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Actualités - CHRONOLOGIE

Environnement - Manque d’initiative des municipalités et laxisme des autorités Le fleuve de Beyrouth : des ordures et des eaux d’égouts qui se déversent quotidiennement dans la mer (Photo)

Un véritable ramassis d’ordures, d’objets hétéroclites jetés ici ou là par des commerçants peu scrupuleux, de pièces de rechange de voitures, de déchets d’usines déversés tout le long de son cours, mais aussi d’eaux d’égouts de différentes régions du pays : tel est le lot quotidien du fleuve de Beyrouth, aujourd’hui asséché avant la saison des pluies. Un fleuve dont l’embouchure est un cloaque compact, infesté d’insectes et de rats, qui se déverse directement dans la mer, avec force odeurs nauséabondes. Dans l’indifférence la plus totale. Le seul entretien dont bénéficie ce fleuve est une, voire deux opération(s) de nettoyage par an. Sans plus. L’une de ces opérations de nettoyage est d’ailleurs en cours, comme chaque année avant la première pluie, mais elle ne résoud pas le problème de la pollution endémique qui gagne quotidiennement le fleuve, pas plus que celui des eaux d’égouts qui se déversent sans arrêt dans son lit. En cette saison, le fleuve de Beyrouth n’est qu’un mince filet qui progresse lentement entre les herbes sauvages : descendant des montagnes de Hammana, via la vallée de Daychounyeh, vers l’embouchure de La Quarantaine, il passe sous le pont de Jisr el-Bacha, longe Bourj Hammoud, avec son marché aux légumes et ses garages, et traverse Sin el-Fil et le pont de Jisr el-Wati, avec son marché du dimanche, baptisé Souk el-ahad. Son lit, comme chaque fin d’été, complètement asséché, ressemblait, avant d’être nettoyé, à une décharge publique, envahie d’ordures ménagères et d’immondices en tout genre, déversés çà et là par des particuliers ou des chauffeurs de camions-poubelles peu scrupuleux. Un lit parsemé aussi de déchets industriels, pneus, pièces détachées de voitures, huiles de vidange, caisses en bois ou en carton, portes ou fenêtres en bois, vêtements même, jetés par les usines, les commerçants, les garagistes ou les habitants de la région, ainsi que les exposants du souk du dimanche ou du marché aux fruits et légumes. Nettoyer le fleuve, en attendant mieux Au fur et à mesure de son parcours, ce mince filet d’eau grossit, pour se jeter dans la mer avec la force d’un véritable fleuve. Un fleuve alimenté d’une part, par les eaux d’égouts d’Achrafieh qui rejoignent son lit avec force puanteurs, et nourri, d’autre part, des eaux usées du Mont-Liban et des bicoques de Bourj Hammoud, construites le long du fleuve. Avant d’atteindre le terme de sa course, il traverse encore des montagnes de déchets, déversés là par l’usine de compostage située en bord de mer, et passe aussi par les abattoirs de Beyrouth. Résultat : à l’embouchure du fleuve de Beyrouth, dans la région de La Quarantaine, c’est un cloaque compact et nauséabond, infesté de mouches, d’insectes et de rats qui se déverse dans la mer, sans que les responsables ne réagissent pour autant. Alors que les municipalités concernées par le fleuve de Beyrouth se défendent d’être la cause de sa pollution et pointent un doigt accusateur, soit en direction du CDR, soit en direction du ministère des Travaux publics ou en direction du gouvernement, qu’elles accusent de ne pas faire leur devoir, de ne pas nettoyer le lit du fleuve, à la veille de la saison des pluies, mais aussi de ne pas trouver de solutions globales au problème des égouts qui se déversent, dans leur totalité, dans la mer. L’État continue ainsi de faire la sourde oreille et se contente simplement de nettoyer le lit du fleuve, une ou deux fois par an. Nettoyer le lit du fleuve est, certes, une priorité à l’heure actuelle, avant que la première pluie ne draine vers la mer la panoplie de déchets, mais cette action ne peut, à elle seule, résorber la pollution que constitue ce fleuve pour la grande bleue. Elle s’avèrerait totalement inutile si aucune mesure n’est prise pour régler le problème à la base, autrement dit pour trouver une solution radicale au problème des égouts et eaux usées de différentes régions qui se déversent dans le fleuve, puis dans la mer. Sans compter la pollution dont les usines, les commerçants, les garagistes et les particuliers sont directement responsables. En toute impunité. Même si, çà et là, on relève quelques initiatives isolées, quelques prises de conscience des habitants. Mais peut-être tout cela n’est-il que de la poudre aux yeux... Garagistes et commerçants des marchés montrés du doigt « Jeter des déchets dans le fleuve ? Mais c’est impensable », observait, il y a une semaine, un garagiste dont l’atelier, situé à Bourj Hammoud, longe le fleuve de Beyrouth. Et d’ajouter que la municipalité, qui vient d’ailleurs de repeindre en vert le mur d’enceinte du fleuve, interdit formellement aux garagistes de se débarrasser de leurs déchets dans le lit du fleuve, sous peine d’amende. Mais quelques mètres plus bas, sous nos yeux, gisaient, ce jour-là, des carcasses de portes, de calandres de voitures et différentes pièces détachées, dont des pneus. On observait même des traces noires d’huile de vidange, ainsi que des pots d’huile, bien évidemment balancés là par les garagistes eux-mêmes. Les amendes et sanctions dont parlait le garagiste susmentionné ne semblent que pure invention ou une simple mise en garde d’une municipalité qui n’a jamais donné suite aux avertissements lancés. Interrogés sur la question, trois présidents des principales municipalités concernées, celles de Bourj Hammoud, de Sin el-Fil et de Beyrouth (voir encadré par ailleurs) donnent leur vision du problème. Le président de la municipalité de Bourj Hammoud, Antranik Massarian, se contente d’évoquer ce dossier sous l’angle de l’entretien saisonnier, expliquant que le nettoyage du lit du fleuve relève de la responsabilité du ministère des Travaux publics, qui adjuge les travaux à des sociétés ou des organismes. « D’ailleurs, précise-t-il, c’est en cette période que les travaux d’entretien sont généralement effectués, avant la première pluie. Quant à la municipalité elle-même, elle n’a aucun rôle dans cette opération. Mais nous participons cependant aux opérations de nettoyage afin de donner un coup de main au ministère. » De son côté, le président de la municipalité de Sin el-Fil, Nabil Kahalé, voit le problème sous un autre angle. « Le fleuve de Beyrouth, explique-t-il, relève de différentes municipalités, dont celles de Beyrouth, de Furn el-Chebback, de Hazmieh, de Bourj Hammoud et de Sin el-Fil. Quant à la responsabilité de son entretien, elle revient au Conseil du développement et de la reconstrution (CDR) qui a parfaitement rempli ses engagements durant deux ans. Mais les choses se sont malheureusement détériorées, poursuit M. Kahalé, et la dernière initiative de nettoyage des lieux remonte à un mois : une initiative qui a été interrompue pour une raison que nous ignorons. La région de Sin el-Fil est aujourd’hui la plus lésée. Et ce, malgré les nombreuses lettres de protestations que nous avons envoyées au gouvernement pour qu’il se penche, de manière efficace, sur le problème ». La corruption, en prime Et le président de la municipalité d’évoquer les différentes causes de pollution du fleuve, qui rendent inutiles les campagnes de nettoyage. « Le marché aux légumes est un véritable désastre, dit-il. Non seulement ce marché est illégallement installé sur un domaine public, mais il jette toutes ses poubelles dans le fleuve ». Quant au Souk el-ahad, situé à la frontière entre les deux municipalités de Beyrouth et de Sin el-Fil, il représente, au même titre que le marché aux légumes, une importante source de pollution, déplore le président de la municipalité de Sin el-Fil, accusant les commerçants du dimanche de jeter toutes leurs poubelles dans le fleuve. « De même, poursuit-il, les garagistes, établis eux aussi sur des biens publics, et de surcroît étant exemptés de loyer, ne se privent pas de balancer tous les objets indésirables dans le lit du fleuve. Tous ces commerçants installés de manière illégale représentent une importante poche de corruption dans la région. » « Les pressions que nous exerçons pour les en déloger n’ont jamais abouti, observe M. Kahalé, ajoutant que ces commerçants bénéficient du soutien de personnalités haut placées. D’ailleurs, le problème dépasse le domaine de l’environnement et de la pollution pour devenir un problème de corruption et de clientélisme », précise M. Kahalé. Aujourd’hui, personne ne se soucie du fleuve de Beyrouth, estime-t-il. « Même si la pollution du lit du fleuve n’est pas de la responsabilité de la municipalité de Sin el-Fil ou de toute autre municipalité, nous en sommes les principales victimes », conclut-il, avouant ainsi son incapacité à résoudre ne serait-ce qu’une infime partie du problème, sans un appui politique efficace. En attendant que les politiciens et les municipalités se décident à se pencher sur le problème, le fleuve de Beyrouth continue de recevoir, tous les jours, son lot de saletés, de déchets et d’égouts qu’il déverse dans la mer. Le week-end dernier, une opération de nettoyage a été observée par les habitants des régions limitrophes du fleuve, car la pluie semble s’annoncer pour très bientôt, selon les prévisions météorologiques. Le problème est qu’une fois cette opération de nettoyage terminée, et même bien avant, de nouveaux détritus et déchets seront jetés dans le fleuve par les commerçants, les garagistes, les usines et les particuliers, alors que les égouts, eux, continueront de l’alimenter et de se déverser dans la mer, avec toute leur puanteur. Une responsabilité partagée entre les municipalités et le gouvernement, souligne Abdel Meneem Ariss Les solutions existent, reste à faire bouger les choses Les opérations de nettoyage du fleuve de Beyrouth ont été entamées le week-end dernier, juste avant la saison des pluies. Mais la pollution du fleuve continue de susciter les inquiétudes du président de la municipalité de Beyrouth, Abdel Meneem Ariss. Ce dernier dénonce les nombreuses sources de pollution qui salissent le lit du fleuve, depuis la montagne, tout en certifiant qu’aucune des causes de pollution ne provient de la ville même de Beyrouth. Mais il omet cependant d’aborder la pollution apportée au fleuve par l’usine de compostage et les abattoirs de Beyrouth. Quant aux égouts de la capitale qui se déversent directement dans le fleuve, il en parle comme d’un problème à l’échelle nationale qui nécessite une décision gouvernementale. Pointant un doigt accusateur en direction du gouvernement, il explique que des solutions concrètes ont été proposées par le biais d’études entreprises en 1982. « Mais jusque-là, déplore-t-il, le gouvernement n’a jamais pris la moindre initiative pour régler le problème. » « La pollution du fleuve de Beyrouth est d’autant plus grave que ce fleuve traverse des zones à forte densité de population », observe Abdel Meneem Ariss. Une pollution qui débouche de partout et dont les causes sont diverses, déplore-t-il, à l’instar de l’ensemble des fleuves et des vallées du pays. « En fait, précise M. Ariss, la responsabilité de cette pollution est partagée entre les nombreuses municipalités concernées, qui se chiffrent par dizaines, le fleuve de Beyrouth passant par plus d’une cinquantaine de villages, depuis Hammana jusqu’au littoral. » Chaque région y verse donc son lot de déchets, d’égouts et d’eaux usées, comme il est de mise dans l’ensemble du pays, les sources de pollution les plus graves étant, certes, les déchets jetés par les usines, les égouts et les eaux usées. Une mobilisation nécessaire Évoquant le problème des poubelles, des immondices et des déchets en tout genre jetés par les commerçants, les garagistes, les usines ou même les habitants, Abdel Meneem Ariss indique qu’il doit être directement traité par les municipalités elles-mêmes. Et de signaler qu’un contrat a été signé entre Sukleen et les municipalités pour que la société de collecte des ordures ramasse tous les objets indésirables, même les plus encombrants. Il invite aussi les municipalités à mettre des bennes à ordures à la disposition des habitants et des commerçants de certains quartiers pour leur permettre de se débarrasser de leurs ordures. « Le cas échéant, personne n’aurait plus besoin de jeter ses poubelles et objets encombrants dans le fleuve et une partie du problème serait résolue. C’est simple », dit-il. Par ailleurs, « le problème des eaux usées et des égouts nécessite une solution radicale, comme l’installation de stations d’épuration et de traitement », estime le président de la municipalité de Beyrouth. « Cependant, le gouvernement tarde à concrétiser ces projets », déplore-t-il, précisant que les fonds sont disponibles et que les études de faisabilité entreprises en 1982 attendent depuis lors. Aussi propose-t-il, de manière provisoire, en attendant que l’État se décide à réaliser ces projets, que des bassins de collecte des eaux usées soient installés pour recueillir les eaux usées et égouts de Beyrouth et des autres régions, pour une période de deux à trois jours, avant que ceux-ci soient déversés dans la mer. « Ce système permettrait une certaine dégradation des eaux usées qui, de ce fait, seraient moins polluantes pour la mer », observe-t-il. « Les municipalités n’ont pas les moyens financiers de conduire des projets de ce genre. C’est au gouvernement d’en prendre la responsabilité et de charger le CDR de résoudre le problème », indique M. Ariss. À quand une décision ministérielle dans ce sens ? « Je l’ignore, répond-il, mais il faut faire bouger les choses ». D’ailleurs il propose que la société civile se mobilise dans ce sens... Faire bouger les choses ? Les autorités ne semblent pas vraiment pressées de le faire. Le mohafez de Beyrouth et du Mont-Liban, Yaacoub Sarraf, n’avait toujours pas répondu, hier, aux questions de L’Orient-Le Jour, relatives au fleuve de Beyrouth. Anne-Marie EL-HAGE
Un véritable ramassis d’ordures, d’objets hétéroclites jetés ici ou là par des commerçants peu scrupuleux, de pièces de rechange de voitures, de déchets d’usines déversés tout le long de son cours, mais aussi d’eaux d’égouts de différentes régions du pays : tel est le lot quotidien du fleuve de Beyrouth, aujourd’hui asséché avant la saison des pluies. Un...