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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB D’eau, de sable et de sang

De l’histoire, on a pu dire tout à la fois qu’elle se répète et même qu’elle se plagie : ou bien, tout au contraire, qu’elle ne repasse jamais le même plat. À quoi l’on pourrait ajouter que si l’histoire insiste tout de même parfois à recourir à des remakes, c’est parce que, dans leur folie destructrice, les hommes n’ont rien compris, rien appris. Quoi qu’il en soit, c’est un retour à la guerre sans frontières initiée à la fin des années soixante que semblent annoncer les attentats de jeudi contre trois stations balnéaires du Sinaï fréquentées par des touristes israéliens : opérations survenant dans un contexte régional et mondial que le phénomène Ben Laden rend plus que jamais explosif. À cette époque, les territoires occupés de Cisjordanie et Gaza somnolaient encore sous l’occupation car c’est le plus souvent hors de Palestine qu’opéraient les divers mouvements de fédayine, soumis ou non à l’autorité de l’OLP. C’était le temps des détournements d’avions, des sanglantes prises d’otages, notamment au village olympique de Munich ; c’était le temps aussi des funestes et folles théories voulant que la route de Jérusalem passe par Amman puis par Beyrouth, et même jusque par Jounieh. Israël n’était pas en reste, qui, non content de bombarder sauvagement les populations des camps de réfugiés, envoyait ses tueurs liquider des chefs palestiniens dans des capitales arabes et européennes. Le réveil des Territoires a fini par avoir lieu avec les premières intifadas, lesquelles ont fait prendre conscience à nombre d’Israéliens de l’urgence absolue d’un règlement. Il y eut le miracle de l’accord d’Oslo ; et de là où il s’engageait publiquement à « briser les os » des jeunes lanceurs de pierres, Yitzhak Rabin en venait à échanger avec Yasser Arafat une poignée de main qualifiée alors d’historique. Mais la pression conjuguée – et objectivement complice – des extrémismes a fait rebrousser chemin à l’histoire. À l’image de ce monstrueux serpent qui n’en finit pas de dévorer sa propre queue, le vieux conflit fait rage de nouveau sans même que puisse se concevoir l’ombre d’une issue militaire. Depuis des années, c’est la guerre en Palestine, et singulièrement dans cette même bande de Gaza que promet d’évacuer pourtant Sharon en n’y laissant pas, du train où vont les choses, pierre sur pierre. Et c’est une autre guerre, non moins lourde de conséquences, qui vient peut-être de commencer hors de Palestine : à ce détail essentiel près qu’elle ne met pas aux prises, semble-t-il, les seuls Israéliens et Palestiniens. C’est en effet la marque d’el-Qaëda que croient relever les autorités tant égyptiennes qu’israéliennes dans les sanglants attentats de Taba et Ras Chaïtan, lesquels ont fait l’objet de plus d’une et fumeuse revendication. Ces soupçons ne tiennent pas seulement à la remarquable simultanéité des trois attaques ou à la manière de procéder mettant en jeu, comme à l’hôtel Hilton de Taba, des véhicules-béliers bourrés d’explosifs et des commandos-suicide. Car après tout, l’Égypte est autant visée qu’Israël par cette vaste opération qui porte un grave coup à son industrie touristique à peine remise de précédentes actions terroristes : l’Égypte amie des États-Unis et explicitement menacée déjà dans un passé récent par des lieutenants de Ben Laden ; l’Égypte qui s’active enfin pour dégager un consensus entre les diverses fractions palestiniennes sur le projet de retrait israélien de Gaza. Toujours est-il que si la piste d’el-Qaëda se trouvait vérifiée, cela voudrait dire que cette tentaculaire organisation a repris à son compte – sur le terrain, et non plus seulement dans ses manifestes et communiqués – le juste combat des Palestiniens. Ce serait énorme. Ce serait catastrophique aussi : surtout s’il devait s’avérer que dans le désespoir auquel on les pousse sans relâche, certains Palestiniens avaient rejoint avec armes et bagages les invisibles mais terriblement efficaces légions d’Oussama Ben Laden. Comment oublier en effet qu’à peine retombée la poussière du World Trade Center, Sharon, soucieux de s’enrôler dans le combat planétaire de George W. Bush, s’empressait de désigner en Arafat le Ben Laden d’Israël ? Ce même processus d’assimilation n’explique-t-il pas d’ailleurs l’incroyable parti pris de l’Administration US pour le plus outrancièrement belliqueux des gouvernements israéliens ? Comment perdre de vue en outre que si la guerre sans frontières est de retour, c’est aussi parce qu’Israël lui-même a pris l’initiative d’étendre son champ d’opérations en perpétrant dernièrement des assassinats à la voiture piégée à Beyrouth puis à Damas ? Terroristes, les attentats du Sinaï l’étaient assurément, et pas seulement parce qu’ils ont fauché des dizaines de civils, israéliens et égyptiens. Le pire qui pourrait encore arriver à une cause palestinienne déjà bien mal en point, c’est d’être réduite à l’atterrante condition d’otage. Aux mains de ces sulfureux, de ces faux amis.

De l’histoire, on a pu dire tout à la fois qu’elle se répète et même qu’elle se plagie : ou bien, tout au contraire, qu’elle ne repasse jamais le même plat. À quoi l’on pourrait ajouter que si l’histoire insiste tout de même parfois à recourir à des remakes, c’est parce que, dans leur folie destructrice, les hommes n’ont rien compris, rien appris. Quoi...