sont peut-être plus habitués. Au cours des quinze dernières années, nos responsables officiels ont en effet acquis le (déplorable) réflexe pavlovien de s’en remettre automatiquement au tuteur régional pour surmonter les difficultés internes. Il est sans doute grand temps qu’ils réapprennent (ou qu’ils se réhabituent) à résoudre leurs problèmes entre eux, à rechercher des terrains d’entente, à dégager des compromis, à savoir gérer les divergences d’opinions ou les situations de crise. Est-ce à dire que cette fois-ci Damas s’abstient de mettre la main à la pâte, comme se plaisent à l’affirmer les milieux syriens ? Rien n’est moins sûr, les immixtions « fraternelles » pouvant se faire plus discrètement, de façon pernicieuse, loin des feux de la rampe, dans le but évident de ne pas fournir des arguments au Conseil de sécurité et à la communauté internationale. Même si c’est le cas, cela signifiera que le sursaut occidental en faveur du rétablissement de l’indépendance politique du Liban commence (« commence », uniquement) à porter ses fruits puisque, pour la première fois, Damas se défend publiquement de vouloir interférer dans le processus de formation du gouvernement. Ce premier pas est, certes, nécessaire, mais il n’est pas suffisant. Car quoi qu’en disent nos dirigeants à Beyrouth, la pression et la vigilance de la communauté internationale à l’égard du dossier libanais doivent être entretenues, voire aller crescendo. Autrement, la logique de la realpolitik poussera sans cesse le pouvoir syrien à trouver constamment tous les bons prétextes envisageables pour perpétuer indéfiniment son emprise sur le Liban. Sans une pression soutenue, pour quelles raisons la Syrie accepterait-elle de lâcher, un jour, de son plein gré, sa chasse gardée libanaise ? Bien au-delà des slogans creux lancés dans les milieux officiels de part et d’autre, force est de relever sur ce plan qu’il existe une réelle crise de confiance et un climat de suspicion qui marquent – depuis fort longtemps, d’ailleurs – les rapports entre les deux pays. Sans vouloir remonter au début des années 50 (lorsque le pouvoir syrien de l’époque avait pris à l’encontre du Liban une série de mesures vexatoires pour tenter de lui imposer son diktat économique et financier), il suffit de retracer les principales phases de la crise libanaise pour mettre en relief à quel point la Syrie n’épargne aucun effort pour s’accrocher à la carte libanaise. En 1983, elle a ainsi mis tout le paquet pour provoquer le départ précipité de la Force multinationale. En août 1989, elle a adopté une attitude particulièrement agressive à l’égard du comité tripartite arabe (issu du sommet de Casablanca, réuni en mai 89) qui s’était prononcé pour l’établissement d’un calendrier de retrait des troupes de Damas en vue du recouvrement de la souveraineté du Liban par ses forces propres. Quant à l’accord de Taëf conclu en octobre 89, son volet relatif au repli syrien a été purement et simplement relégué aux oubliettes. L’un des ténors parlementaires qui a participé à la conférence de Taëf souligne à ce propos que l’esprit dans lequel le document en question a été négocié reposait essentiellement sur l’équation suivante : les chrétiens acceptaient des réformes constitutionnelles en contrepartie d’un repli syrien deux ans après le vote des réformes. Le comité tripartite arabe devait d’ailleurs avaliser une telle approche dans son rapport rendu public fin juillet 89. On connaît la suite des événements ... Dans un tel contexte, la vigilance du Conseil de sécurité vis-à-vis des développements en cours sur la scène locale constitue une véritable aubaine pour le peuple libanais, quelles que soient les motivations réelles des puissances qui en sont l’élément moteur. Les réactions rapides et fermes du secrétaire d’État américain, du Quai d’Orsay ainsi que des ambassadeurs américain, français, britannique, allemand et espagnol, à la suite de la démission de Rafic Hariri et de la désignation de Omar Karamé, constituent sans conteste une première et, par le fait même, un indice de la détermination affichée de la communauté internationale à maintenir le Liban sous surveillance rapprochée. Plus que jamais, une telle vigilance est cruciale pour le devenir même de la démocratie dans le pays. L’une des principales tâches du cabinet Karamé sera en effet d’élaborer une nouvelle loi électorale et d’organiser les prochaines élections législatives. La tentation sera sans doute grande pour Damas et ses alliés locaux de façonner la loi électorale et de tronquer le scrutin du printemps 2005 de manière à verrouiller le Parlement et à contrôler l’élection du futur président de la République appelé à succéder au général Émile Lahoud dans trois ans. Les prises de position répétées des différents responsables américains et européens, ces derniers jours, concernant leur volonté de s’assurer du bien-fondé des pratiques démocratiques, dans le sillage de la 1559, sont ainsi déterminantes. De cette ombrelle onusienne et internationale dépendra sans aucun doute, dans une large mesure, le sort de l’indépendance politique du Liban. Michel TOUMA
Il ne faut surtout pas s’y méprendre. Les difficultés rencontrées par Omar Karamé pour former son gouvernement pourraient être un signe de bonne santé, aussi paradoxal que cela puisse paraître. L’histoire contemporaine du Liban a été systématiquement marquée par des scénarii semblables à celui auquel nous assistons aujourd’hui. Du moins avant la guerre. Ou plus...