Mât arménien à tribord

L’espace d’une semaine, Cilicia, une réplique grandeur nature d’un voilier marchand médiéval, a épousé les quais de la Marina de Dbayé. Le style antique du bateau tout construit de bois tranche avec celui, ultramoderne, de ses voisins du port qui penchent plutôt pour le plexiglas. Pour ce premier voyage à bord de Cilicia-la-romantique, Karen Balayan, ingénieur électronique de métier, s’est métamorphosé en capitaine du vaisseau. Sous son commandement, 13 membres d’équipage, entièrement dévoués corps et âme à la voile et aux splendeurs de la mer, tentent de remonter le temps au gré des vagues et des courants marins qui les portent inlassablement vers de nouvelles aventures. Des « amateurs », comme ils aiment à s’appeler, mais en réalité des matelots dignes de la confiance de leur capitaine qui ont, ensemble, parfaitement su mettre à l’épreuve leur Cilicia, en mer depuis le début de son voyage en mai 2004. Monter à bord fait partie de ces moments magiques et privilégiés. On ne peut s’empêcher de contempler le mât de 14 mètres imaginant tout là-haut l’éclaireur hélant à ses compagnons : Terre ! Terre ! Terre libanaise en vue ; terre d’accueil et d’hospitalité, tendant ses bras au navire marchand provenant d’Arménie ; sauf que sa cargaison n’est pas à vendre, elle se livre à nous déroulant au passage une vraie leçon d’art et de courage. Car pour arriver à bon port, il a fallu à l’équipage braver les dangers de la mer sur un voilier entièrement façonné à l’ancienne, et le gouvernail cassé au détour d’une tempête n’a su avoir raison des matelots. L’intérieur du vaisseau est spartiate : confort minimum, planches en bois et sacs de couchage servent de coquille aux hommes pour la nuit n’ayant pour berceuses que la houle et les vents marins. Une guitare gît sur les bancs, aux côtés de leur « vodka » locale ; toutes deux animent leurs longues soirées de marins car la rusticité des lieux n’empêche pas Cilicia et ses 14 amants de dégager une chaleur humaine et une véritable âme que les amoureux de la mer sauront reconnaître. Une joie de vivre qui accompagnera le périple jusqu’aux prochains « comptoirs » d’Alexandrie et de Dubrovnik, lesquels s’apprêtent à accueillir le navire dans les prochaines semaines. Cilicia-la-romantique goûtera alors un repos bien mérité à Venise, le temps d’un hiver. Karim EL-MUFTI