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Actualités - OPINION

Un Premier à premières

Pour Omar Karamé, réalisme et optimisme ne sont pas incompatibles. Je ne me fais pas d’illusions et ne peux faire des miracles, a-t-il modestement prévenu les Libanais : lesquels, d’ailleurs, n’ont aucune difficulté à le croire sur parole. Et pourtant, ce chef de gouvernement de transition, dont la tâche essentielle va consister à préparer une loi électorale satisfaisant toutes les parties dans la perspective des législatives de 2005, se propose hardiment aussi : de réduire la corruption étatique, « à condition qu’on lui laisse les coudées franches » (?) ; d’assainir les finances publiques en mettant le holà au gaspillage, sans qu’il ne soit plus besoin de recourir à Paris II ou à un éventuel Paris III ; et de faire face efficacement enfin aux pressions étrangères dont le pays est actuellement l’objet. Pour résolu qu’il puisse être cependant, Omar Karamé est un de ces hommes qui jouent de malchance plus qu’à leur tour : ce qui naturellement n’est pas fait pour rassurer les citoyens. Premier chef de gouvernement de la République de Taëf – on lui doit la mise en œuvre de l’arrimage du pays à la Syrie – il est aussi un des seuls dans les annales libanaises à avoir dû rendre son tablier sous la pression de la rue, insurgée contre la cherté de vie et la folle envolée du dollar. Remplacé par l’étoile montante de l’époque Rafic Hariri, Karamé a passé le plus gros de ces dernières années dans une morne opposition dont la justice commande de reconnaître qu’elle lui a valu, en certaines occasions, de douloureuses remontrances syriennes. Et voilà que le doux, le tant attendu moment de la revanche, celui où les rôles se trouvent enfin inversés, survient dans le plus défavorable, le plus ingrat des contextes. Car même s’il a droit au bénéfice du doute quant à ses intentions, même s’il s’est empressé de tendre la main à tous, même s’il s’emploie en ce moment à étoffer autant que possible l’équipe de seconds couteaux qu’on lui destinait initialement en haut lieu, Omar Karamé n’aura probablement pas trop d’un miracle pour nous gratifier, au printemps, d’une loi électotale équitable, non taillée sur mesure et assurant une authentique représentation nationale. La même intervention céleste permettrait d’aller traquer la corruption partout où elle se niche. Quant à faire front aux pressions planétaires... À peine désigné en effet, le revenant s’est vu attribuer un nouveau et peu flatteur record, devenant le tout premier occupant du Sérail à rater spectaculairement ses débuts dans le monde après avoir essuyé un cruel désaveu américain. « Changements de personnel, départ de Hariri, arrivée d’autres encore plus étroitement liés à la Syrie » : jeudi, le secrétaire d’État Colin Powell a renoncé à toute réserve diplomatique pour condamner cette dernière illustration du rôle – « inapproprié », a -t-il martelé – que joue Damas dans les affaires libanaises. Avant lui déjà, l’ambassadeur Feltman édictait, sur un ton non moins péremptoire, les qualités de transparence et de crédibilité requises des nouveaux ministres : ce très inhabituel cahier des charges il le publiait, qui plus est, à partir du perron de l’inévitable, de l’incontournable, de l’omniprésent Rafic Hariri. Ingérences flagrantes que tout cela ? Bien sûr et même deux fois plutôt qu’une, la France, coauteur avec les États-Unis de la résolution 1559 de l’Onu, n’ayant pas manqué de souligner de son côté que la gestation du prochain gouvernement était observée de très près. Mémoire sélective, tardif réveil des puissances ? C’est non moins clair : depuis sa mainmise sur le Liban au début des années 1990, la Syrie n’a cessé de faire et défaire présidents, ministres, députés et même hauts fonctionnaires sans que les puissances y trouvent trop à redire. Qu’est-ce donc qui a soudain changé ? Tout, comme s’est évertué à l’expliquer ce même jeudi Colin Powell en évoquant l’époque nouvelle, les choses désormais différentes, la nécessité d’adapter ses politiques au monde actuel. Tout, c’est-à-dire la disparition de l’URSS, l’émergence d’une unique superpuissance, la terrible blessure terroriste du 11 septembre 2001, l’aventure irakienne, le chaudron de Palestine porté à ébullition, et on en passe. La seule chose qui n’a pas changé, qui s’est calcifiée dans un déséquilibre criant, c’est la fruste coquille syro-libanaise, laquelle se croyait à l’abri du temps, à l’épreuve de l’évolution et du progrès. Ingérence, ingérence ? Oui, mais quelle chance de convaincre peuvent avoir les deux alliés syrien et libanais qui n’ont jamais réussi à bâtir sur des bases véritablement saines et solides ces fameuses relations privilégiées dont ils se prévalent pourtant. Au premier on aura beau jeu de reprocher qu’il n’a pas lésiné sur ses ingérences, n’épargnant aucun domaine de la vie libanaise : lesquelles ingérences, à son grand désarroi, ont fini par appeler d’autres ingérences. L’ingéré, quant à lui, a-t-il seulement aspiré durant toutes ces années à la condition d’État ? Issa GORAIEB
Pour Omar Karamé, réalisme et optimisme ne sont pas incompatibles. Je ne me fais pas d’illusions et ne peux faire des miracles, a-t-il modestement prévenu les Libanais : lesquels, d’ailleurs, n’ont aucune difficulté à le croire sur parole. Et pourtant, ce chef de gouvernement de transition, dont la tâche essentielle va consister à préparer une loi électorale satisfaisant...