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Actualités - OPINION

L’haleine du diable

La mort dans l’âme, mais bien à l’abri dans le mince et fragile cocon d’une tranquillité retrouvée, on était là à observer la descente aux enfers de l’infortuné Irak. Images d’une terrible banalité, sur notre petit écran, de flammes et de fumée, de débris calcinés, de sang recouvrant la chaussée sur fond de lamentations, de vociférations des secouristes et de hurlements de sirènes. Tout cela est bien triste, vous disiez-vous en regardant votre bulletin télévisé ou en lisant votre journal. Et vous passiez à autre chose, chassant impitoyablement de votre mémoire jusqu’au souvenir de ces journées noires où ces diaboliques engins de mort, les voitures piégées, faisaient des hécatombes dans votre propre pays, dans votre ville, dans votre quartier. Le revoilà qui pointe son répugnant museau, le monstre. Comme pour nous rappeler que rien n’est encore dit, que rien n’est jamais définitif et que les portes de l’enfer ne sont pas refermées pour toujours: à preuve le souffle brûlant qui s’en est échappé hier, manquant de peu d’ emporter le député du Chouf et ministre démissionnaire Marwan Hamadé dont l’un des compagnons, d’ailleurs, a péri dans l’explosion. Qui a planifié ce lâche attentat ? Et pourquoi ce cerveau malade a-t-il choisi pour cible ce brillant politique, cet ardent démocrate membre éminent du bloc du leader druze Walid Joumblatt, proche par ailleurs du Premier ministre Rafic Hariri, et dont la grande culture, jointe à son sens consommé de la diplomatie et sa modération, lui gagnent l’estime des fractions libanaises les plus diverses et aussi celle des chancelleries ? À ces angoissantes questions, une bonne partie de l’opinion publique, se fondant sur les développements des dernières semaines, est tentée d’apporter des réponses aussi tranchées que spontanées. Marwan Hamadé est en effet un de ces quatre ministres qui, pour leur honneur, ont claqué la porte en protestation contre l’amendement de la Constitution portant prorogation du mandat du président Lahoud. Et il fait partie de cette trentaine de députés qui, dénonçant les ingérences syriennnes comme celles des services locaux, ont publiquement voté contre cet amendement. Voilà qui pourrait suffire, aux yeux de nombreux Libanais, pour déterminer la provenance exacte du sanglant message délivré hier, encore qu’en matière de déstabilisation, il est parfois imprudent de s’en remettre aveuglément au vieil adage « à qui profite le crime ». Et que tout esprit sain voit mal quelle sorte de « profit » il y a à tirer à la longue d’une aussi vile, d’une aussi infâme agression : cela sans oublier qu’une des formes les plus vicieuses de la subversion est la provocation, visant précisément à faire se tourner tous les regards sur le premier suspect, le suspect idéal, le suspect en or massif. Là réside, d’ailleurs, le fond du problème : dans la détermination, la constance, la persévérance avec laquelle la Syrie baassiste, usant de tous les moyens en sa possession, s’est acharnée à prendre d’autorité, puis à conserver jalousement contre vents et marées, le contrôle exclusif d’un Liban dont le monde s’aperçoit un peu tard, aujourd’hui, qu’il mérite tout de même mieux que le statut de sous-province qui lui a été assigné. C’est ce refus obstiné de céder le moindre pouce de terrain qui, dans la foulée de l’Accountability Act américain, a valu à la Syrie cette résolution onusienne 1559 du 2 septembre lui demandant de se retirer de notre pays et de cesser de s’immiscer dans ses affaires. Et c’est le même refus, ponctué le jour même par la prorogation abusive du mandat présidentiel au Liban qui lui a attiré hier encore, et nommément cette fois, les remontrances du secrétaire général Kofi Annan, même si aucun mécanisme de suivi international n’est encore envisagé à ce stade. C’est dire que la Syrie, et avec elle son fourgon de queue libanais, sont aujourd’hui scrutés à la loupe par la communauté internationale, laquelle ne saurait se satisfaire du redéploiement de troupes intervenu la semaine dernière. C’est dire aussi que cette haute surveillance ne devrait pas épargner les activités des services de renseignements syriens dont le rapport Annan ne manque pas de signaler d’ailleurs l’importance considérable des effectifs opérant sur le sol libanais. C’est dire enfin les aléas que recèle cette délicate et périlleuse période de transition durant laquelle Damas va devoir mettre en balance ce qu’il y a à perdre – ou à gagner – à se soumettre à la volonté internationale : laquelle vient conforter celle de tous les Libanais qui n’aspirent qu’à entretenir des relations fraternelles avec leurs voisins de l’Est, mais seulement dans le respect de leur indépendance et de leur souveraineté. La vague déferlante de condamnations qu’a suscitée l’attentat d’Aïn-Mreyssé – et à laquelle ont tenu à s’associer les puissances, grandes et moins grandes – montre clairement qu’un certain seuil de tolérance vient d’être atteint. Qu’après une longue cécité favorable aux bazars régionaux, la loupe est bien en place, et qu’elle est dotée du grossissement adéquat. Reste à dire que ni Beyrouth ni Damas, qui a dépêché hier au chevet de Hamadé son vice-président, ne peuvent plus se borner au rituel des condamnations. Plus que jamais, il leur faut fournir à un monde sceptique des preuves de respectabilité. Santé et sécurité pour tous, pour l’opposition bien davantage encore que pour les préposés à la claque : mieux que leur devoir, c’est l’intérêt bien compris des deux capitales qui le commande désormais. Issa GORAIEB

La mort dans l’âme, mais bien à l’abri dans le mince et fragile cocon d’une tranquillité retrouvée, on était là à observer la descente aux enfers de l’infortuné Irak. Images d’une terrible banalité, sur notre petit écran, de flammes et de fumée, de débris calcinés, de sang recouvrant la chaussée sur fond de lamentations, de vociférations des secouristes et de...