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Actualités - REPORTAGE

Sami Karkabi met en garde contre les effets de la pollution et du pompage des eaux de Nabeh el-Laban La régénération de la nappe souterraine de Jeïta serait-elle menacée ? (photo)

Dans quelle mesure, jusqu’à quelles limites les sources de Nabeh el-Assal et Nabeh el-Laban peuvent-elles être exploitées ? Les spécialistes ont démontré, depuis 1875, qu’elles ont un rôle vital dans la régénération de la nappe souterraine qui alimente la rivière de Jeïta. Par conséquent, si elles venaient à disparaître, elles contribueraient à l’arrêt du pompage destiné à desservir en eau potable le Grand Beyrouth et une partie du Metn et du Kesrouan. Or « Nahr es-Salib, dans lequel se déversent les deux sources du Laban et du Assal, est actuellement très pollué par les déchets des nombreux chantiers de construction, les carrières et fabriques de pierres de revêtement, qui colmatent et imperméabilisent les fissures alimentant en période de pluies les eaux souterraines de Jeïta », indique le spéléologue Sami Karkabi. De même, il est question aujourd’hui, et les travaux sont en cours, de capter les eaux de Nabeh el-Laban en vue d’alimenter le barrage de Chabrouh. «Cette opération ne peut se faire qu’en période de charge de ladite source (crue et fonte des neiges) puisqu’à l’étiage, son eau est exclusivement consacrée à l’irrigation», ajoute le spécialiste qui se demande, aussi, si ce détournement ne se ferait pas au détriment de la recharge de la rivière souterraine de Jeïta. Faut-il procéder à de nouvelles expériences de coloration et envisager d’élucider le rapport du régime des eaux de Nahr es-Salib avec le bassin inférieur de Nahr el-Kalb, puis agir en conséquence ? Le problème est posé. Il date d’ailleurs du début du siècle dernier et aucun gouvernement n’a pu, ou n’a voulu, le résoudre, malgré les différentes observations alarmantes faites par les spécialistes qui se sont successivement penchés sur le cas. À l’occasion du 50e anniversaire de la découverte des sources de Nahr el-Kalb, Sami Karkabi raconte les différentes étapes de l’exploitation des eaux de Jeïta, en évoquant la première expédition souterraine menée dans la grotte et les opérations de coloration à la fluorescéine, et leurs résultats. Le 22 juillet 1870, les eaux de Nahr el-Kalb font l’objet d’une concession destinée à alimenter la capitale libanaise en eau potable. Cette opération, menée par l’Entreprise des eaux de Beyrouth, est confiée par firman du gouvernement impérial ottoman à M. Thevenin, ingénieur français, aux conditions suivantes : « Les eaux seront empruntées à Nahr el-Kalb en un point voisin de son embouchure et seront conduites par un canal d’amenée à l’usine de Dbayeh. Il sera installé en ce lieu une usine hydraulique destinée à refouler à la vapeur une quantité d’eau préalablement filtrée et estimée à 4 000 m3/jour», raconte le spéléologue, soulignant que pour refouler 1m3 d’eau, il en fallait dix autres destinés à actionner les turbines. Un problème majeur va toutefois se poser à l’apparition des grandes pluies et à la période des crues. «Les eaux de Nahr el-Kalb, fortement contaminées de boue et autres éléments en suspension, vont obstruer les filtres et rendre caduc le système hydraulique. Pour prévenir cet obstacle, la solution consistait à capter les eaux directement à la résurgence. » Le projet est confié en 1873 au bureau d’études anglais Telford, Macneil and Co, qui charge l’ingénieur Maxwell, son second Huxley ainsi que R.W. Brigstocke, ancien de la Royal Navy, et le pasteur américain D. Bliss de découvrir les sources de la rivière souterraine. « Ce sera la première expédition souterraine entreprise à Jeïta. » Mais en raison d’un rapide qu’ils n’ont pas pu franchir, l’aventure s’arrête à 1050 mètres de l’entrée de la grotte. « Le récit d’expédition est relaté dans Good Words (1875) sous le titre “The grottoes of the Nahr el Kalb” (Les grottes de Nahr el-Kalb – pp. 768 à 773). Le texte est illustré de quatre gravures dont l’une représente le fameux “pilier de Maxwell”, qui se trouve à moins de quatre cents mètres de l’entrée et qui est malheureusement occulté par l’actuelle et pitoyable exploitation touristique», dit Sami Karkabi. M. Karkabi souligne que l’ouvrage met l’accent sur les eaux de Nahr el-Kalb nourries par les eaux de Nabeh el-Assal et de Nabeh el-Laban, à Sannine, et par conséquent, « si celles-ci venaient à disparaître dans les fissures souterraines ou à être captées pour l’irrigation, elles contribueraient à diminuer le débit de la rivière souterraine de Jeïta, provoquant l’arrêt du pompage ou bien obligeant le concessionnaire à modifier son installation hydraulique, ce qui inclurait préjudice et dommage ». Cette information donnera matière à un litige qui opposera, à partir de 1911, l’Entreprise des eaux de Beyrouth (devenue depuis Compagnie des eaux de Beyrouth) à la Société des eaux du Kesrouan, qui exploitait les sources de Sannine pour l’irrigation de la région. Pour régler le différend, la Sublime porte dépêche de Constantinople un haut fonctionnaire des Travaux publics pour superviser une étude scientifique et géologique qui sera menée, dans les vallées de Nahr es-Salib et Nahr el-Kalb, par Élie Day, professeur de géologie au Collège américain. « Day conclut à la probabilité d’une communication entre le Haut Nahr es-Salib et la grotte de Jeïta (réf. al-Kulliyah, vol. III n°3, p. 72 – janvier 1912) », indique Karkabi. Les premières colorations à la fluorescéine Toutefois, la Société des eaux du Kesrouan continue à fonctionner et les nombreuses contestations de la Compagnie des eaux de Beyrouth restent lettre morte. Finalement, en raison des intérêts français considérables représentés au sein de la compagnie, le consul général de France intervient en personne le 14 février 1913. Une commission regroupant les membres du Conseil administratif du Liban et du «wilayet» est alors constituée pour superviser trois colorations à la fluorescéine déversées dans les pertes et fissures de Nahr es-Salib et dont la réapparition présumée serait la grotte de Jeïta. « Mais aucune d’elles ne sera homologuée, vu l’absence d’observateurs accrédités à la sortie des eaux de Jeïta. Et pourtant, la troisième ne pouvait passer inaperçue puisque le 6 novembre 1913, près de 30 kg de fluorescéine déversés dans les eaux de Nahr es-Salib (au niveau de Nabeh el-Mghara, à Hrajel) réapparaissent le 12 novembre teintés de vert à Dbayeh puis à Beyrouth », souligne Sami Karkabi, ajoutant que, selon la revue al-Kulliyah (n°3, année 1914), le chimiste James A. Patch a attesté que l’eau des échantillons était vraiment verte et que, durant plusieurs jours, les Beyrouthins l’ont bue sans le remarquer. La commission n’a pourtant pas osé conclure à l’exactitude des résultats obtenus et a proposé de renouveler l’expérience. Mais le déclenchement de la Grande Guerre va envoyer aux oubliettes la question… Jusqu’en octobre 1922, lorsque la Compagnie des eaux de Beyrouth obtient du Haut-Commissaire, le général Weygand, la nomination d’une nouvelle commission. Des experts, parmi lesquels M. Claris, professeur de chimie à l’École française d’ingénieurs de Beyrouth, sont chargés de l’opération coloration. Le spéléologue raconte que «43600 kg de fluorescéine ont été injectés dans les pertes présumées (au nombre de six) de Nahr es-Salib (en aval de Nabeh el-Mghara). Les observateurs étaient partagés en deux équipes, comprenant une commission en amont et une commission en aval. La première supervisait l’injection de fluorescéine. La seconde était chargée de vérifier l’arrivée du colorant à la grotte et de prélever un échantillon d’eau. L’opération a débuté le 3 septembre 1923, à 17 heures, dans le Haut Kesrouan. Les premières manifestations de la coloration détectée à l’œil nu sont apparues le 10 septembre à 2 heures du matin, à la grotte de Jeïta. L’existence de la communication entre les eaux issues de Nabeh el-Laban, Nabeh el-Assal et la grotte de Jeïta est irréfutablement prouvée.» Il restait à évaluer la quantité d’eau absorbée par les différentes pertes de Nahr es-Salib. « Le diagramme de coloration des eaux de la résurgence de Jeïta, établi par M. Claris en 1923, est basé sur l’analyse de 221 échantillons d’eau prélevés à la grotte. Il révèle que près de 70% du colorant a été restitué et, par conséquent, les eaux de Nahr es-Salib dans lequel se déversent les sources du Laban et du Assal sont vitales pour l’alimentation et la régénération des eaux de Jeïta », conclut Sami Karkabi. May MAKAREM Compagnie des eaux de Beyrouth vs Société des eaux du Kesrouan M. Sami Karkabi indique que le 3 avril 1893, un permis d’exploitation de Nahr es-Salib dans un but d’irrigation est accordé par la Cour administrative du Liban à cheikh Sejaan Maroun el-Khazen. En 1905, les droits de cheikh Sejaan sont transférés à cheikh Mansour el-Bitar. En juin 1907, Sélim bey Chaker, sujet ottoman natif du village de Deir el-Harf, représentant un syndicat de financiers d’Égypte, demande à la Cour administrative de transférer ces droits à son propre nom. La Compagnie des eaux de Beyrouth s’en alarme et proteste de façon formelle auprès de Youssef pacha, gouverneur du Liban. Ce dernier ignore les protestations et accorde une nouvelle autorisation à Michel bey Tuéni. Le «wali» de Beyrouth intervient alors auprès de la Sublime porte qui envoie de Constantinople un haut fonctionnaire des Travaux publics en vue d’effectuer une étude scientifique et géologique des lieux. La compagnie, méfiante, demande d’associer à la mission M. Élie Day, professeur de géologie au Collège américain. « M. Day se rend dans les vallées de Nahr es-Salib et de Nahr el-Kalb, et conclut à la probabilité d’une communication entre le Haut Nahr es-Salib et la grotte de Jeïta (réf. al-Kulliyah, vol. III, n°3, p. 72 – janvier 1912). Dès lors, Michel bey Tuéni, renonce à poursuivre ses démarches, mais Sélim bey Chaker revient à la charge en 1911. « Malgré les protestations de la compagnie, la concession lui fut finalement accordée par “mazbata”, sanctionnée le 7 juillet 1911 par Youssef pacha, gouverneur du Liban. Le transfert de cette concession donne naissance à la Société des eaux du Liban. Elle sera cédée quatre mois plus tard par son bénéficiaire à une société constituée par un groupement anglais. Le gouvernement de Constantinople ne paraît pas être intervenu dans l’affaire », souligne Sami Karkabi. La découverte des sources de Nahr el-Kalb Il y a 50 ans, le 26 septembre 1954, quatre membres du Spéléo-club du Liban remontent le cours de la rivière souterraine de Jeïta dans l’espoir de lever le mystère entourant ses origines. Ils sont arrêtés au bout de sept jours par l’infranchissable voûte mouillante. C’est, certes, une grande déception, mais ils viennent de découvrir, à 6 200 mètres de l’entrée de la grotte, les sources de Nahr el-Kalb. Sources qui alimentent en eau potable le Grand Beyrouth et, partiellement, le Metn et le Kesrouan. Nahr el-Kalb, ou « Lycus » L’entrée de la grotte et les quelques mètres qui la séparent du cours d’eau souterrain sont connus de longue date. Des vestiges préhistoriques ou protohistoriques ont été mis au jour dans le périmètre immédiat de la caverne, et les Romains appelaient le cours d’eau issu de la grotte « Lycus », devenu depuis Nahr el-Kalb, ou «Fleuve du chien ».
Dans quelle mesure, jusqu’à quelles limites les sources de Nabeh el-Assal et Nabeh el-Laban peuvent-elles être exploitées ? Les spécialistes ont démontré, depuis 1875, qu’elles ont un rôle vital dans la régénération de la nappe souterraine qui alimente la rivière de Jeïta. Par conséquent, si elles venaient à disparaître, elles contribueraient à l’arrêt du pompage...