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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Le silence des bêlants

Les Libanais sont d’indécrottables sceptiques. Ils se méfient de tout et de tous, mais qui irait en faire reproche à ces chats tant de fois échaudés ? Croyant faire ainsi l’économie d’une guerre, notre pays avait signé des accords demeurés lettre morte et qui devaient par la suite faire beaucoup de morts. En quinze années de guerre, nous avons vu s’effondrer, à peine décrétés, des centaines de cessez-le-feu mensongers, vu défiler d’innombrables médiateurs pas toujours désintéressés et honnêtes. De formidables armadas de paix sont venues de bien loin et sont reparties en catastrophe, car le Liban n’est pas le Koweït, et n’est pas en mesure de compenser en bon pétrole le sang versé par les Marines. D’autres armées sont venues de tout près. Et ont pris racine, elles, à la faveur (une fois de plus !) d’accords dévoyés, dénaturés, interprétés à sens unique : à la faveur aussi de l’inacceptable axiome voulant que les Libanais n’auraient rien de plus pressé que de s’entre-tuer à nouveau si les troupes syriennes, garantes de la paix civile, devaient mettre fin à leur rassurante présence... C’est dire avec quelle prudence il convient d’évaluer les résultats et implications des entretiens qu’a eus le week-end dernier à Damas le secrétaire d’État adjoint américain William Burns et qui ont donné lieu, comme on sait, à deux sons de cloche fort dissemblables. Washington a réussi à convaincre la Syrie de boucler hermétiquement sa frontière avec l’Irak face aux activistes islamistes, et des mécanismes de coopération syro-US seront mis en place à cet effet. Dès lundi cependant, le département d’État a tenu à rappeler la nécessité, pour la Syrie, de préparer son retrait du Liban et de cesser ses ingérences dans la vie politique du pays. Pour sa part, le régime baassiste, qui avait paradoxalement qualifié de « victoire » la résolution 1559 de l’Onu (laquelle en effet ne mentionnait pas explicitement la Syrie), continue d’afficher une troublante sérénité. La venue de Burns ? Une excellente chose, puisque Washington se rallie enfin au principe d’un dialogue « approfondi et constructif » auquel n’a cessé d’appeler Damas. La frontière avec l’Irak ? Cela ne va pas poser de problème. Le Liban ? À peine évoqué, étant entendu que la 1559 constitue une intolérable ingérence et que Damas et Beyrouth sont seuls à décider, « en toute souveraineté », des liens qui les unissent. Mais alors l’avertissement clairement formulé par Burns devant les journalistes ? C’était avant les entretiens, tout s’est bien passé par la suite. Le plus ridicule est que pour seriner ce genre de rhétorique, il aura fallu non moins de deux ministres de l’Information (oui, de l’« information »). Mandé pour la circonstance, le détenteur libanais du titre était supposé conforter par sa présence et son éloquence le douteux argument de souveraineté. C’est exactement le contraire que vous aurez donné à voir, cher ministre, comme s’il était encore besoin de démontrer – par la voix et par l’image – notre affligeant, notre notoire manque de souveraineté. Où est exactement le Liban dans l’échelle des priorités américaines ? La même erreur serait de prendre pour argent comptant les bonnes résolutions US, comme de sous-estimer le discours réformiste de Washington, que vient étayer une impressionnante dynamique de pressions. La première de ces erreurs conduit à l’aventure, à la confrontation, au désastre. Et la seconde, commise par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis Taëf, a fait du Liban un pâle comparse : une victime consentante qui n’est là que pour servir, avec les bêlements de rigueur, les tortueux intérêts du tuteur syrien. Entre ces deux chemins de perdition, il y avait pourtant – il y a encore – une troisième voie : celle d’une présence libanaise effective, d’un État aussi attaché à défendre ses intérêts propres qu’à ménager ceux de l’allié, et cela dans l’intérêt bien compris des deux parties. Sur cette voie, aucun des pâles produits de Taëf n’a jamais osé s’aventurer. Avec plus d’urgence encore que le National Geographic Magazine, pays à l’abandon cherche désespérément explorateurs.

Les Libanais sont d’indécrottables sceptiques. Ils se méfient de tout et de tous, mais qui irait en faire reproche à ces chats tant de fois échaudés ?
Croyant faire ainsi l’économie d’une guerre, notre pays avait signé des accords demeurés lettre morte et qui devaient par la suite faire beaucoup de morts. En quinze années de guerre, nous avons vu s’effondrer, à...