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Actualités - OPINION

Éclairage Naissance, demain, du nouveau mouvement dans le cadre d’un vaste congrès d’opposition La Gauche démocratique, ou comment ébranler les dogmes de la gauche libanaise

Revaloriser la notion d’engagement, en pleine déchéance, rendre un peu de crédibilité à l’action partisane et restaurer la confiance des Libanais dans la politique, le tout en donnant un bon coup de pied dans la termitière et une bonne dose de tonus à une gauche libanaise de plus en plus archaïque : tels sont les différents paris de la Gauche démocratique, qui verra officiellement le jour demain, dans le cadre d’un congrès fondateur à Hamra, en présence d’un grand nombre d’opposants. La Gauche démocratique – qui regroupe un panel d’anciens cadres du Parti communiste libanais et de l’Organisation de l’action communiste au Liban, tels que Élias Atallah, Nadim Abdel Samad et Hikmat el-Eid, mais aussi des intellectuels comme Samir Kassir, Ziyad Majed et Élias Khoury, et des étudiants – s’inscrit dans une multitude de dynamiques politiques. Une dynamique d’opposition nationale d’abord, puisqu’elle émerge du centre qui regroupe également, à l’heure actuelle, Kornet Chehwane, le Forum démocratique, la Rencontre démocratique et le Renouveau démocratique. Mais aussi une dynamique de gauche, puisque la Gauche démocratique vient opérer une rupture – mais dans la continuité – avec l’expérience contemporaine de la gauche libanaise. Dans une discussion à bâtons rompus avec L’Orient-Le Jour, Élias Atallah, ancien chef du Front national de la résistance à Israël, évoque la priorité du mouvement à la revalorisation de l’individu, au respect des valeurs démocratiques et des droits de l’homme, mais aussi son attachement à la société civile, à un rôle actif de la femme au sein de la société et à la citoyenneté. Sans pour autant renoncer aux grands thèmes qui ont été, depuis toujours au Liban, l’apanage de la gauche. Mais la Gauche démocratique a toutefois fait de l’autocritique le moteur de son évolution, et si elle reprend ces thèmes traditionnels de gauche – la critique du confessionnalisme politique, l’attachement à l’identité arabe ou à la cause palestinienne –, c’est dans une optique plus rationnelle, plus objective, en tenant compte de l’air du temps qui passe, loin des slogans et des idéologies. Le mouvement se démarque surtout par son rejet des stéréotypes, souligne d’ailleurs Atallah, précisant qu’« il y a beaucoup de démocrates, mais pas assez de démocratie, de formules démocratiques ». C’est pourquoi les membres fondateurs – dont le nombre s’élève à 3 000 – ont pris soin de mettre au point une organisation interne très soucieuse du respect des formes démocratiques (assemblée générale, scrutin à la proportionnelle pour favoriser le débat d’idées, élection directe...). Identité et confessionnalisme politique Pour le nouveau mouvement, la gauche est « développement, lutte contre ce qui est dominant », et sa conception traditionnelle, dogmatique (la lutte des classes...) pourrait aboutir à une conception simpliste selon laquelle la gauche, transnationale, universelle, est déconnectée du réel et n’est pas inscrite dans la réalité de la société dans laquelle elle vit. La Gauche démocratique remet en question plusieurs aspects de l’expérience de la gauche, à commencer par l’imbrication entre le marxisme et le nationalisme arabe de Nasser à la fin des années 60, un « échange un peu hétéroclite qui n’a pas été positif ». Sur le plan économique, par exemple, le mouvement estime que la justice sociale est impossible sans l’établissement d’une relation rationnelle et positive entre le travailleur et celui qui possède les moyens de production. Sinon cela se répercute négativement sur la production et, partant, sur la justice sociale. Ou bien celui qui possède les moyens de production ignore l’aspect humaniste – les droits du travailleur –, ce qui débouche tôt ou tard sur une crise. Partant, la prise de position en faveur de l’ouvrier doit être moins aveugle, plus rationnelle. Concernant l’appartenance à l’arabité, la Gauche démocratique estime que le Liban et le monde arabe sont dans une situation d’appartenance à une identité culturelle, mais n’ont pas la maturité pour une appartenance à la « umma ». « Cette idéologie volontariste selon laquelle les États arabes doivent se fondre dans une seule entité est immature, elle n’a pas tenu compte des données sociologiques des pays concernés ni de la portée des intérêts dans les relations entre ces pays. Partant, les unions qui ont eu lieu, comme la République arabe unie, se sont mutées en relation de dépendance entre un pays dominant et un pays dominé. Or il y a des pays qui ont leur spécificité et qui ont une identité culturelle. Ils doivent se rapprocher selon des mécanismes complexes, et cela est impossible si leurs régimes ne représentent pas les aspirations de leurs peuples, d’où l’importance de la démocratie », souligne Élias Atallah. La Gauche démocratique prône la réouverture d’un débat sur l’identité arabe, d’autant que « le dialogue sur l’appartenance et l’identité arabe a longtemps été corrompu, parce qu’il se posait sur le plan politique, non pas idéologique ». « En fonction de quel critère a-t-on décidé que le Liban est arabe ou non ? Religieux ? En fonction du conflit israélo-arabe ? Ce sont des critères trop étroits. Ce débat a conçu une image erronée de l’arabité, qui est devenue un mouvement synonyme d’islam, ce qui est trop réducteur. Cela dénote un manque de maturité. La pensée musulmane a investi l’arabité ainsi que d’autres concepts qui ont complètement dévié cette notion de son contenu, tels que la logique révolutionnaire, et la vision des libertés individuelles et du rôle de la femme. Il faut sortir ce débat de l’impasse, respecter les spécificités de chacun pour bâtir une véritable appartenance fondée sur un consensus, sans l’imposer par le haut. D’autant que cette appartenance arabe suppose des mécanismes pour gérer les relations entre toutes les parties intégrantes à l’aire arabe : nations, ethnies, communautés et cultures différentes. C’est là le rôle de la démocratie et du respect de l’individu », indique Atallah. Au niveau de la cause palestinienne, la spoliation d’un État par un autre projet d’État, deux mille ans après, pose inévitablement problème. L’attachement à cette cause est surtout d’ordre identitaire et humaniste, mais elle répond aussi à des intérêts, d’autant qu’Israël n’est pas un acteur statique dans la région : il aspire à un rôle annihilateur au niveau régional. Concernant l’abolition du confessionnalisme politique, la Gauche démocratique dénonce l’existence de deux extrémismes dangereux : l’un considère que le confessionnalisme est un facteur essentiel, l’autre pense qu’il s’agit d’un phénomène révélateur d’autres maux. Or il faut traiter le confessionnalisme politique comme un phénomène sociologique : ne pas le résoudre d’une manière volontariste, mais dans le cadre d’un développement global culturel et juridique, du système, loin des slogans. « L’élimination de ce phénomène équivaut à une logique révolutionnaire. Il faut transcender progressivement le confessionnalisme ainsi que d’autres facteurs comme le clientélisme », indique Élias Atallah. Consensus, souveraineté et interaction avec la société La Gauche démocratique met l’accent sur l’importance du consensus libanais. Le Liban est une démocratie consensuelle et l’objectif du mouvement est d’aboutir au dépassement des structures communautaires, pour aboutir à la laïcité, mais par le biais de la citoyenneté. « Nous voulons dépasser les structures communautaires, sans les éliminer, par un travail concomitant au niveau des consciences et des législations, par le biais des institutions et de l’octroi de droits aux individus. Cela renforcera l’appartenance individuelle à l’État, sans toucher aux convictions religieuses de chacun. Par ailleurs, cela met fin au rapport de forces entre communautés et inaugure le règne de la loi », indique-t-il. Enfin, le pluralisme libanais, qui est pour l’instant limité, arbitraire, vécu comme une réalité fatale, doit devenir ouvert, citoyen. Sur l’utilité d’une Gauche démocratique à l’heure actuelle, Atallah rappelle que, depuis 1984, il y a eu plusieurs tentatives de développer la gauche de l’intérieur, notamment au sein du PCL, sans succès, pour des raisons intérieures et extérieures. Partant, la Gauche démocratique répond à deux exigences : l’importance de la gauche comme nécessité sociétale, et de la démocratie comme application de la liberté. Le mouvement a déjà condamné le rôle négatif joué par la Syrie vis-à-vis de la gauche, surtout à partir de 1984. « Un jour, certaines vérités devront être dites sincèrement. La gauche au Liban s’est heurtée aux Syriens dès leur entrée au Liban. Le fait de courber l’échine devant la force se produit parfois dans l’histoire des peuples. Le Mouvement national a dû se résoudre à ce rapport de force. On a imposé à la gauche tout un discours. La concession à la souveraineté, nous l’avons subie », souligne Atallah. Toujours au sujet de la souveraineté, la Gauche démocratique reconnaît que la gauche a commis des erreurs, notamment dans son rapport sur le terrain avec les Palestiniens durant la guerre : « La gauche n’a pu s’empêcher de tomber dans un rapport de manipulation avec les Palestiniens. La droite, elle, est tombée dans un écueil grave dans sa conception de la souveraineté et de l’appartenance à la nation. Peu de chances ont été données au compromis, et les forces étrangères ont tout fait pour empêcher ce compromis. Le rôle syrien n’est pas négligeable dans ce sens. Les illusions des deux courants ont été amplifiées. Le concept de souveraineté a été emmené dans un combat singulier entre la gauche et la droite, alors qu’il devait être au-dessus des dissensions. Pour la gauche, elle signifiait la volonté du peuple libanais, tandis que pour la droite, elle correspondait au caractère définitif de la patrie. Or il n’y a rien de définitif : c’est le peuple libanais qui décide ce qui est, par sa volonté libre. » La Gauche démocratique dénonce également, dans le cadre de ce « travail de sape » syrien vis-à-vis de la gauche, la volonté « d’instrumentaliser par la force et le chantage l’expérience de la résistance nationale à Israël, la première dans son genre émanant de la société dans la région, parce que c’était une expérience pluraliste ». Le nouveau mouvement croit fermement en une chose : la société libanaise, qui s’est préservée malgré toutes les difficultés, se bat pour préserver sa spécificité dans le monde arabe. La société libanaise est forte, et l’État n’a pas réussi à être plus fort qu’elle. Même en l’absence de l’État, la société a pu se maintenir. Sans elle, le pays aurait disparu. Quand l’État « injuste » était absent, la société se portait mieux. La Gauche démocratique est en interaction avec la société dont elle émane, et elle évoluera avec elle. Elle affirme, dans ce cadre, son hostilité à toute légitimité révolutionnaire et son attachement à la légitimité démocratique. Pour elle, la démocratie doit sortir des slogans, s’entourer d’objectivité : elle est avant tout reconnaissance de l’autre. « Il n’y a pas d’alternative à la démocratie. Il faut s’en remettre au jugement des citoyens. Sinon, on devient un dictateur », note Atallah. La gauche a toujours été holiste. Comment expliquer le souci de la Gauche démocratique pour l’individu ? Atallah évoque dans ce cadre la réaction existentialiste au marxisme, pour revaloriser l’individu : « Selon Sartre, l’engagement est le plus haut degré de liberté. L’expérience prouve que plus l’individu dispose d’un espace au sein du groupe, plus il peut manifester son génie, et le contraire est vrai. D’où l’extrême nécessité d’opérer une réconciliation entre l’individu et la société. » Michel HAJJI GEORGIOU
Revaloriser la notion d’engagement, en pleine déchéance, rendre un peu de crédibilité à l’action partisane et restaurer la confiance des Libanais dans la politique, le tout en donnant un bon coup de pied dans la termitière et une bonne dose de tonus à une gauche libanaise de plus en plus archaïque : tels sont les différents paris de la Gauche démocratique, qui verra...