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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - De la Sorbonne au Festival de Freikeh, plus de cinquante ans de passion pour un théâtre total Mounir Abou Debs en «état de présence» (photos)

Difficile de rencontrer le dramaturge et metteur en scène Mounir Abou Debs ailleurs que dans sa magnanerie, fraîchement rénovée, dans son village natal de Freikeh, à quelques kilomètres de Beit-Chabab. Le regard vers la montagne du Kesrouan, l’homme aux cheveux blancs hâtivement noués en un minuscule chignon, le mot juste et le sourire furtif, se souvient de ses retrouvailles avec une bâtisse qu’il n’a jamais oubliée. «Je n’étais pas revenu au Liban depuis 1976. Et voilà que sept ans plus tard, à l’occasion d’une représentation que je devais donner à Antélias de ma mise en scène de l’œuvre de Gibran, je répète dans la magnanerie, dont le toit était totalement effondré.» Le retour au pays, après deux longues absences vers la capitale française, de 1952 à 1960 d’abord et de 1976 à 1998 ensuite, se fera par paliers. Si les allers et retours entre la France et le Liban ont été fréquents pour Mounir Abou Debs, sa passion pour les arts en général et le théâtre en particulier est une longue ligne droite dessinée dès son enfance. «Mes premières perceptions de l’acte théâtral s’articulent autour de trois événements principaux. Dans l’église d’Antélias, l’immense rideau noir aux détails de la crucifixion (couronne, clous, etc.) cousus en blanc m’ont laissé la symbolique du noir et l’apparition du signe. Cette émotion m’a fait sortir de la présence habituelle des choses. Ensuite, les histoires des Lamentations, chantées par l’église syriaque, à Freikeh, m’ont mené vers le théâtre grec, ma formation de base. Enfin, à l’adolescence, un initial “état de présence” face au moment particulier du crépuscule, toujours à Freikeh. J’ai retrouvé cet état de présence à Paris, alors que je jouais César et Cléopâtre de Bernard Shaw; à la fin de la représentation, je suis descendu dans la salle et j’ai observé la scène. Elle n’était éclairée que d’une veilleuse et une chaise l’occupait. Le signal que représentait cet objet a été la définition de l’existence au théâtre.» Ces prémices vont trouver leur aboutissement, d’abord avec une année de formation, en 1952, dans la toute nouvelle Académie des beaux-arts du Liban, grâce à un premier prix de dessin dans l’atelier de César Gemayel. Et, à 18 ans, c’est le grand départ pour Paris. «Je voulais tout faire, se souvient-il avec un léger sourire. Peinture, musique et théâtre. Pour cette dernière formation, j’ai choisi le groupe antique de la Sorbonne, où je suis resté trois ans. Entre 1956 et 1957, avec Nicolas Bataille et Yves Rifaux, deux metteurs en scène, nous avons formé un groupe de travail, et chacun d’entre nous a proposé un projet. Le mien, qui consistait à monter Oncle Vania de Tchékov, et celui d’Yves Rifaux, qui s’intitulait Le fantôme de Paris, ont échoué. En revanche, le travail de Nicolas Bataille autour de La Leçon et de La cantatrice chauve de Ionesco a fait un tabac à La Huchette.» Un style sobre et retiré Entre les cours à la Sorbonne et le groupe de travail, Mounir Abou Debs officiait dans la fameuse section des dramatiques de l’ORTF naissante, cette «boîte magique» qu’était, selon l’artiste libanais, la télévision à ses débuts. En 1959, pendant l’un des deux tournages hebdomadaires, le jeune comédien de 25 ans croise l’ingénieur René Hury, qui participait à la création, via l’ORTF, de Télé Liban. «Il m’a alors dit que ma place était désormais au Liban, pour participer à l’élaboration de TL.» Et durant l’année 1959, le dramaturge a présenté une pièce télévisée hebdomadaire. «C’était une première dans le pays. J’ai regroupé des acteurs comme Antoine Moultaka et des artistes comme Aref el-Rayess.» La série s’achève avec le très grand succès de Macbeth, présentée «dans un style sobre et retiré.» 1960: retour à Paris, mais les sirènes libanaises recommencent à chanter. Il accepte d’être le conseiller artistique de la section folklorique du Festival de Baalbeck. «À la fin de la saison, Salwa Saïd, directrice de cette partie du comité, m’a demandé ce que je voulais pour accepter de rester. Ma réponse a été une école de théâtre. Le lendemain, on m’avait accordé un lieu, la maison Daouk, à Ras-Beyrouth (à deux pas de l’institut Goethe), et une aide aux dépenses. Je suis donc resté.» De 1960 à 1971, sous la houlette du Festival de Baalbeck, Mounir Abou Debs articule son travail autour de trois directions: «La formation d’acteur, la création de lieux de rencontre et la présentation des grands textes.» C’est de cette manière que Shakespeare et Œdipe, pour ne citer qu’eux, seront magnifiés dans les lieux historiques de Beit-Méry, Saïda, Tripoli, Byblos ou Deir el-Qamar. L’expérience et sa grande répercussion portent ses fruits. «Je reçois un jour la visite de Kamal Joumblatt, alors ministre de l’Éducation nationale, durant l’un de mes cours. Il me propose 50000 livres libanaises par an pour faire voyager le théâtre à travers la montagne.» Une saison de tournée régionale commence, après la participation de l’École du théâtre moderne au festival de Volubilis, au Maroc, avec Œdipe et Antigone. « Le Déluge », synonyme de refus En 1971, c’est la séparation d’avec le Festival de Baalbeck. «Avec Wasek Saïd, Janine Rubeiz et Souad Najjar, nous avions préparé la salle du théâtre de Kantari. Je croyais que c’était une nouvelle étape pour mon école alors que le comité voulait y accueillir toutes les troupes qui naissaient à cette époque.» Jusqu’en 1976, il anime un atelier de recherches à Kantari, où il présente sa première pièce, Le Déluge, écrite en arabe. «L’espace était prévu pour 40 spectateurs et la pièce pour deux jours de représentation. Le soir de la première, je me suis caché dans un coin. Le second soir, qui devait être le dernier, s’est prolongé pendant un an.» Et grâce à l’enthousiasme d’un journaliste français, le spectacle est présenté au Festival de Berlin de 1973. «Le Déluge, pièce de 42 minutes pour cinq acteurs, s’est construite minute après minute, avec le désir du refus d’un certain théâtre», commente Mounir Abou Debs. Cette pièce sera la première d’une bonne quinzaine dont la plus récente, La statue et le rêve, a été présentée en ouverture du Festival de Freikeh, saison 2004. Elle pose, une fois pour toutes, sa vision de son travail artistique. «Mon expérience de la tragédie grecque reste, même si je me suis retiré de son écriture scénique pour aller vers une suite d’images et d’états, proche de l’oratorio, poursuit-il. Dans les œuvres d’Eschyle, par exemple, l’acteur est devant une présence qui le dépasse. En effet, il ne lui est pas demandé de prendre à lui les courbes et les lignes de l’œuvre, qui s’est écrite à distance de lui. Ici, il faut accepter l’indétermination du message, cette zone indéfinie où l’on peut avancer ensemble.» Retours Et, se rapprochant de sa conception propre, il ajoute que «le travail de l’acteur est le fait de signaler, de désigner la chose, sans la cacher avec le geste qui la désigne». Pour lui, la représentation théâtrale est bien plus «un moment d’acteur et un état d’être» qu’une «description à travers une représentation.» Théâtre total? Certes, mais à comprendre comme la « rencontre de l’ensemble des éléments pour créer une présence totale». C’est ce choix obstiné de l’atelier de recherche plutôt que la mise en scène qui mène, de 1977 à 1994, Mounir Abou Debs, après une participation aux 5es Rencontres internationales d’art contemporain de La Rochelle, à la Maison de la culture de Rennes d’abord, à La Rochelle et puis à Paris. En 1998, c’est le retour à la magnanerie qui marque le début de sa grande entreprise de rénovation. C’est aussi le retour de l’École du théâtre moderne, par cycles de séminaires trimestriels et que près de 30 élèves ont déjà suivis. En 1999, enfin, c’est le Festival de Freikeh, avec de la poésie, du cinéma classique et, bien sûr, le résultat du travail de l’école d’apprentis comédiens. Mounir Abou Debs, en constant état de présence, parle toujours du théâtre qu’il préfère, sans tapage, sans éclairage. À peine celui d’une veilleuse. Diala GEMAYEL

Difficile de rencontrer le dramaturge et metteur en scène Mounir Abou Debs ailleurs que dans sa magnanerie, fraîchement rénovée, dans son village natal de Freikeh, à quelques kilomètres de Beit-Chabab. Le regard vers la montagne du Kesrouan, l’homme aux cheveux blancs hâtivement noués en un minuscule chignon, le mot juste et le sourire furtif, se souvient de ses retrouvailles avec une...