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Actualités - OPINION

Mots de passe

Notre minuscule Liban serait-il donc cet inextricable puzzle, cet insoluble casse-tête qui paraît faire perdre la boule à quiconque entreprend de l’examiner de près ? On serait bien tenté de le croire, à la vue de toutes les contorsions juridico-sémantiques auxquelles continue de donner lieu, plus d’un mois et demi après son adoption, la résolution 1559 du Conseil de sécurité. Celle-ci, est-il besoin de le rappeler, exigeait le départ de toutes les « forces étrangères » encore stationnées au Liban ; et bien que commandée par le souci de réunir la majorité requise pour le vote, la transparente imprécision du texte onusien en faisait une sorte de devinette diplomatique où il n’y avait en réalité pas grand-chose à deviner. Car sans remonter jusqu’à Alexandre le Grand ou aux Hittites, Assyriens et autres Mongols, il était clair que la 1559 ne faisait pas allusion à quelque régiment que les Ottomans, dans la débandade de la Première Guerre mondiale, auraient oublié dans notre bel et accueillant pays. La 1559 ne visait pas davantage les troupes françaises du Mandat, tirailleurs sénégalais inclus, ni les unités britanniques et autres que l’on vit défiler lors de la Deuxième Guerre et qui sont reparties jusqu’au dernier soldat. Au grand désespoir de Beyrouth et de Damas, il ne s’agissait pas non plus là des troupes israéliennes, l’Onu ayant proclamé en effet l’intégralité absolue du retrait opéré en l’an 2000, sans s’arrêter un instant à ce véritable phénomène de génération spontanée que sont les fermes de Chebaa. Toujours est-il qu’un mois plus tard, le secrétaire général Kofi Annan ne pouvait faire autrement que désigner les choses par leur nom, constatant dans son rapport sur le suivi de la 1559 que la Syrie n’avait pas satisfait aux exigences des Nations unies. D’où le nouveau projet de résolution franco-américain présenté jeudi aux 15 pays membres du Conseil de sécurité ; sans toujours nommer la Syrie par crainte d’un éventuel veto, celui-ci réclame une pleine application de la 1559 et invite Annan à faire rapport à nouveau dans les trois mois. Que l’on soit ainsi forcé d’avaler les mots peut-il préjuger de la suite des évènements ? Oui et non. Les archives des Nations unies regorgent de résolutions qui ont nécessité parfois des dizaines d’heures d’âpres débats, dont chaque terme a été négocié dans ses moindres nuances et qui sont néanmoins demeurées lettre morte ; davantage que d’autres parties du globe d’ailleurs, le Proche-Orient a eu son lot de ce genre de pièces de musée. Damas aurait bien tort cependant, et avec lui son fourgon libanais, de se réjouir de la miséricorde des non-dits. Le jeu de devinettes qui ne trompent personne n’est pas sans fin, et le Conseil de sécurité n’est pas figé dans le temps et l’espace, comme le suggèrent les conseils de souplesse prodigués hier au palais Bustros par l’ambassadeur de Russie. Il faut se souvenir aussi que les seules résolutions onusiennes jamais appliquées sont celles qui s’appuyaient aussi sur la détermination des puissances à les traduire dans les faits. Et cette détermination, Washington et Paris ne ratent pas une occasion de la réaffirmer avec force, même si l’on ne peut encore prédire la forme que prendraient les pressions futures sur Damas. À Beyrouth entre-temps, les mots on ne les avale pas : on les déforme, on les dévoie, on s’en gargarise, on les mastique, puis on les régurgite et on leur fait dire ce qu’ils n’ont jamais voulu dire. La Constitution, le solennel serment de s’en faire le gardien ? Simple détail réglé tambour battant dans l’urgence des « circonstances exceptionnelles » : c’est-à-dire, et le fait a été candidement reconnu par Bachar el-Assad, de l’urgente nécessité pour la Syrie de marquer des points face à l’Amérique en offrant souverainement à Émile Lahoud une extension de bail au palais de Baabda ! Le gouvernement est démissionnaire sans techniquement l’être, mais tout en l’étant absolument puisqu’il ne se réunit pas et n’expédie même pas les affaires courantes. Sans avoir été désigné par le Parlement (mais qui s’étonnerait encore des libertés prises avec la malheureuse Constitution ?), Rafic Hariri se comporte en Premier ministre désigné : en successeur de Rafic Hariri, condamné qu’il est, semble-t-il, à une cohabitation qui n’enchante guère non plus le chef de l’État. Non moins scabreuse serait une autre cohabitation que l’on s’emploie en vain à créer au sein d’un cabinet dit « d’union », lequel servirait à offrir au monde un visage plus amène de l’État libanais. Car on y verrait siéger, côte à côte, représentants de la « ligne nationale » et les « autres ». Comme on l’aura deviné, les « nationaux » sont ceux qui n’existent le plus souvent sur la carte politique que par la grâce des ingérences syriennes ; et qui se sont élevés en chœur contre l’intolérable irruption des Occidentaux dans « nos » affaires. Exceptionnelles, les présentes circonstances ? Mille fois plutôt qu’une : exceptionnelles d’absurdité. Issa GORAIEB
Notre minuscule Liban serait-il donc cet inextricable puzzle, cet insoluble casse-tête qui paraît faire perdre la boule à quiconque entreprend de l’examiner de près ?
On serait bien tenté de le croire, à la vue de toutes les contorsions juridico-sémantiques auxquelles continue de donner lieu, plus d’un mois et demi après son adoption, la résolution 1559 du Conseil de...